** Nous vous avions expliqué mercredi comment Wall Street avait opté depuis le début de l’année pour une évolution "alternative" qui ne lèse personne : une semaine de hausse ou une semaine de baisse en fonction d’un tirage au sort survenant le vendredi soir. Cependant, l’arbitre vient apparemment de siffler un temps mort au moment où les ours semblaient sur point de faire le break… qui aurait bel et bien pu être décisif.
La séance avait très mal commencé à Wall Street hier, une extrême nervosité des marchés refaisant surface au lendemain d’une séance-catastrophe. Le Dow Jones, en repli de 0,9% au bout d’une demi-heure de cotation (qui s’ajoutait aux 3,8% perdus la veille) tutoyait dangereusement ses planchers du 21/11/2008.
Le Dow effectuait une incursion sous les 7 500 points, soit une perte annuelle de plus de 14,5%. Ce dangereux faux pas vers les 7 470 points a déclenché un véritable trou d’air en Europe puisque vers 16h15, les pertes dépassaient 1,5% à Paris et 2,5% à Londres.
Il ne manquait plus qu’une pichenette du destin pour précipiter Wall Street vers ses planchers d’octobre 2002 et le CAC 40 vers les 2 500 points… mais la "main invisible" s’est interposée. Elle a peut-être jugé que les marchés n’avaient pas repris assez d’élan depuis le zénith du 6 janvier dernier, inscrit à peine 10% au-dessus des cours actuels… ce qui fait petit joueur lorsque les indices gagnaient ou reperdaient jusqu’à 10% en une seule séance l’automne dernier.
La "main invisible" sait également de quelle couleur sera la bille (verte ou rouge) extraite du gobelet la semaine prochaine — et pour cause : c’est elle qui la sélectionne ! Si le Dow Jones avait cassé les 7 500 points (ou l’Eurotop 100 les 1 640 points), personne n’aurait plus eu besoin de ses services car tout le monde l’aurait vue rouge, même si elle avait été d’un vert à rendre jaloux le plus doux des printemps.
** Paris est revenu de loin hier ; le CAC 40 a repris 1,5% en l’espace d’une heure mais n’est pas parvenu à clôturer dans le vert — en dépit du retour des indices américains en territoire positif avec un Dow Jones qui reprend 0,05% (à 7 555 points) et un Nasdaq qui s’effrite de 0,15% dans le sillage de Research In Motion (-5,7%).
Au final, les indices boursiers se sont beaucoup agités mais la stabilité l’emporte… Trop d’influences contradictoires et une "main invisible" qui veille désormais à ne pas trop avantager ni les ours ni les taureaux, sans quoi la partie perdrait tout intérêt.
Les bears avaient en effet la partie belle avec la dégringolade des mises en chantier en janvier aux Etats-Unis (-16,8% le mois dernier, -56,2% en un an). Simultanément, le nombre de permis de construire reculait de 4,8% à 521 000 (-50,5% par rapport à janvier 2008… c’est le pire score historique depuis plus de 50 ans). La production industrielle américaine a par ailleurs reculé de 1,8% au mois de janvier et de 10% sur 12 mois ; le chiffre de décembre a été révisé en baisse, à -2,4%.
** Les marchés continuent de faire de gros efforts pour digérer des nouvelles économiques qui demeurent les plus apocalyptiques des 80 dernières années en vertu de la loi newtonienne qui postule que chaque manifestation d’une force génère une réaction opposée de force équivalente.
Barack Obama a donc confirmé un train de mesures en faveur des propriétaires "à risque" aux Etats-Unis : 75 milliards de dollars de soutien direct pour leur éviter une saisie de leur logement, 200 milliards de dollars pour doter Freddie Mac et Fannie Mae des capitaux nécessaires pour assurer la liquidité du marché hypothécaire… sans oublier la garantie de taux bas sur cinq ans pour les trois à quatre millions d’emprunteurs qui bénéficieront d’un refinancement de leur prêt immobilier, pour peu qu’ils n’attendent pas le dernier moment pour dévoiler leurs difficultés à leurs créanciers.
Trois heures plus tard, la Fed créait la sensation à l’occasion de la publication de ses minutes (synthèse de sa dernière réunion de politique monétaire des 27 et 28 janvier). Il s’avère qu’elle se fixe pour la première fois de son histoire des objectifs chiffrés de croissance (+2,5% à +2,7%), d’inflation (+1,7% à 2%) et d’emploi à long terme (pas plus de 4,8 à 5%). C’est conforme à ses statuts, qui l’invitent à promouvoir une politique monétaire compatible avec la stabilité des prix et un niveau d’emploi maximal.
Autant d’ambitieux objectifs qui ne pourront se matérialiser en 2009 puisque selon Ben Bernanke et ses collègues, le PIB des Etats-Unis devrait chuter cette année de 0,5% à 1,5% (contre -0,2% à -1,1% précédemment). Le taux de chômage devrait quant à lui augmenter de 8,5% à 8,8%, contre une estimation de 7,1% à 7,6%.
** Cela n’affecte pas le dollar, qui grimpait encore de 0,5% à 1,2560/euro (1,2515 au plus haut). Le billet vert profite de la désagrégation des devises des pays émergents partenaires de la Zone euro (Pologne, Hongrie, Roumanie), sans oublier les avertissements de Bruxelles pour cause de déficits excessifs en France, Italie, Grèce, Portugal…
Mais la France, qui a enregistré 57 000 faillites d’entreprise en 2008 ayant entraîné la disparition de 218 000 emplois, a d’autres soucis plus concrets que d’éventuelles sanctions prononcées au nom d’un pacte de stabilité que beaucoup d’économistes jugent moribond.
Ce pacte n’a empêché ni la crise en 2008, ni l’inflation en 2007 — après avoir sérieusement bridé la croissance en 2005 et 2006. Si les citoyens devaient le revoter à 15 ans de distance, il serait rejeté massivement, sauf par les Allemands et les Néerlandais… jusqu’à ce qu’ils réalisent que la BCE n’a même pas vu venir la déflation et qu’elle n’aura aucun moyen d’empêcher l’hyperinflation.
Et le dollar perdra lui aussi son pouvoir d’achat si la Fed persiste à vouloir larguer des milliards par hélicoptère… sauf qu’elle ne dispose plus d’aucun appareil en état de marche.
** Entre temps, la croissance mondiale serait tombée à zéro, d’après la dernière étude du FMI dont Dominique Strauss-Kahn vient de faire état : il ne faudra pas attendre très longtemps avant que les perspectives d’activité en Zone euro soient à leur tour révisées à la baisse.
Mais souvenez-vous de la loi de Newton : réaction/contre-réaction… Plus la dépression s’aggravera, plus les gouvernements injecteront d’anxiolytiques dans la perfusion du patient. A mesure que son état se détériora, il se sentira envahi par une douce euphorie. Les médecins qui se succèdent à son chevet attendent qu’il se mette à parler d’avenir et qu’il envisage de se relever pour faire fumer sa carte de crédit, avant d’appeler le prêtre qui lui administrera l’extrême-onction et lui délivra l’absolution.
Repose en paix, ô économie de la dette et du "plan de Ponzi"… sans regrets éternels !
Philippe Béchade,
Paris