Par Ingrid Labuzan (*)
Les Bourses dévissent et même les plus optimistes sont désormais prêts à convenir que lorsqu’elles reprennent des couleurs, il s’agit avant tout de rebonds techniques. Le bout du tunnel est-il encore loin ? Mauvaise question. La véritable interrogation est : le puits dans le lequel nous tombons est-il encore profond ?
Réponse : oui. Pas de jugement à l’emporte-pièce dans cette assertion, mais un constat : nous sommes encore loin d’être débarrassés de tous les produits toxiques existants. D’une part, nous avons réussi à gonfler une sphère financière jusqu’ à ce qu’elle atteigne 300 000 milliards de dollars alors que le PIB mondial — l’économie réelle — n’est que de 50 000 milliards de dollars.
D’autre part, il faut s’attendre à d’autres "évaporations" d’argent, conséquences de la perte des valeurs boursières et de la crise du crédit. Carmignac gestion, premier fonds européen indépendant, s’attend ainsi à ce qu’au moins 2 000 milliards de dollars liés à des effets de levier partent en fumée. Explication : les fonds de couverture ont emprunté aux banques pour miser sur des produits grâce à des effets de levier. Alors que tout s’effondre, les produits n’ont pas apporté les résultats attendus. Il faudra rembourser l’argent emprunté. Ils vendent "à tout prix" et nourrissent la spirale baissière.
Quant au marché actions, pas d’espoir à placer de ce côté-là. Les experts de Carmignac sont inquiets : les analystes ont surestimé les ratios cours/bénéfices des entreprises. Ils sont en retard dans leurs prévisions de résultats des entreprises. Ainsi, là où en moyenne les analystes tablent sur 100, il n’y aurait réellement que 60.
Seule leçon à tirer de tout cela : tenez-vous éloigné de la Bourse !
A l’aune de ces mauvaises nouvelles, faut-il sombrer dans le désespoir ?
Pas encore tout à fait, semble-t-il.
Planète en perdition cherche sauveteur
Jacques Graverau, directeur du HEC Eurasia Institute, nous l’a dit : le salut viendra des pays émergents. Et nous avons envie de le croire : "ces pays sont le dernier rempart protégeant la croissance. Leur processus de rattrapage nous tirera vers le haut. Songez que chez nous, le PIB moyen par tête est de 3 000 $, tandis qu’il n’est que de 2 000 $ en Chine : une belle marge de progression". D’ailleurs, d’après le FMI, les pays émergents contribuent déjà à plus de 75% à la croissance mondiale.
A l’écart de nos merveilleuses inventions financières, les économies des pays émergents s’en sortent mieux que nous. Certes, leur croissance devrait ralentir en 2009 après s’être déjà infléchie en 2008. Les taux annoncés restent cependant plus que respectables : selon le FMI, la croissance de la Chine dépassera les 9%, l’Inde devrait frôler les 7% et la Russie pourrait afficher 5,5%.
Ces pays s’enrichissent. Leur population, leurs entreprises ou leurs fonds souverains voient leurs moyens augmenter. Le signe qu’il faut réellement guetter pour savoir si nous sortons de la crise : la reprise de leurs marchés actions. Ce ne sera pas grâce à nos investissements d’Occidentaux, mais plutôt grâce à leur propre argent. Alors que dans les pays occidentaux, les ménages ne sont plus solvables, ils le sont encore largement dans des états tels que le Mexique, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine ou la Thaïlande. Pas d’intoxication de gouvernements à la transparence douteuse derrière ces chiffres, ils sont publiés par Morgan Stanley. Quant à leurs réserves de change, elles seraient, toujours selon une banque américaine, 2,5 fois supérieures à celles des pays développés. Les pays émergents ont de l’argent, voilà ce qu’il faut retenir.
Ces chers camarades capitalistes
"La Chine, domino ou dynamo", tel était le titre d’un article de The Economist. Savoir si nous pouvons compter sur l’économie chinoise ou si, au contraire, sa croissance va se dégonfler comme un ballon de baudruche fait débat en ce moment.
Les inquiets feraient mieux de se soucier du sort de l’Europe et des Etats-Unis, la Chine va bien, merci.
Sa croissance dépend de moins en moins des exportations. En 2007, les deux pôles principaux ayant contribué à la hausse de son PIB sont les investissements domestiques et la consommation des ménages.
Preuve que la Chine a de l’argent : elle s’emploie à solidifier son économie, à lutter contre les effets de la crise et devrait s’en sortir mieux que les pays développés. Alors qu’en France, nous tentons vaguement de lancer quelques mesures pour sauver ce qui peut encore l’être, les autorités chinoises ont une politique active de lutte contre la crise. Elles ont baissé les taux — comme presque toutes les banques centrales me direz-vous. Elles ont également baissé le ratio de réserves obligatoires des banques. Elles ont pris diverses mesures pour stimuler le marché immobilier. Après un krach dans les grandes villes de la côte est, les autorités veulent soutenir l’immobilier en zones rurales. Enfin, elles ont réduit la TVA pour le secteur textile.
Certes, la bourse de Shanghai ne se porte pas bien du tout en ce moment. Gardez tout de même un oeil attentif sur son évolution, même si ce n’est pas pour y investir, sa remontée pourrait précéder celle du CAC 40.
Meilleures salutations,
Ingrid Labuzan
Pour la Chronique Agora
(*) Journaliste, Ingrid Labuzan est titulaire d’une maîtrise d’histoire, d’un master d’European Studies du King’s College London et d’un mastère médias de l’ECSP-EAP. Spécialisée sur le traitement de l’information et des médias étrangers, elle a vécu et travaillé pendant six mois à Shanghai. Elle a contribué à de nombreuses publications, dont le Nouvel Observateur Hors-série. Elle rédige désormais chaque jour la Quotidienne de MoneyWeek, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance.