▪ Wall Street a trébuché vendredi. Les indices américains affichaient une perte moyenne de 0,75% qui n’a guère chagriné les commentateurs. L’essentiel reste que le score hebdomadaire ressort largement positif pour le Dow Jones ou le S&P (+1% environ) ; le mois d’octobre s’avère être le huitième mois consécutif de hausse.
Les jeux sont faits pour les spécialistes des contrats à terme et options sur indices. Les bénéfices sont bien au chaud puisque l’expiration de l’échéance octobre intervenait ce vendredi même (journée des "Trois sorcières"). Le risque de rechute des places boursières ne menace réellement que les investisseurs dont la stratégie s’apparente à du buy and hold (acheter pour conserver).
Il s’agit essentiellement des fonds de retraite qui gèrent l’épargne des salariés. Ces derniers cotisent sous forme d’un abondement mensuel non-imposable versé par l’employeur : il s’agit du 401K.
Lorsque la Bourse monte, c’est merveilleux. Lorsqu’elle baisse, c’est l’enfer : impossible de solder son 401K lorsque le marché commence à se retourner — un déluge de pénalités fiscales s’abat sur le souscripteur s’il récupère son argent avant le départ en retraite.
Des centaines de milliers de titulaires de plans d’épargne 401K constatent, non sans angoisse, que plus la Bourse monte, plus les entreprises sont tentées d’y verser leurs propres titres détenus en autocontrôle. Ceux-ci sont aussitôt comptabilisés à leur valeur marché — et peu importe que les cours soient artificiellement élevés.
Dans le cas d’Enron, les dirigeants furent assez cyniques pour se délester de leurs propres paquets de titres à des cours très élevés au "profit" des plans d’épargne retraite de leurs propres salariés… en leur interdisant formellement de les revendre.
▪ Il y a notamment une explication aux faibles volumes observés depuis le début de l’été, malgré la hausse stratosphériques des actions à Wall Street mais également en Europe. Il s’agit de la capacité d’absorption limitée des fonds de retraite : plus de chômage, moins de masse salariale, moins d’épargne long terme.
Tous les acheteurs institutionnels ne partagent pas la vision d’une reprise en "V" qui ferait exploser les bénéfices en 2010 et en 2011. Cependant, il leur est impossible de rester sur la touche car l’un des premiers impératifs demeure de répliquer le benchmark, c’est-à-dire la performance moyenne des actions ou des obligations.
Si les traders encaissent leurs plus-values jour après jour, les plus-values des détenteurs de 401K ne sont que virtuelles.
Et pour bien recadrer le débat, même avec une remontée de 60% des indices boursiers, les fonds de pension demeurent structurellement déficitaires. En cause : l’afflux de départs en retraite des baby-boomers nés après-guerre. Le concept de masses de liquidités qui pourraient être mieux employées est donc largement surfait car les gérants de l’épargne longue doivent disposer en permanence de réserves disponibles et sans risques… typiquement des placements monétaires. Même mal très rémunérés, cela vaut mieux qu’un gisement de moins-values non maîtrisables.
La flambée de Wall Street génère beaucoup de commissions et une centaine de milliards de bonus à se partager entre salariés des divisions banques d’investissement… En revanche, elle ne génère pas d’euphorie chez les ménages américains. Ils redoutent ouvertement que la bulle boursière n’éclate et ne désintègre une nouvelle fois leur épargne retraite.
Ceci, ajouté aux chiffres du chômage, débouche sur une nette rechute de l’indice de confiance des ménages américains mesuré par l’université du Michigan : -4 points à 69,4 au mois d’octobre.
▪ Wall Street a accusé le coup vendredi soir. Le Dow Jones a perdu 1,3% sur le moment — mais il n’enfonçait que de très peu la barre des 10 000 points en clôture (-0,7% à 9 996 points).
Le Nasdaq 100 a rétrogradé de 0,8% vers 1 740 points. Il termine cependant assez loin de ses plus bas du jour ; il y a encore beaucoup d’acheteurs dans le marché mais le soutien dont ont bénéficié les indices américains en fin de journée restait de nature technique.
Un phénomène de fait accompli semble jouer désormais lors de la publication des "bons" trimestriels (Alcoa, Intel, JP Morgan, Goldman Sachs). Les mauvaises surprises sont lourdement sanctionnées : les attentes implicites des investisseurs pour la saison des résultats du troisième trimestre sont probablement trop élevées.
General Electric, qui a fait état d’un bénéfice par action meilleur que prévu, a déçu avec un chiffre d’affaires inférieur aux attentes. Le titre a chuté de 4,25% vers 16 $.
Bank of America, qui a annoncé une perte d’un milliard de dollars (et deux milliards hors contribution de Merrill Lynch) a dévissé de 4,65%. IBM n’a pas démérité au troisième trimestre, mais la société ne peut relever ses prévisions au-delà du raisonnable, et a chuté de 5%. AMD a plongé de 7,3% malgré la réduction de sa perte trimestrielle ; le chemin du retour aux profits est encore long et la bonne fortune d’Intel n’entraîne pas d’effet de contagion positif chez ses principaux concurrents.
▪ La pression baissière a ressurgi en Europe vendredi alors que le VIX venait d’inscrire un nouveau plancher annuel 24 heures auparavant. Le CAC 40 (-1,45%) s’est enfoncé sous 3 830 points dans un gros volume de 4,55 milliards d’euros (normal pour une séance des "Trois sorcières"). L’Euro-Stoxx 50 a chuté de 1,5%.
En clôturant au plus bas et à plus de 2% de ses meilleurs niveaux du jour, le marché parisien a réduit son gain hebdomadaire de 2,5% à 0,75% en quelques heures. Preuve que les bonnes nouvelles ont moins d’impact qu’auparavant, les investisseurs n’ont guère salué la hausse de 0,7% de la production industrielle américaine pour le mois de septembre (+0,8% en août).
Sur le trimestre écoulé, le rebond est de 5,2%. Le taux d’utilisation des capacités de production remonte à 70,5%. L’impact de la prime à la casse s’est avéré déterminant ; des retards de commandes (liés à une foule de problèmes administratifs) pourraient expliquer une activité soutenue dans le secteur automobile au lieu d’une rechute brutale.
De sérieux doutes commencent à refaire surface au sujet de la santé de l’économie réelle. Bank of America fait état de grosses difficultés liées au secteur du crédit à la consommation et de lourdes dépréciations d’actifs dans sa branche prêts immobiliers alors que les créances douteuses atteignent de nouveaux sommets. Même avec un excellent ratio tier one de près de 12,5% (après augmentation de capital), le coeur de l’activité du groupe risque de rogner sur sa solvabilité durant encore de longs mois.
La palme des pires trimestriels revient à MGIC (-13% vendredi). Le premier assureur obligataire aux Etats-Unis (en tant que monoliner spécialiste des municipal bonds mais aussi des CDS) a publié vendredi une perte trimestrielle de 517,8 millions de dollars, ou 4,17 $ par action contre 1,62 $ anticipés. C’est à comparer avec une perte nette de 115,4 millions de dollars et -0,93 $ par action un an plus tôt.
MGIC a ajouté que le taux de défauts de paiement était très lourd : un quasi-doublement en un an, de 7,54% à 13,97%, alors que le troisième trimestre 2008 était déjà catastrophique. Compte tenu de cela, le paiement d’obligations senior qui arriveront à échéance en septembre 2011 pourrait être reporté.
▪ Et comme vous l’anticipiez certainement, le cap des 100 faillites bancaires a été franchi ce week-end aux Etats-Unis… mais pas d’inquiétude ! Selon la Fed et la FDIC, la situation reste sous contrôle.
Il ne reste plus qu’à en convaincre la communauté des cambistes, les Chinois, les pays producteurs de pétrole, les prix Nobel d’économie, les sherpas de la Bundesbank, les détenteurs d’or physique ou de certificats convertibles en métal précieux… Une chute du billet vert sous les 1,50/euro pourrait constituer la clé d’une inversion de tendance des places boursières dès cette semaine.