Ceux qui disent que le marché est à sa juste valeur, parce que les taux d’intérêt sont de 1%, ne disent rien d’autre que ceci : le marché est à sa juste valeur pour ne vous rapporter lui aussi que… 1% !
Ceux qui décrètent que le marché boursier n’est pas cher prennent comme base de comparaison les dix dernières années, lesquelles sont des années exceptionnelles, que l’on appelle le New Normal. Le New Normal, ce sont les taux d’intérêt quasi nuls, les liquidités surabondantes, et le put de la Fed.
À partir de 2008, les banques centrales ont fait exploser le PER de Shiller avec beaucoup de QE et des taux d’intérêt bas. Elles ont mis à zéro les taux d’intérêt sans risque, créant un entonnoir pour les fonds en recherche de rendement. Elles ont obligé à prendre toujours plus de risques, ce qui fait que la rémunération pour prendre des risques – la prime de risque – a disparu. On n’est plus payé pour compenser les risques que l’on supporte en Bourse.
La disparition des primes de risque a été produite par la Fed par l’instauration du put, c’est-à-dire qu’en fait, la Fed a dit « ne vous préoccupez pas du risque, nous le prenons à notre charge et nous vous mettons un filet de sécurité sous les indices ». Ce put a en fait été instauré en 1987, on le voit sur le graphique ci-dessous :
À partir de 2008, les banques centrales sont allées plus loin ; elles ont encore fait exploser le PER de Shiller avec beaucoup de QE et des taux d’intérêt bas. Le PER de Shiller, qui serpentait sur la vague d’une révolution industrielle, a dépassé ses bornes. Je vous rappelle qu’à la fin de la deuxième révolution industrielle en 1932, le PER de Shiller st tombé à 5X. On est au-dessus de 31X.
Les politiques qui ont suivi la crise financière de 2008 ne sont pas extrapolables à l’infini, car le lien avec le réel finit par craquer pour cinq raisons au moins.
- On ne peut abaisser les taux d’intérêt sous la borne du zéro, donc à un moment donné, le moteur du Ponzi qui est la recherche de rendement à tout prix disparaît.
- Les liquidités ne peuvent continuer à croître sans déclencher la hausse des prix des biens et des services, on l’a vu en 2020.
- L’instabilité de type Minsky s’installe, car la plupart des créations de dettes deviennent spéculatives et la qualité du crédit se détériore de façon exponentielle.
- La devise finit par être contestée et le financement des déficits devient impossible.
- Les inégalités sociales deviennent explosives et les arrangements politiques se délitent.
Hélas, le New Normal est un mauvais critère de long terme ; le critère de long terme efficace, c’est celui qui est établi sur la base un cycle complet qui comprend un cycle de baisse des taux et un cycle de hausse de taux, et c’est la moyenne tout au long de ce cycle qui peut servir de guide pour investir. Cela, c’est le premier point. Le second point est la malhonnêteté intellectuelle qui consiste à dire que ce n’est pas cher sans préciser par rapport à quel taux de rendement de son placement espéré cela est jugé.
Ceux qui disent que le marché est à sa juste valeur, parce que les taux d’intérêt sont de 1% par exemple, ne disent rien d’autre que ceci : le marché est à sa juste valeur pour ne vous rapporter lui aussi que… 1% !
La notion de juste valeur est une escroquerie marketing au pire et une tautologie suspendue dans les airs, au mieux ! Il n’y a pas de juste valeur en soi, il n’y a de juste valeur que par rapport à un rendement attendu.
La profession financière pour avoir des prétentions scientifiques, ou au moins honnêtes, devrait se payer les services d’un spécialiste en épistémologie, qui passerait au crible les fondements de ses théories !
Le prix d’un investissement détermine le taux de rentabilité de ce placement. Si vous achetez un immobilier qui rapporte 5% au prix de 100, il ne vous rapporte plus que 2,5% lorsque son prix passe à 200. Et c’est la même chose pour la Bourse. Si vous achetez cher, alors votre rentabilité chute ; le critère complet non-malhonnête est un critère qui se formule en relation avec la rentabilité espérée.
Mais ceci est escamoté, car implicitement, vos conseils et ceux de vos banques ne s’appuient pas sur une appréciation de la rentabilité interne de votre placement, non ; ils jouent sans le dire sur l’espoir de la plus-value Ponzi que chaque intervenant en Bourse a dans sa tête : les vendeurs de titres jouent sans le dire sur cet appât du gain procuré par le Ponzi – l’existence de plus cons que vous – et non sur la performance de la société dans laquelle vous investissez. Pour eux, un bon prix, c’est le prix auquel votre actif se traitera le mois prochain quand un investisseur plus stupide que vous sera venu acheter et aura fait monter le cours.
La notion de placement avec rentabilité interne procurée par la performance de l’entreprise a disparu au profit de l’espoir du Ponzi, qui est ancré depuis 2011 dans les têtes et les comportements. Mais c’est un phénomène temporaire qui disparaîtra le jour où les politiques monétaires deviendront différentes.
Les actions sont bon marché si vous vous contentez d’un rendement de 2% ; elles sont chères si vous exigez un rendement de 4%, et elles sont hors de prix si vous espérez le rendement normal historique de long terme du marché boursier, qui est de 10% en nominal, dividendes réinvestis.
Aux cours actuels comme le dit le meilleur fondamentaliste vivant, Hussmann, les actions américaines sont valorisées pour ne rien rapporter du tout sur une perspective de 12 ans, et pour subir entretemps des baisses qui pourraient atteindre les 50%. Ce sont ces considérations qui importent par exemple lors d’un investissement pour la retraite.
Dire que les actions ne sont pas chères maintenant équivaut à dire que le New Normal est là pour durer toujours, que l’on va retourner au taux de quasi zéro et que les dettes vont continuer de gonfler sans limite et que tout cela va « tenir » éternellement sans accident, sans collision avec le réel.
En clair, cela signifie qu’il n’y aura jamais de réconciliation entre les valorisations bullaires et les fondamentales. Attention, c’est mon pari personnel ; je soutiens qu’il n’y aura jamais de réconciliation, parce que si une réconciliation vraie se dessinait, alors la Fed referait le coup du « coûte que coûte ».
Mais afin de refaire des « coûte que coûte », il lui faudra prendre de plus en plus de risques d’instabilité, et un jour ce sera soit l’implosion soit l’explosion… au choix !
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]