** Les résultats commerciaux du Black Friday — la fameuse orgie consumériste qui ponctue les célébrations de Thanksgiving aux Etats-Unis — étaient attendus par les marchés avec une fébrilité et une appréhension au moins aussi grande que le prochain plan de licenciement massif anticipé de façon imminente chez Citigroup. C’est tout dire !
Lundi matin, les sources d’informations étaient presque aussi nombreuses que les grandes enseignes cotées sur le S&P 500. Mais CNBC, par exemple, a choisi de ne retenir que les estimations de Shopper-Trak RCT Corp. Un excellent choix, en effet, puisque cet institut de sondage privé a mesuré une envolée de 8,3% du chiffre d’affaires des centres commerciaux, hypermarchés et autres surfaces de vente implantées sur le sol américain.
Une hausse de 8,3%… Wall Street n’osait en rêver, les consommateurs américains n’ont jamais fait mieux — en terme de volumes notamment — mais les chiffres sont trompeurs. La valeur moyenne du caddie a reculé de 3,5% par rapport à 2006 et les bijouteries ont été désertées : avec une hausse de 25% à 30% des articles en or et en argent, cela se comprend !
Les acheteurs ont simplement été plus nombreux — les experts avancent le chiffre de 5% — et ils ont cédé à la tentation de super promos. Peu importe la qualité des articles… une télé LCD, un smartphone ou une caméra numérique, cela produit des images et du son, toutes les marques se valent à peu près sur le segment des appareils entrée de gamme et les low cost sont souvent les plus innovants en matière de design !
Les détaillants confirment le succès des produits électroniques grand public de type multimédia. Leur prix a considérablement baissé au cours des 12 derniers mois, les consoles de jeu restent chères. Mais elles font à peu près tout ce que fait un ordinateur, sauf la gestion des tableurs Excel. Et tout ceci pour un coût moindre, si l’on considère l’accès à Internet rapide, le stockage de données numériques par le protocole Blue Ray et la lecture de tous les supports audio et vidéo existants à ce jour.
** En faisant une moyenne, lundi soir, des données disponibles auprès de sources aussi diverses que les géants de la distribution, les banques — qui enregistrent les mouvements sur les cartes de crédit –, les agences de presse, nous obtenons, pour l’ensemble du week-end de Thanksgiving, une hausse de 5% des dépenses des ménages par rapport à 2006.
Poètes s’abstenir, le hard discount s’est taillé la part du lion : +18% et près de 31% de la clientèle. N’oublions pas non plus les ventes en ligne sur Internet (20%), à coup de grandes promos et de prix cassés.
En outre, les plages horaires d’ouverture des centres commerciaux ont été étendues, ce qui pourrait avoir dopé les ventes à court terme, au détriment des jours à venir…
Certaines enseignes n’ont pas hésité à ouvrir dès 00h01 vendredi matin. La grande messe de minuit de la consommation fut un succès sans précédent et les grands prêtres du marketing n’en sont pas encore revenus ! La foule des « nuiteux » se pressait devant les portes de J.C. Penney à quatre heures du matin. C’est-à-dire une heure plus tôt que de nombreux rivaux (Wal-Mart, Sears, Home Depot), qui avaient pourtant avancé de trois heures la levée des rideaux de fer et repoussé la fermeture d’autant.
Les images des bousculades, de collisions de caddies ou de véhicules sur les parkings ont été diffusées en boucle aux Etats-Unis durant 48 heures sur l’ensemble des chaînes d’information nationales ou locales. Une pagaille comparable aux principaux axes de circulation un jour (pas si lointain) de grève des transports publics en région parisienne.
Nous avons du mal à croire que nos amis américains y prennent plaisir. Mais nous avons une fâcheuse tendance à sous-estimer l’excitation causée par le shopping et la chasse aux gadgets outre-Atlantique. S’agissant des Chinois, cela s’expliquerait mieux car cela fait 50 ans qu’ils attendent de découvrir les joies ineffables de la société de consommation…
Le paradoxe, c’est que ce sont les épargnants de l’Empire du Milieu qui financent les orgies de dépenses de l’Empire State. La devise de notre planète est en quelque sorte devenue « made in China, purchased in America« .
Nous autres Français fuyons autant que possible les embouteillages, nous avons eu notre dose mi-novembre. Et nos banquiers ne manquent pas de nous rappeler à l’ordre lorsque l’encours de nos cartes de crédit excèdent nos capacités de remboursement. Mais aux Etats-Unis, si vous n’êtes pas
(sur)endetté, vous n’obtenez pas un sou de votre banque !
Même plombés par le subprimes, les Citigroup (-3% lundi soir à Wall Street) et autres Bear Stearns continuent de prêter à livres ouverts : cette folie ne s’arrêtera donc jamais ?
** Dans ces conditions, nous restons interloqués par la chute de 3% de Home Depot et le recul de 1% de Wal-Mart ce lundi soir. Et c’est peut-être l’une des clés du retournement complet de tendance observé en Europe au cours des heures qui ont précédé.
L’actualité du jour ne fut pourtant ponctuée d’aucune nouvelle alarmante ; divers analystes continuent de dégrader Freddie Mac, mais le pli est pris depuis une semaine. Le dollar semble s’être stabilisé autour de 1,4850/euro, faute de statistiques officielles susceptibles d’assombrir les anticipations des investisseurs au sujet de l’économie américaine.
Le CAC 40 a reperdu 118 points en moins de sept heures (par rapport à un zénith de 5 568 points inscrit en tout début de matinée). Paris a rechuté au final de 1,14%… cela peut paraître « lourd », mais cette correction n’efface que la moitié des gains engrangés vendredi.
Les banques françaises qui avaient flambé collectivement de 5% la veille reperdaient 2,5% en moyenne. Mais le secteur qui a connu le revers le plus sérieux fut bel et bien celui de la distribution, avec -2,9% sur PPR puis -2,15% sur Carrefour et -1,5% sur Casino.
Et nous vous quittons sur ce constat qui nous tracasse depuis mercredi dernier. Les ménages américains, pour schématiser, ont accru leurs dépenses en dollars de 5% par rapport à novembre 2006… soit ! Mais le billet vert ne valait-il pas à l’époque 1,2850/euro ?
Cela signifie que les exportations chinoises vers les Etats-Unis ont peut être reculé de 10% en valeur puisque le dollar en a perdu 15% face à l’Euro et 12% par rapport au yuan (qui culmine à 7,40/$).
** Est-ce que les achats européens suffiront à assurer une croissance harmonieuse du commerce extérieur chinois ? Et Pékin, en retour, a-t-il intérêt à acheter européen ?
Le voyage de Nicolas Sarkozy en Chine est-il le succès que le gouvernement claironne sur tous les tons ? Le repli d’EADS — même symbolique — ce lundi nous intrigue.
Et que dire de la vulnérabilité de Wall Street et des indices de la zone euro !
Philippe Béchade,
Paris