** Depuis 48 heures, il n’est question que de la spirale infernale qui pousse le cours du pétrole, des matières premières et des céréales vers des niveaux de valorisation jugés « intenables ». Cela n’a pas empêché Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, d’aviver les tensions sur les marchés obligataires européens en indiquant que la BCE n’hésiterait pas à relever son taux directeur afin de juguler les tensions inflationnistes qui se renforcent sensiblement depuis l’automne dernier.
Le rendement du Bund allemand à 10 ans est ainsi remonté à 4,16% contre 4,12% lundi et le rendement de l’OAT a atteint 4,33% — au plus haut depuis un mois.
Mais de telles déclarations — en plein processus d’arbitrage systématique du dollar contre le pétrole — ne font qu’accroître le mal que l’on prétend combattre. En effet, en affaiblissant le billet vert — qui ne demande qu’à baisser –, la BCE déchaîne la spéculation à la hausse sur l’or noir. Tout ceci alimente une inflation qui déborde largement des frontières de l’Europe, sans que la progression de l’euro neutralise efficacement la dérive de notre facture énergétique.
Nous supportons 75% de la hausse du cours du baril — il a atteint 119 $ hier –, ce qui plombe le pouvoir d’achat des ménages, tandis que l’euro fort nous coûte de précieux points de compétitivité face aux Etats-Unis et au Japon. Le yen est en effet de nouveau arrimé à la devise américaine depuis le début de la nouvelle année fiscale au Japon ; un phénomène récurrent qui ne doit rien au hasard. EADS tire en vain la sonnette d’alarme depuis la fin février.
Mais à partir de quel niveau de dérive des prix pétroliers puis de récession sur le Vieux Continent les économistes vont-ils oser dénoncer cette imposture de « l’ancrage des anticipations inflationnistes » ? Le loyer de l’argent à 4% constitue en effet un rempart tout aussi inefficace contre l’érosion du pouvoir d’achat des ménages que les Vosges, les Ardennes et le Jura contre le nuage de Tchernobyl.
L’euro, en revanche, s’impose chaque jour un peu plus comme la monnaie de réserve des fonds souverains du monde entier ; c’est bien là le seul bénéfice incontestable de la politique monétaire de la BCE, et c’est bien sur le seul dont elle n’ose se vanter ouvertement.
** Notre monnaie unique réussit l’exploit de franchir la barre des 1,60/dollar alors que les anticipations de baisse des taux de la Fed ont clairement perdu du terrain depuis la mi-mars. Le rendement des Treasuries à deux ans sont ainsi remontés à 2,25%, bien loin du point bas de 1,30% observé lors du rachat en catastrophe de Bear Stearns par J.P. Morgan le 17 mars dernier.
Cette tension des taux courts explique en majeure partie le découplage du cours du pétrole par rapport à celui du métal précieux, lequel végète autour de 925 $ alors qu’il aurait dû franchir allègrement le cap des 1 100 $ l’once en même temps que le baril pulvérisait la barre des 110 $ le 15 avril dernier.
L’or subit la concurrence d’une meilleure rémunération du dollar et de l’euro, ainsi que la plus grande volatilité haussière de certaines matières premières (fer, plomb, métaux rares), de l’énergie, et surtout des céréales destinées à l’alimentation humaine (depuis le 28 mars dernier).
** L’épicentre de cette flambée des prix se situe bien loin des frontières de l’Euroland. La prétention de la BCE à la combattre — au lieu de suggérer un arrêt des subventions à la culture intensive du colza ou du maïs destinés aux biocarburants — est au mieux risible et au pire très inquiétante, dans la mesure où elle révèle son incapacité à identifier les causes profondes de la situation actuelle — sans oublier son souverain mépris du « bas peuple ».
Le diagnostic est erroné, le remède l’est tout autant et le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes est laminé. Il le sera plus encore d’ici la rentrée avec une hausse de 8 à 10% des produits laitiers. Cette baisse du pouvoir d’achat est la conséquence des salaires, qui ne progressent que de 2,5% quand l’inflation dépasse les 3,8% en rythme annuel : les consommateurs se ruent sur les produits de luxe !
La Banque du Canada constate les mêmes dérives mais elle craint surtout pour la croissance et la hausse du chômage. Elle tente d’y remédier en abaissant de 50 points le coût du crédit — non pas en l’augmentant d’autant comme le suggère la BCE — pour le ramener à 3%.
Le repli du dollar canadien contre toutes les devises a également pesé mécaniquement sur le billet vert qui menace de s’installer sous les 1,60 euro d’ici la prochaine réunion de la Fed.
** Ben Bernanke tiendra certainement compte du fait que le marché immobilier américain continue de montrer des signes de faiblesse. Les ventes de logements anciens aux Etats-Unis ont ainsi reculé de 2% en mars à un total de 4,93 millions d’unités, sous la barre psychologique des cinq millions, et loin des six millions comptabilisés début 2007.
Le chiffre brut était certes conforme aux prévisions mais les stocks de logements en attente d’un acquéreur ont progressé de 1%, pour atteindre un record de 10 mois. Les agences immobilières soulignent que 18% des maisons revendues le sont à un prix inférieur au prix d’achat : cela signifie de lourdes pertes en capital pour les ménages les plus endettés qui n’ont remboursé qu’une partie des intérêts et 0% du principal.
** Après les Etats-Unis, l’Angleterre détient le triste privilège de receler le plus gros potentiel de moins-values immobilières. La Banque d’Angleterre a donc décidé de prendre en pension pour 50 milliards de livres — ce serait un montant plancher, la BoE se réserve la faculté d’aller bien au-delà — de titres adossés à des crédits hypothécaires (MBS) contre des obligations du Trésor britannique cotées AAA+.
Cette initiative va éviter aux banques britanniques de crever l’abcès de la bulle immobilière. Elles ont convaincu Gordon Brown et Mervin King de prendre le contre-pied de ce dicton très anglo-saxon qui postule que « mieux vaut une fin dans la douleur qu’une douleur sans fin ».
C’est pourquoi la City de Londres a finalement accueilli sans émotion particulière l’annonce d’une augmentation de capital de 12 milliards de livres (25 milliards de dollars) de la Royal Bank of Scotland, la plus massive de l’histoire de la finance britannique. L’indice FT 100 n’a donc cédé que 0,3% quand l’Euro Stoxx 50 chutait de 0,9% — les valeurs dollar ont été logiquement malmenées en fin de journée.
Le CAC 40 a subi une accélération à la baisse entre 16h30 et 16h45, matérialisant un recul supérieur à 1,20% pour tester les 4 850 points — soit près de 130 points perdus en 48 heures. Cependant, le repli s’est amenuisé à -0,77% au moment du fixing de clôture. Les volumes d’échanges se sont contractés par rapport à la veille et n’ont pas dépassé les 4,8 milliards d’euros — contre 5,4 milliards d’euros lundi et 7,15 milliards d’euros vendredi dernier).
Il n’est pas exclu de voir la bourse de Paris aligner ce mercredi une troisième séance de baisse d’affilée car les piètres trimestriels de Texas Instruments plombent le Nasdaq. L’indice américain ricoche de -1,5% sous la résistance majeure des 2 410 points — tandis que le Dow Jones rechute sur les 12 660 points dans le sillage du chimiste DuPont, des valeurs financières, des industrielles et des pharmaceutiques. Seules les pétrolières ont logiquement échappé à cet épisode correctif.
Philippe Béchade,
Paris