** Les opérateurs américains avaient ressorti mardi soir les cotillons, les trompes de supporters… et surtout la liste des meilleurs restaurants de New York où ils pourraient déguster un repas absolument hors de prix, le champagne millésimé coulant à flot au fil des nombreux toasts portés à la santé de leur idole Ben Bernanke.
C’est une nouvelle fois grâce à lui que le dernier verrou graphique et psychologique des 1 555 points sur le S&P 500 vient de sauter comme un bouchon de Dom Pérignon 1995. Le Dow Jones, pour sa part, s’est envolé de 130 points au cours des deux dernières heures de transactions (pour en terminer à 14 165 points) sitôt disséqué le contenu des minutes de la dernière réunion de la Fed du 18 septembre dernier.
Il en ressort que les pressions inflationnistes devraient rester contenues ; Janet Yellen a confirmé cet heureux diagnostic dans les minutes qui ont suivi le communiqué officiel de la Fed, en affirmant que la situation s’améliorait dans ce domaine. La croissance quant à elle ne devrait pas trop se ressentir de la crise du subprime, même si des incertitudes persistent.
** La décision d’abaisser le taux directeur de 50 points a été prise à une touchante unanimité. Les économistes affichent leur confiance indéfectible dans la capacité de la Fed à tenir les ours éloignés de l’innocente Goldilocks pendant encore de longs mois. Le fait que le FMI réduise d’un tiers ses estimations concernant précisément la croissance américaine en 2008 (de 2,8% à 1,9%) n’a en rien gâté leur bonne humeur…
… pas plus que la perspective d’une poursuite de la crise immobilière jusqu’à fin 2008. Selon une étude de la National Association of Realtors publiée ce mercredi même, les ventes de maisons individuelles devraient chuter encore plus fortement que prévu le mois dernier au cours des trois prochains mois. Si les prix résistent mieux (en dépit de transactions à -30%/-40% par rapport à la valeur moyenne des biens avant la crise du subprime), les saisies devraient atteindre leur paroxysme au printemps prochain, quand un maximum de prêts à géométrie variable viendront à échéance.
Vous connaissez le principe : les emprunteurs bénéficient d’une formule permettant des remboursements insignifiants au cours des deux premières années. Survient ensuite le coup de massue dès que les mensualités retrouvent leur format normal : poursuite du paiement des intérêts auquel s’ajoute cette fois-ci le principal.
Ce n’est pas grave, il suffit de revendre avec profit — naturellement, puisque l’immobilier est destiné à grimper éternellement — et de repartir sur une nouvelle acquisition. La seule difficulté est de trouver un déménageur qui suive le rythme !
** En Bourse, c’est un peu pareil : une fois que l’on a doublé la mise à Hong-Kong en deux ans, triplé la mise en un an à Shanghai, il n’y a plus qu’à ramasser ses jetons et partir en quête d’une nouvelle bulle… et beaucoup de rédacteurs de la Chronique anticipent que ce sera celle du métal précieux puis des mines d’or.
Mais la spéculation se montre toujours réticente à jeter son dévolu sur un support qui grimpe pour de bonnes raisons : il est plus difficile d’y orchestrer une spirale haussière car c’est un marché de connaisseurs… alors que pour que les cours s’envolent sans retenue, il faut beaucoup de naïveté, d’exubérance irrationnelle et de réflexes moutonniers.
A ce propos, nous venons d’assister à un raté historique : le franchissement des 1 565 points par le S&P 500 et des 14 150 par le Dow Jones n’a pas débouché sur le déclenchement de ces rafales d’achats automatiques auxquelles nous sommes accoutumés dès qu’une résistance majeure vient d’être « soulevée » (pour reprendre une expression chartiste).
Les records de mardi soir n’ont en fait soulevé qu’une vague de scepticisme. A l’heure où nous rédigeons ces lignes, le Dow (-1%) a d’ores et déjà effacé ses gains de la veille, tandis que le S&P revient se positionner lui aussi sous ses précédents plus hauts absolus du milieu du mois de juillet dernier, au risque de confirmer la formation d’un splendide M baissier.
** Mais qu’est-ce qui cloche ? Alcoa a certes donné raison aux estimations bénéficiaires les plus prudentes — à 63 cents par action contre 61 cents en 2006 — car cette progression résulte d’un profit exceptionnel résultant de la cession de sa participation dans le sidérurgiste chinois Chalco. Le chiffre d’affaire ressort en baisse, ce qui est peu surprenant puisque son principal concurrent Mittal a déjà reconnu enregistrer une chute sévère des commandes d’acier aux USA en 2007.
Mais le recul d’Alcoa ce mercredi (-3,5%) ne fait qu’effacer les gains de la veille : le cours du titre est revenu à la case départ. Il est à présent soutenu par l’annonce d’une spectaculaire extension du plan de rachat d’actions qui passerait de 10% à… un quart du capital encore en circulation.
De quoi soutenir le cours de n’importe qu’elle entreprise confrontée à la stagnation de ses activités ! Chevron, qui a lancé un profit warning dès mardi soir — n’a plus qu’à imiter ce sage exemple et les investisseurs ne tarderont pas à oublier ses déboires dans son activité raffinage. Sans parler de Boeing (-3%), qui révèle un retard de six mois dans la livraison de ses premiers Dreamliners (B 787).
** Cela n’a rien à voir avec le cours du dollar, qui rechute sous les 1,4150/euro : voilà un sujet d’inquiétude bien concret pour nos gérants européens. Cependant, cette difficulté s’efface devant l’argument imparable de la croissance mondiale galopante qui rend les entreprises plus profitables que jamais (pour peu qu’elles prennent la précaution de se couvrir efficacement contre la volatilité des changes).
Le dollar n’a probablement pas fini de glisser vers les 1,50/euro : un membre de la Fed a déclaré ce mercredi que la faiblesse du billet vert « présente quelques avantages » pour l’Amérique. Si l’Europe souffre et s’alarme d’un euro trop fort, le coupable désigné demeure la Chine qui manipule sa devise sans vergogne à la baisse… mais qu’adviendrait-il si Pékin cessait de convertir son yuan en bons du Trésor US et se mettait à les arbitrer en faveur de l’or ?
Si les athlètes chinois en remportent beaucoup aux prochains Jeux Olympiques, il va falloir en acheter quelques quintaux pour fondre les médailles — mais les spécialistes observent que l’Empire du Milieu en accumule déjà par dizaines de tonnes. Peut-être est-ce pour frapper une série de pièces commémoratives immortalisant l’événement… à moins que ce ne soit pour célébrer la déconfiture historique du dollar, une interprétation pour laquelle nous avouons avoir une petite préférence…
Philippe Béchade,
Paris