▪ Nous l’avions annoncé dès vendredi dernier et nous l’avons de nouveau largement argumenté mercredi midi, deux logiques s’affrontent désormais sur les marchés.
Soit les très mauvais chiffres publiés mercredi aux Etats-Unis continuent d’alimenter la mécanique du carry trade (chute du dollar, hausse de toutes les autres classes d’actifs). Soit ils amènent une révision des perspectives bénéficiaires des entreprises sur fond de croissance anémique et les marchés jugeront que les actions sont largement survalorisées.
Et comme vous l’avez souvent lu dans nos Chroniques, peu importe que les taux restent voisins de zéro, tout le monde constate que les effets réels sur la relance sont quasi nuls. Cela avait déjà été le cas au Japon dans les années 90, cela sera encore le cas en 2010 alors que les banques américaines se préparent — très discrètement — à subir l’impact d’un second tsunami de créances douteuses liés aux prêts Alt-A, prime ou jumbo.
La vague sera probablement encore plus puissante que la première car les prêts en déshérence sont en moyenne de taille bien supérieurs aux subprime. Les pertes sur la valeur des biens pris en hypothèque sont largement supérieures à ce qu’elles étaient fin 2007 début 2008 lorsque l’éclatement de la bulle du crédit a tourné à la catastrophe.
▪ Les deux thèses économiques en présence semblent afficher une force de conviction égale comme le démontre la stagnation du CAC 40 vers 3 828 points dans des volumes qui ne dépassent pas les 2,9 milliards d’euros. C’est la preuve que la hausse du début de la semaine ne traduit pas de vague d’achat massive mais plutôt un retrait tactique de la part des vendeurs.
Le statu quo a effectivement prévalu sur l’ensemble des places européennes. Si l’Eurotop 100 a lâché 0,25%, l’Euro Stoxx 50 grappillait 0,1% dans le sillage de Francfort (+0,15%) et de Madrid (+0,65%). Amsterdam lâchait 0,5% et Milan 0,2%.
Des écarts aussi faibles en réponse à une désillusion aussi forte que celle provoquée par les mises en chantier de logements neufs aux Etats-Unis au mois d’octobre, voilà qui apparaît bien singulier. Les mises en chantier dévissent en effet de 10,6% — à 529 000 au lieu de 600 000 anticipées.
Les permis de construire ont de leur côté reculé de 4% à 552 000 (au lieu de 580 000 anticipés en octobre), après un score de 575 000 en septembre — au lieu de 573 000 annoncés initialement par le département du Commerce américain.
Sur les 12 derniers mois, les mises en chantier et les permis de construire ont reculé de 30,7% et de 24,3% respectivement. Les niveaux que nous observons sont les plus bas depuis le début des années 70 — et même 1968 pour les nouveaux dépôts de dossiers de construction.
▪ La réaction des marchés fut légèrement négative sur le coup. Le CAC 40 a rechuté doucement de 3 850 points vers 3 830 points, soit les mêmes extrêmes en séance que la veille — drôle de coïncidence ! Les pertes de la fin de l’après-midi découlaient d’un repli plus lourd que prévu de Wall Street avec un Nasdaq en baisse de 0,85% et un S&P en chute de 0,5% vers 17h00.
Cette consolidation des indices américains n’impressionnait pas toute une catégorie de stratèges et de gérants qui continuent de prétendre, tels des robots n’ayant que des algorithmes en guise de grille de lecture du réel, que les actions ne sont pas surévaluées puisqu’elles sont encore à 30% de leur zénith d’octobre 2007. Comme si ces niveaux pouvaient constituer une référence alors qu’ils ont marqué le point culminant de toutes les erreurs de jugement en termes de valorisation du marché et d’anticipation de la conjoncture économique.
Les inoxydables optimistes au look de premiers de la classe — dont le jugement et les réflexes ont été forgés lors du grand marché haussier de 2003 à 2007 — sont convaincus que les riches heures de Wall Street sont de retour et que le carry trade va continuer de booster les actions durant encore six à neuf bons mois, histoire d’aller taquiner les records historiques.
Ils se disent convaincus que si le dollar repasse d’ici quelques heures ou quelques jours sous le plancher psychologique des 1,50 euro, cela devrait déclencher un nouveau rally haussier à Wall Street. Les paris sur un Dow Jones à 10 500 points et un S&P 500 à 1 220 points restent ouverts d’ici vendredi (journée des « trois sorcières »).
▪ Les principaux détenteurs de dollars sur cette planète vont-ils observer sans réagir une camarilla de spéculateurs influents laminer la valeur du billet vert pour faire exploser le compteur de leurs bonus avant que les bulles qu’ils gonflent depuis la mi-juillet n’éclatent un beau matin ? Et pendant ce temps là, le Trésor américain fait le trottoir à Pékin pour tenter de maintenir l’économie américaine à flot !
Certains de nos lecteurs se demandent à juste raison si le voyage de Barack Obama en Chine n’a pas constitué pour Hu Jintao l’occasion de lui délivrer discrètement un message au sujet de la valeur du dollar. Et si nous avons une petite idée de la teneur dudit message.
Notre réponse est sans ambiguïté négative. Tout ce que nous savons de façon sûre, c’est que Macao a détrôné Las Vegas en nombre de machines à sous et de chiffre d’affaires sur les tables de jeu. Que les deux premières banques du monde en termes de capitalisation sont chinoises. Et que les habitants du pays sont devenus les premiers acheteurs de voitures au monde.
Ce qu’ils vont faire de leurs énormes excédents de dollars — à part en dépenser une partie le plus vite possible — nous n’en savons rien. Deviner ce que le successeur du Grand Timonier a pu dire au président du plus grand pays débiteur de la planète relève du supplice chinois.
Cela ne nous a pas dissuadé de plancher sur ce sujet crucial, mais l’espace nous manque et nous y reviendrons en détail demain, c’est promis.