Nous subissons des pénuries en tous genre… sauf d’absurdités. L’exemple du jour ne sera probablement pas le dernier.
Il est tellement réconfortant (et si rare) d’entendre une déclaration véridique sortir de la bouche d’Olivier Véran que je ne résiste pas au plaisir de vous la soumettre.
Cela dit, en tant que porte-parole du gouvernement, il est sensé ne plus improviser et s’en tenir à ce qu’il est chargé par Matignon de nous communiquer.
Donc, qu’il le pense personnellement ou non, il a bien prononcé ces mots :
« Les factures d’électricité et de gaz des Français auraient dû augmenter de plus de 100%. »
Je précise qu’il s’agit de l’effet bénéfique du bouclier tarifaire dont bénéficient les ménages, pas les entreprises.
Les alternatives gagnantes
Ces dernières ont accès aux marchés à terme qu’ils peuvent utiliser comme bouclier à leur convenance, qu’il s’agisse de la quantité comme de la durée.
Il se trouve que ces couvertures d’une durée forcément limitée prises avant le conflit russo-ukrainien arrivent progressivement à expiration ; et que les tarifs pour 2023 sont devenus hallucinants. Au moins 420 € le MWh, alors que le tarif auquel EDF est contraint de ventre son électricité à des concurrents reste à 42 €. Des concurrents qui – c’est un comble – n’en produisent pas, mais peuvent le revendre au prix spot, c’est-à-dire 420 €, aux clients perdus par leur concurrent historique.
Des opérateurs « alternatifs » qui n’ont eu à investir que dans le marketing et des tableurs excels peuvent donc faire une culbute de 380 €, aux dépens de du groupe qui a créé toutes les infrastructures et le réseau de distribution… qu’il doit également partager avec ses rivaux.
Cela pourrait faire pouffer de rire un élève de CM2, tellement ce fonctionnement heurte le bon sens le plus élémentaire… mais la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, semble tomber des nues et faire part de son étonnement, tellement l’évolution du marché lui semble remplie de mystères insondables.
C’est pourtant elle qui s’improvisa porteuse du projet – ou plutôt de l’impératif – de boycott du gaz russe, que l’ensemble des pays de l’UE, à l’exception notable de la Hongrie, s’empressèrent d’approuver et de mettre en application, sans avoir sécurisé au préalable la moindre source d’énergie de substitution.
Après bien des turpitudes, l’Europe est parvenue à négocier des livraisons de gaz auprès de l’Azerbaïdjan (qui se fournit quasi exclusivement en Russie) et réussit à importer du GNL de Chine (également du gaz provenant à l’origine de Russie).
Pour résumer, nous achetons du gaz russe qui a transité par des intermédiaires qui nous le facturent 30% de plus qu’ils l’ont obtenu auprès de Gazprom.
En ce qui concerne le diesel, il provient des raffineries indiennes qui ont doublé leur production en six mois. Comme vous le savez, l’Inde ne produit pas (beaucoup) de pétrole, donc ce raffinage est possible parce qu’elle a doublé ses importations en provenance de… Russie.
Nous comprenons que nous ne comprenions pas
Nous touchons au sublime !
Mais cela ne suffira pas à permettre aux centrales thermiques allemandes de tourner à plein régime et de faire retomber le MWh sous les 100 €.
Ursula von de Leyen exprime sa sidération de la façon suivante :
« Nous comprenons à présent à quel point nous comprenions peu comment se forment les prix de l’électricité. »
Un élève de CM2 oserait le raisonnement suivant : mettez à l’arrêt 55% des réacteurs nucléaires (par idéologie gouvernementale pro-renouvelables et manque de moyens pour la maintenance) du principal producteur européen d’énergie « pilotable », coupez de moitié (de 50 à 26% officiellement) l’approvisionnement en gaz des centrales thermiques allemandes, tandis que la demande industrielle reste constante, et la rareté fera flamber les prix.
S’ensuit un discours sur la « nécessaire refondation » du marché de l’électricité en Europe.
C’est un peu comme monter dans une voiture, percer son réservoir ou le conduit d’alimentation, démarrer en première et monter à 8 000 tours minute, sans passer la seconde ou la troisième, mettre la clim’ à fond… et tomber en panne sèche au bout de 5 km (en l’occurrence 5 mois), puis se demander pourquoi le véhicule s’immobilise et – saisi d’une inspiration – décréter que la conception du moteur doit être repensée.
En l’occurrence, il doit effectivement l’être – car EDF doit cesser d’être spolié par un système qui favorise ses concurrents, par exemple –, mais la cause effective et incontestable de la panne, c’est le manque de carburant, et non un dysfonctionnement du turbo.
Et le discours qui nous est tenu est que pour éviter la panne (due à des causes tellement complexes qu’on a du mal à les concevoir), il s’avère impératif que tout le monde descende pour pousser le véhicule qui ainsi consommera moins ne restera pas planté en rase campagne au beau milieu de l’hiver (bientôt un « pass énergétique », avec quota de fioul par habitant, comme au Sri Lanka ?).
D’autres pénuries
Voilà pour la pénurie de gaz ou de carburant, mais nous n’en avons pas fini avec les pénuries : après l’huile de tournesol, la moutarde, voilà que BFM titre « pourquoi nous pourrions manquer de crème et de beurre ».
La coupable, c’est la sécheresse, avec une herbe pas assez verte, ce qui engendre un lait plus assez gras pour faire du beurre.
Le géant Lactalis (marques Lactel et Président), a évoqué le risque de pénurie auprès du magazine 60 Millions de consommateurs : vite un « pass climatique » pour éviter que nos prairies se transforment en paillasson !
Ceux qui ont visité des fermes usines, ou des exploitations laitières regroupant des centaines de têtes (ce qui est mon cas), la prairie, c’est pour la photo punaisée sur les murs de la coopérative !
Les laitières sont à 100% en stabulation, nourries au foins, granules, compléments alimentaires favorisant la lactation : s’il n’y a pas un brin d’herbe à brouter à 10 km à la ronde, cela ne change rien à leur alimentation.
Mais un autre problème bien plus sérieux est apparu : avec la flambée du prix du gaz, celui des engrais azotés (le fameux ANFO) a sextuplé et les quantités utilisées pour produire des plantes fourragères ont été réduites, d’où des rendements moindres, et en effet, la sécheresse a fortement contribué à réduire le rendement (en quintaux par hectare).
Et ce problème des engrais devenus inabordables impacte également les rendements céréaliers, maraichers, mais aussi la production avicole, porcine, bovine ce qui fait flamber le prix des aliments de base, de telle sorte que l’INSEE a mesuré une inflation de 7,7% des prix alimentaires et de 10,5% du « panier » de la ménagère.
Officiellement, l’inflation a ralenti à 5,8% en août, grâce à la modération du prix des carburants après la flambée de juillet, mais ceux qui ont pris des vacances et parcouru plusieurs centaines de kilomètres ont bien l’impression que leurs vacances leur ont coûté largement plus de 10% par rapport à l’année dernière (en prenant pour hypothèse un séjour dans le même lieu de villégiature, le même camping, la même maison familiale, la même demi-pension ou le même Airbnb).