Par Simone Wapler (*)
M. Trichet ne manque pas une occasion d’affirmer qu’il combat l’inflation. Certains le fustigent et le caricaturent tel un guetteur du Désert des Tartares. Ils aimeraient voir M. Trichet ouvrir le robinet des liquidités en baissant le taux directeur de la BCE.
Mais M. Trichet reste la main crispée sur son robinet. Avec l’autre main posée sur le coeur, il jure qu’il combat l’inflation. Il n’écoute pas les suppliques des traders déshydratés, des banquiers haletants, des assureurs pris à la gorge. Même les exportateurs angoissés tirent la langue : ils aimeraient bien voir l’euro à égalité avec le dollar. Mais point de ce nivellement par le bas, M. Trichet combat l’inflation, dormez en paix braves gens !
Mais au fait, quelle inflation ? Celle des prix à la consommation, dont se plaint madame Michu lorsqu’elle remplit son caddie ou paie ses factures ? Ou l’autre dont on ne parle plus guère : celle de la masse monétaire, de l’inflation des actifs ? Car pour cette dernière, la BCE semble bien laxiste.
La masse monétaire doit croître au même rythme que le PIB
La masse monétaire représente la somme de trois composantes :
– les pièces et billets (le porte-monnaie de madame Michu) ;
– les dépôts à vue et les comptes sur livret (les comptes courants et livrets A de monsieur et madame Michu) ;
– les instruments négociables sur le marché monétaire (le contenu du PEA de monsieur et madame Michu avec ses actions, ses obligations, ses OPCVM).
La masse monétaire, dite M3 en jargon d’économiste, résulte de cette somme à l’échelon national, ou européen.
Nous vivons dans un monde de monnaie fiduciaire. Le PIB est la mesure de la richesse d’un pays, puisque c’est la somme de la valeur de tous les biens et services produits. La richesse est donc ce qui est produit. La masse monétaire est le reflet de la richesse d’un pays. Mais quelquefois, un peu ivre, on confond la réalité et le reflet…
Dans "fiduciaire" il y a fidus — la confiance : la monnaie repose sur la confiance. La confiance repose sur la richesse du pays. Si un pays s’enrichit, il est normal que sa masse monétaire M3 augmente. Un pays s’enrichit à la mesure de la croissance de son PIB. Tout cela M. Trichet, comme madame Michu, le savent bien. Et madame Michu fait confiance à M. Trichet. Certes parfois, elle se demande vaguement où sont passés les milliards d’euros subitement perdus dans un dévissage du CAC 40. Mais elle a admis l’idée que c’était de l’évaporation M3 temporaire. Rien de très grave, finalement, juste des 0 et des 1 dans des ordinateurs. Et le CAC finit toujours par repartir.
La BCE ne maîtrise pas la masse monétaire M3
"Compte tenu de la vigueur persistante de la dynamique de M3 ces dernières années, la liquidité dans la zone euro demeure nettement supérieure au niveau nécessaire au financement d’une croissance économique non inflationniste. Cette situation est porteuse de risques pour la stabilité des prix à moyen terme et appelle la vigilance."
Madame Michu a pu traduire sans peine ce bulletin de la BCE daté de septembre 2005 : l’émission d’euros augmente plus vite que la richesse de la zone euro.
Depuis 2005, M3 croit annuellement de plus de 11%, pour une croissance du PIB inférieure à 3%, selon les propres chiffres de la BCE. La différence est de 8% par an et cela fait deux ans et demi que ça dure. Plus de 22% de l’argent actuellement en circulation dans la zone euro ne repose sur aucune création de richesse ! Cela fait encore une bonne marge de dégringolade du CAC 40, du DAX, de l’Eurostoxx et des produits dérivés…
Une seule chose ne dérive pas : l’or
Mystérieusement, son cours en euros anticipe l’inflation de M3… comme si l’or doutait de la sincérité de M. Trichet. Ainsi, tandis que la masse monétaire de la zone euro s’est accrue de 22,2%, l’or lui, gagnait 37,5% en euros.
M. Trichet est probablement sincère, mais comment lutter contre ses homologues de la Fed qui manient si hardiment la planche à billets et le crédit facile ? La croissance monétaire M3 américaine a été de 8% annuel jusqu’à fin 2005, de 10% en 2006 et enfin de 15% en 2007 — chiffres estimés depuis mars 2006, date à laquelle les Etats-Unis ont décidé de ne plus publier M3. Et comment lutter contre les états dispendieux de la zone euro qui vivent au-dessus de leurs moyens depuis des décennies, empilant les déficits budgétaires financés par toujours plus d’emprunts d’Etat. Faut-il rappeler que le budget de la France est déficitaire depuis 1980, soit 28 ans ?
L’or anticipe la crise
D’un côté de l’Atlantique, des ménages vivent à crédit pour financer leur consommation courante. De l’autre côté, des états vivent à crédit pour assumer leurs fonctions courantes. Tout le monde vit au-dessus de ses moyens depuis trop longtemps. A chaque fois que madame Michu a connu des gens qui vivaient au-dessus de leurs moyens, cela s’est terminé tragiquement pour eux. Heureusement, madame Michu a son petit tas d’or en cas de débâcle de la M3 mondiale.
Elle aimerait bien en acheter un peu plus, et elle guette la moindre faiblesse du métal jaune. Quand allez-vous pouvoir, comme Madame Michu, entrer ou vous renforcer sur l’or ? Nous allons voir cela de plus près.
La consolidation de l’or se fait attendre, mais notre objectif reste 1 800 $ l’once
Depuis septembre 2007, l’or est en croissance continue et n’a marqué que deux pauses. Baisse des taux directeurs de la Fed, difficulté de production en Afrique du Sud en raison de pannes d’électricité, achats à l’occasion des fêtes du nouvel an en Asie, préparation de la saison des mariages en Inde : l’or n’a jamais eu le temps de redescendre vraiment, sous 800 $ l’once.
La pression des acheteurs d’or d’investissement est motivée par les inquiétudes concernant la crise financière. Elle se superpose à celle des acheteurs d’or de joaillerie, motivée par la saisonnalité. Ceux qui achètent pour le long terme (un an et plus) n’ont rien à craindre des niveaux actuels. Ils doivent se souvenir que l’objectif à 18 mois est de 1 800 $ l’once, soit 1 250 euros.
Meilleures salutations,
Simone Wapler
Pour la Chronique Agora
(*) Simone Wapler est analyste, journaliste et ingénieur de formation. Elle a déjà contribué à des publications telles que Le Point, Enjeux, Les Echos, Chart’s… Spécialisée dans les valeurs industrielles, les matières premières, les énergies, l’or, les minières Simone Wapler est passionnée par et les investissements "tangible". Elle analyse chaque mois le secteur aurifère et les marchés étrangers dans la lettre d’investissement Vos Finances – La Lettre du Patrimoine et elle intervient régulièrement dans l’Edito Matières Premières ou dans différents rapports d’investissements.