▪ « On nous dit pô tout », affirme une humoriste qui pimente chaque dimanche après-midi l’une des plus inusables émissions du service public. Si jamais l’envie lui prenait de prendre un peu de distance avec l’actualité politique et les petits travers des grands de ce monde, elle découvrirait un gisement inépuisable de sujets de raillerie avec les turpitudes d’un capitalisme que certains — tels George Soros, Joseph Stiglitz ou Robert Reich — annoncent moribond.
Commençons notre tour d’horizon de l’horreur économique du moment avec la BCE. En fin de semaine dernière, son président a affirmé en substance que les efforts de consolidation du bilan de certaines banques exigent une confidentialité élevée. Cela afin d’éviter que des bruits alarmants circulent sur leur santé financière et la difficulté, apparente sinon avérée, de mise en place de solutions adaptées.
Autrement dit, si la perspective de dégradation des créances hypothécaires en 2010 et l’explosion du taux de sinistres liés aux activités de crédit en 2009 menace de constituer la seconde vague du tsunami de l’excès planétaire de dettes, vous, cher public, n’en saurez rien… car il y va de votre intérêt et de notre tranquillité d’esprit (ou l’inverse !).
La BCE veut faire dans le confidentiel, pour notre bien à tous, lorsqu’il s’agit du secteur bancaire. Mais comment réagit-elle face à des turbulences qui sautent aux yeux de tout le monde et qui semblent appeler des réponses énergiques ?
Nous avons commencé à vous alerter sur la montée en puissance de la thématique des dettes souveraines insoutenables bien avant que les « pâtés de sable » de Dubaï ne sombrent dans les eaux du golfe Persique, entraînant les plus grandes firmes d’investissement locales dans leur naufrage.
Nous vous avons ensuite tenu informé de la focalisation des inquiétudes sur ce sujet précis dans la plupart des débats officiels ou conversations officieuses relatées par les participants au Forum de Davos.
▪ Au cas où personne n’aurait pris la question au sérieux, la spéculation s’est déchaînée contre la dette grecque. M. Papandréou, le Premier ministre en exercice, s’est retrouvé sous le feu des projecteurs chaque fois qu’il poussait la porte d’une salle de conférence ou d’un hôtel de la station helvétique — tandis que la Bourse d’Athènes et le marché obligataire local s’effondraient.
Il a fallu attendre 10 jours pour que la presse française ose évoquer une attaque en règle contre la dette des pays du « Club Méditerranée » (les salles de marché françaises adorent cette expression). Attaque menée de main de maître par une grande banque américaine spécialisée dans les credit default swaps (assurances contre la défaillance d’un émetteur obligataire) et une paire de hedge funds très puissants… et influents.
Bon, cela fait désormais plus de 15 jours que cette petite plaisanterie dure. Tous nos correspondants savent depuis longtemps qui fait quoi et quel est le but de l’opération : faire le maximum de plus-values sur les CDS achetés fin 2009 et obtenir des « rendements canon » lors des prochaines émissions de bons du Trésor grec ou espagnol.
Cette opération commando s’est accompagnée de prises de positions contrariennes (et haussières) sur le dollar dès le début du mois de décembre dernier — alors que 90% des opérateurs se laissaient porter par la vague de carry trade en faveur de l’euro, du dollar australien, du pétrole, etc. Plus l’euro plonge (même pour de mauvais motifs), plus les vendeurs de la première heure (vers 1,5150 $) se remplissent les poches.
Autrement dit, le scénario qui se déroule depuis que les Bourses ont commencé à dévisser apparaît clair comme l’eau de roche qui remplit les baignoires à remous et les piscines de Davos.
▪ La BCE continue pourtant d’observer la scène les bras croisés. Le G7 est quant à lui demeuré muet sur cette brusque résurgence de l’instabilité des changes. Le credo du week-end concernait une taxation des banques pour récupérer une partie des sommes qui leur ont été avancées afin de leur éviter la faillite… Et pour une fois ce sont les grands argentiers anglais qui montent au créneau !
Pas un mot en revanche pour dénoncer de nouvelles attaques spéculatives qui vont rendre la gestion de la crise très difficile pour les pays européens. Ces derniers sont confrontés à des difficultés budgétaires certes incontestables… mais infiniment mois alarmantes et irréversibles que celles rencontrées par une bonne douzaine d’Etats de l’Union outre-Atlantique.
La raison de ce silence ? La BCE n’est pas fâchée que l’euro retombe sous les 1,40 $ — et de nouveau sous 1,3650 $ lundi soir après le trou d’air de vendredi.
Elle fait ainsi d’une pierre trois coups. Cela améliore en effet la compétitivité de l’Europe (comprendre de pays exportateurs comme l’Allemagne, la Hollande, la France ou l’Italie)… cela restaure la possibilité de resserrer la politique monétaire sans être accusée d’étouffer la reprise… et cela donne une bonne leçon à la Grèce qui a intégré la Zone euro en falsifiant sa comptabilité publique (comme si la BCE et Bruxelles ne le savaient pas à l’époque !).
Si la Grèce vient se plaindre du manque de solidarité européenne (ce qui lui a valu un nouveau plongeon de la Bourse d’Athènes de 3,5% lundi), la BCE pourra lui objecter que tous les plans de sauvetage du monde ne pourront pas changer l’opinion du marché au sujet de la corruption et de la fraude fiscale qui gangrènent le pays. Ce en quoi elle n’aurait pas tort… mais est-elle si bien placée pour administrer des leçons de morale — un de ses péchés mignons — même aux membres les moins vertueux de l’UEM ?
La Grèce a au moins raison sur un sujet qui devrait interpeller tous les citoyens du Vieux Continent : l’Europe se montre incapable de parler d’une seule voix — que ce soit pour (ne pas) secourir un pays en difficulté, ou pour mettre en échec ceux qui exploitent cyniquement la désunion de ses membres pour gagner de l’argent en causant le maximum de dégâts économiques possibles.
▪ Pour notre part, nous ne savons que penser du communiqué des membres de la BCE, en pleine tourmente sur les places financières. Les collègues de J.-C. Trichet approuvent la mise en place de « testaments » (« living wills« ) par les banques qui seraient menac&
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te;es de faillite.
Leurs dernières volontés permettraient en théorie une liquidation rapide (reprise de certaines activités par des concurrents) et améliorerait leur gestion interne du risque. Ce serait une façon de réduire l’aléa moral : pile la banque gagne, face c’est le contribuable qui renfloue ses pertes… Cela sonnerait aussi le glas du « too big to fail« . Pour l’heure, toutefois, les banques continuent surtout de dicter… leurs quatre volontés !
L’administration Obama semble sur la même longueur d’onde depuis que la ligne défendue par Paul Volcker (séparer les activités bancaires) l’emporte sur celle défendue par Robert Rubin (fractionner le bilan, c’est réduire la rentabilité).
▪ Wall Street ne semble guère apprécier, en tout cas, comme le démontre la lourde rechute du secteur financier : -3,6% sur Wells Fargo, -3,5% sur Bank of America, -2,5% sur Morgan Stanley, -2% sur Goldman Sachs… Le Dow Jones a enfoncé le palier des 10 000 points, sauvé par deux fois in extremis jeudi puis vendredi dernier.
Si les opérateurs européens avaient soupçonné une telle issue, Paris n’aurait pas rebondi de 1,22% hier en fin de journée. Cela après avoir perdu 0,4% à l’heure du déjeuner et inscrit un nouveau plancher annuel à 3 546 points, un niveau qui n’avait plus été testé depuis le 3 septembre 2009.
Les vendeurs ne désarment pas, et les volumes échangés en témoignent : 3,9 milliards d’euros c’est très supérieur aux précédents lundis de l’année 2010, avec leurs 2,5 milliards d’euros en moyenne.
Ni la chute pratiquement deux fois plus brutale du marché parisien par rapport aux places européennes vendredi, ni le rebond de l’euro au-delà des 1,3710 $ lundi n’ont suscité de correction technique haussière proportionnelle aux pertes subies en 48 heures (-6,5%).
Le CAC 40 n’a pas repris un pouce de terrain par rapport au DAX 30 (+1%) ou à l’Euro-Stoxx 50 (+1,3%). Cette évidence nous incite à craindre que la moindre mauvaise nouvelle concernant la croissance ou les profits des entreprises ne génère l’instauration d’une spirale baissière. Cette dernière constituerait le symétrique de la période d’inflation forcenée des indices boursiers s’étendant du 3 novembre 2009 au 11 janvier 2010 — avec un prodigieux ratio de quatre séances de hausse pour une de timide consolidation… et cinq sur cinq d’occultation délibérée des vrais problèmes concernant les épargnants !