Nos régulateurs et leur approche paternaliste risquent de faire encore des ravages.
Si vous vous parfumez avant une soirée ou que vous appliquez un anti-moustique cet été, il se peut que vous utilisiez des huiles essentielles. Ces extraits concentrés de plantes sont largement utilisés à la maison, et pas seulement par les blogueurs spécialisés dans le bien-être : ils rafraîchissent le linge, traitent l’acné et éloignent les mouches à fruits. Pourtant, en vertu des nouvelles règles de l’UE, l’utilisation des huiles essentielles pourrait être gravement perturbée.
L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a annoncé son intention de passer d’une évaluation basée sur les risques à une évaluation basée sur les hasards pour mesurer les composés chimiques (y compris les simples extraits de plantes). La différence n’est pas simplement sémantique. Dans les communications sur les risques, les termes « hasards » et « danger » ont des significations différentes en anglais.
Des effets négatifs plus ou moins probables
Prenons l’exemple du simple fait d’être à l’extérieur. Le soleil représente un « hasard », car en plus de donner des coups de soleil en raison de ses rayons UV, il peut provoquer des maladies plus graves telles que le cancer de la peau. Les gens gèrent ce risque en limitant leur exposition, par exemple en se mettant à l’ombre, en apportant un parasol ou en appliquant de la crème solaire. L’équation est donc la suivante : risque = hasard x exposition.
La question de toute évaluation des risques est ainsi : quelle est la probabilité qu’un produit donné ait des effets négatifs sur ses utilisateurs ?
Si l’on appliquait à la vie une approche fondée sur les hasards, on craindrait les voitures sur les routes que l’on ne traverse pas, on s’abriterait sous les avions qui volent à une altitude normale ou, on ne sortirait pas du tout. Malheureusement, l’ECHA a l’intention d’appliquer cette approche excessivement prudente aux huiles essentielles, en les étiquetant comme hasardeuses.
L’agence est incitée à évaluer les huiles essentielles dans le cadre du règlement (CE) n°1272/2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage (CLP), ce qui signifie qu’elle exigerait qu’elles portent des étiquettes d’avertissement indiquant leur dangerosité ou qu’elles soient interdites à la vente.
Comme pour toute chose, c’est le dosage qui fait la différence. Si un verre d’eau ne présente aucun danger, la consommation de plus de cinq litres en moins d’une heure peut entraîner la mort par intoxication hydrique. Il en va de même pour l’huile essentielle : si elle est parfaitement sûre pour l’homme et (heureusement) très désagréable pour les moustiques, elle peut être toxique si vous la buvez.
Si ce fait semble évident pour les consommateurs, à qui l’on conseille également de tenir les huiles essentielles ou les produits chimiques tels que les produits de nettoyage hors de portée des enfants, il semble échapper aux autorités de réglementation, qui estiment qu’il s’agit d’une substance dangereuse.
Des alternatives parfois pires
Si les consommateurs n’ont pas accès aux produits à base d’huiles essentielles ou sont dissuadés de les utiliser, ils se tourneront probablement vers des solutions de remplacement artificielles et peut-être plus nocives, telles que les insectifuges contenant du diéthyltoluamide, connu sous le nom de DEET, qui peut affecter le système nerveux humain et avoir un impact négatif sur les plantes et les animaux.
Les étiquettes d’avertissement peuvent avoir un effet durable sur la façon dont les consommateurs perçoivent les produits qu’ils achètent. Si des étiquettes de danger injustifiées seront ajoutées aux huiles essentielles, les consommateurs pourraient se tourner vers des solutions moins saines, ce qui aurait des répercussions sur un secteur tout aussi important.
En 2022, la valeur du marché mondial des huiles essentielles a dépassé les 24 Mds€. En 2021, la France a exporté pour plus de 450 M€ de produits à base d’huiles essentielles. Cela signifie que la réglementation actuellement soutenue par la présidence suédoise de l’UE affecterait les consommateurs de l’UE et de la Suède. Elle affecterait également certains pays de l’UE plus que d’autres.
Le projet de l’ECHA menace en effet de faire dérailler le développement économique du pays le plus pauvre de l’Union européenne, la Bulgarie. C’est l’un des principaux producteurs mondiaux d’huile de lavande. Les agriculteurs bulgares cultivent plus de 40 000 hectares de lavande dans la région de la vallée des roses, et le pays exporte 99% de sa production vers la France, l’Allemagne, l’Autriche et les Etats-Unis.
Le pays est le premier producteur mondial d’huile de rose, responsable de la création de 800 kg à 2 tonnes de ce produit par an pour les grandes sociétés de cosmétiques et de parfumerie. Le changement de réglementation menace les moyens de subsistance des 35 000 personnes employées à la récolte des roses dans la vallée des roses, célèbre dans le monde entier. Il compromet également les 92 M€ d’exportations totales que la Bulgarie tire des huiles essentielles. L’ECHA pourrait accidentellement rendre le pays le plus pauvre de l’UE encore plus pauvre.
Les parfums affectés
Sa décision ferait également des ravages dans les industries européennes de la parfumerie et de la cosmétique.
Plus que de simples anti-moustiques, les huiles essentielles font partie intégrante des parfums, des produits de toilette et des accessoires de maquillage, créant ainsi le marché des cosmétiques « clean beauty » tel que nous le connaissons aujourd’hui. Parmi les ingrédients indispensables à l’industrie, 992 proviennent de ces extraits naturels. Leurs propriétés hydrophobes, anti-inflammatoires, antimicrobiennes et antioxydantes en font des émulsions idéales, faciles à appliquer, hygiéniques, durables et adaptées à divers types de peau.
Par exemple, la menthe poivrée et la lavande ne dégagent pas seulement une odeur agréable: grâce à leurs propriétés antioxydantes, elles ralentissent le processus de dégradation des cellules (ce qui représente un potentiel important pour tout gel anti-âge). En tant qu’anti-inflammatoires non stéroïdiens, elles contribuent à réduire la douleur avec un minimum de complications. Enfin, leur nature antifongique et anti microbienne aide à préserver la peau des clients de l’acné ou des infections indésirables.
Sans surprise, les huiles se combinent pour former les 3 225 fragrances qui confèrent aux parfums mondialement connus tels que Givenchy et Chanel leur odeur unique et aux shampooings et kits de maquillage leurs couleurs vibrantes.
La politique chimique, c’est intello, et ce n’est certainement pas aussi attrayant que l’huile essentielle utilisée pour fabriquer nos parfums. Pourtant, il est important de rappeler aux régulateurs qu’une approche paternaliste et basée sur les hasard ou lieu des risques réels, pour leur classification, n’est ni nécessaire ni pratique. Les décideurs politiques doivent évaluer les risques et les avantages de chaque produit et agir en conséquence.
Dans le cas présent, agir en conséquence signifie ne pas étiqueter tout ce qui contient des huiles essentielles comme étant dangereux, surtout… parce qu’elles ne le sont pas dans le cadre d’un usage modéré.
2 commentaires
L’UE n’est pas paternaliste. C’est une machine à broyer les métiers de tradition artisanale qui ne sont pas sous le contrôle total des grandes industries. Dans ce cas, big pharma est particulièrement impliquée. Elle veut mettre la médecine naturelle sur le bucher. La chasse aux sorcières est engagée, quoi qu’il en coûte.
totalement d’accord
la maffia des « lobbies » est toujours en éveil!!!