Face aux difficultés des banques centrales et des monnaies d’Etat, l’ascension de l’or – et des cryptomonnaies – n’est sans doute pas terminée… et de loin.
A noter : quand on parlera dans cet article de monnaies alternatives, on fera référence aux monnaies non manipulées par une autorité politique et/ou monétaire. Les monnaies fiduciaires (basées donc sur la « confiance ») sont, quant à elles, émises par les banques centrales (dollar, euro, yen, sterling…), ont cours légal sur un territoire et sont, tant que cette confiance est là justement, unanimement acceptées en tant que moyen d’échange, de facturation et de réserve.
Le triomphe de l’or ne fait que commencer
Parmi les explications récentes de la hausse de l’or, il y a certes l’explication classique de la hausse de l’or négativement corrélée aux taux réels. Plus les taux réels s’enfoncent en territoire négatif, plus l’or qui rapporte 0% est attractif. Il y aussi l’explication traditionnelle de l’or en tant que valeur refuge.
Toutes ces explications, aussi justes soient-elles, expliquent le niveau aux alentours des 1 900 $ l’once aujourd’hui et peut-être 2 500 $ demain. Mais là n’est pas l’essentiel : un jour, l’or vaudra peut-être 5 000 $, 10 000 $… voire encore plus.
Ce n’est pas une prévision de gourou, c’est un sentiment fort, sur une tendance séculaire, qui est la conséquence des monétisations systématiques des dettes publiques par la création monétaire excessive des banques centrales. Cette tendance s’amplifiera avec la fin de la hausse d’actifs financiers artificiellement surévalués et déconnectés des fondamentaux.
On ne reviendra pas sur les explications de cette surévaluation (taux négatifs qui valorisent théoriquement des actifs risqués vers l’« infini », aléa moral des banques centrales qui interdit toute correction d’actifs, quand bien même la valeur fondamentale de ceux-ci impliquerait une baisse de 20% à 30% de leurs cours).
J’entends déjà la réaction simple selon laquelle le marché a toujours raison, et que tel actif financier vaut ce qu’il vaut parce qu’il y a des acheteurs et des vendeurs qui traitent à ce prix – mais là, on est sur un réflexe très court-termiste de trader de salle des marchés.
L’économiste de marché vous dira exactement le contraire, c’est-à-dire que le marché a toujours tort. En effet, à un instant t, un prix de marché ne veut rien dire et surtout pas que le marché a toujours raison.
Les marchés doivent bouger
Les marchés vivent et ne peuvent pas ne pas bouger : des investisseurs auront des capitaux à rapatrier… des investisseurs utiliseront les liquidités reçues des banques centrales pour investir… des hedge funds auront des actifs à liquider ou à acheter… des banques centrales auront à investir sur des titres pour constituer des réserves de change… inversement, d’autres banques centrales devront vendre une partie de leurs réserves de change pour tempérer la dépréciation de leur devise.
N’oublions jamais cette formule de Warren Buffett :
« Le prix est ce que vous payez. La valeur est ce que vous obtenez. »
Revenir sur le sujet de la monnaie en 2020 conduit à s’interroger sur l’avenir des banques centrales. Et s’interroger sur l’avenir des banques centrales suppose que l’on comprenne que la question du surendettement public est juste remplacée par la question suivante : est-ce que le porteur principal des dettes publiques (la banque centrale) peut « disparaître ». Autrement dit…
… Techniquement, une banque centrale peut-elle faire faillite ?
1/ On peut répondre une première fois non car la banque centrale use et abuse de son privilège principal : émission de monnaie (création monétaire ex nihilo, c’est-à-dire à partir de rien), à savoir une dette que la banque centrale émet sur elle-même, donc un passif non exigible contrairement à celui de n’importe quel agent économique.
Il n’y a donc pas de limites techniques à cette création monétaire – en tout cas tant que la monnaie émise est acceptée comme moyen d’échange, de paiement, de transaction et de réserve.
2/ On peut répondre une fois de plus non car la banque centrale n’est pas liée par les règles comptables et réglementaires qui s’imposent aux banques.
Ainsi, elle ne valorise pas les actifs qu’elle possède en valeur de marché. Cela signifie qu’il n’y a pas de stress et de pression pour une banque centrale à se recapitaliser comme pour une banque normale en situation de baisse des fonds propres provoquée par des moins-values latentes ou réalisées sur certains actifs détenus.
Imaginons un instant, cependant, que la banque centrale – la BCE, par exemple – soit contrainte de vendre des actifs pourris et de matérialiser des pertes qui viendraient alors faire disparaître une partie de son capital (ceci devient réaliste puisque la qualité du bilan des banques centrales se détériore avec l’achat d’actifs de moins en moins bien notés).
Dès lors, deux solutions sont envisageables.
Première solution : les pertes s’imputent sur le capital ainsi que sur les comptes de réévaluation qui intègrent les plus-values latentes accumulées au fil du temps.
Seconde solution : la recapitalisation par les Etats de la Zone euro à hauteur du poids de ceux-ci dans le capital de la BCE. Ce qui est absurde puisque, dans le même temps, la banque centrale crée de la monnaie pour acheter la dette publique d’Etats qui la recapitaliseraient à concurrence de leur poids dans le capital de la BCE.
Ceci étant, d’un point de vue réglementaire, rien n’empêche une banque centrale de vivre avec des fonds propres négatifs (un scénario de stress extrême) si le ou les Etats actionnaires de celle-ci refusent de mettre au pot.
On le voit bien, la prochaine grande crise financière ne sera pas traditionnelle et ne sera pas comparable à tout ce que nous avons connu sur les marchés financiers (krach boursier, krach obligataire, crise des marchés émergents).
Le considérable potentiel de l’or
Le potentiel considérable de hausse de l’or va donc correspondre à cette crise des monnaies traditionnelles fiduciaires et donc à celle de la légitimité des banques centrales.
Pourquoi une crise de légitimité des banques centrales ? Sans doute parce que les dettes publiques (ou tout du moins la partie de plus en plus importante détenue par les banques centrales) ne seront pas remboursées et que le risque de contrepartie le plus important deviendra le risque vis-à-vis du porteur principal de ces dettes (BCE, Fed…).
Impossible de savoir quand auront lieu ces crises de fuite devant la monnaie. Il faudra des catalyseurs puissants tels que, par exemple, une crise violente du dollar et son rejet dans un contexte d’aggravation des relations sino-américaines.
La cohabitation des monnaies fiduciaires (manipulées par l’émission infinie de monnaie des banques centrales) et des monnaies « alternatives » (métallique pour l’or et l’argent, électronique pour le bitcoin et autres cryptomonnaies) est donc en marche puisque nous rentrons dans une période de remise en cause du pouvoir et de l’existence des banques centrales en consacrant la liberté de choix monétaire.
Ainsi, les agents économiques préfèreront conserver ou thésauriser la « bonne » monnaie, et utiliser la « mauvaise » pour payer leurs biens et services dans le but de s’en défaire au plus vite. Pour cette raison, quelques économistes libéraux, comme Friedrich Von Hayek, ont évoqué ce risque et ont donc justifié un système de monnaies « privées ».
Le bitcoin sera également une bonne alternative à la crise des monnaies fiduciaires
Il y a de longs et sempiternels débats sur le fait de savoir si Bitcoin est une monnaie. Les cryptophobes répondront par la négative puisqu’ils se réfugient dans des analyses académiques et conventionnelles : une monnaie doit bénéficier d’une adhésion sans réserve pour être utilisée de manière inconditionnelle en tant que moyen de paiement et d’échange.
Certes, le bitcoin n’en est pas encore là. Mais ce n’est pas une raison pour sous-estimer le potentiel de développement de la cryptomonnaie, compte tenu du paradoxe d’Ellsberg.
Que signifie-t-il ? Le paradoxe d’Ellsberg est un phénomène que l’on rencontre dans maints domaines de la vie économique et sociale – de la vie tout court, pourrions-nous dire – et qui montre en substance ceci :
« Lorsque des gens ont à choisir entre deux options, la majorité se décide pour celle dont la loi de la probabilité est connue. »
Ce paradoxe s’applique naturellement aux investisseurs sur les marchés financiers, avec une préférence majoritaire pour des rendements faisant l’objet de probabilités de distribution connues plutôt que ceux faisant l’objet d’une probabilité de distribution inconnue. C’est absurde mais humain, et on peut penser que les cours de Bitcoin (dont la probabilité de distribution des rendements est encore peu connue après 10 ans d’existence) souffrent de cette aversion à l’absence d’historique profond et sont donc, toutes choses égales par ailleurs, sous-évalués
Nous sommes plutôt cryptophiles…
Ce qui nous rend plutôt cryptophiles, c’est le contexte de crise future des monnaies fiduciaires que nous anticipons à moyen-long terme, et les ressemblances entre l’or et le bitcoin. Si l’on anticipe une très forte hausse de l’or – ce qui est notre cas –, on doit alors logiquement anticiper une forte hausse du bitcoin.
Nous constatons trois types de ressemblances fortes entre les deux actifs :
1/ Bitcoin ressemblerait, dans son processus de création, à la façon dont l’or a été extrait du sol. Le bitcoin a été conçu pour être de l’or virtuel. Voilà pourquoi la réserve totale de bitcoins est plafonnée à 21 millions. Il doit être disponible en quantité limitée, comme l’or, pour avoir de la valeur.
Contrairement aux monnaies fiduciaires, il n’est nul besoin qu’une autorité juridique ou politique unanimement acceptée par l’ensemble des membres d’une communauté garantisse leur valeur à cette monnaie.
N’oublions jamais que la monnaie (en tout cas celle qu’on appelle fiduciaire) est une créature plus ou moins affirmée de l’Etat (quel que soit la sympathie que l’on ait pour les représentants de cet Etat et quelle que soit sa forme institutionnelle), et que c’est en partie pour cette raison que l’inflation et les déficits existent.
Or le bitcoin est tout le contraire d’une monnaie « manipulée » par un gouvernement ou une banque centrale
2/ Le bitcoin évolue hors du système financier et protège donc contre les crises financières. Au même titre que l’or, il deviendra valeur refuge.
3/ Les taux d’intérêt réels durablement négatifs constituent une autre raison pour détenir des bitcoins.
Attention toutefois à la forte volatilité du bitcoin – même si elle ne doit pas, cependant, remettre en cause l’intérêt du bitcoin aussi bien en tant qu’actif de diversification (certes pour un horizon d’investissement très long) qu’en tant qu’actif de couverture dans un portefeuille d’actifs financiers traditionnels. On parle là de couverture contre une crise du dollar en particulier et des monnaies fiduciaires en général ; couverture contre le maintien de taux réels durablement négatifs ; couverture contre la sous-performance de certains segments du marché actions.