▪ Nous sommes bien convaincu, depuis fort longtemps, que la psychologie des marchés n’est qu’un alibi facile pour des opérateurs ayant les moyens de faire l’opinion et d’orchestrer des mouvements de troupeau dont les éléments — en apparence les plus dociles, souvent les plus cyniques — savent tirer le meilleur parti.
Ceux-là savent que si les prémices d’un mouvement boursier comportent une part de vérité, l’essentiel des gains provient par la suite des extrapolations les plus délirantes. Les profits viennent aussi de ce qui survient lorsque la raison abdique, lorsque la spirale haussière ou baissière s’emballe, comme avec la bulle des dot.com (de 1998 à 2001), comme avec la bulle immobilière jusqu’à fin 2006, comme avec la bulle pétrolière en 2007 et 2008.
Une vérité déjà connue de tous n’a jamais permis de faire fortune, contrairement à certaines inspirations visionnaires, forcément à contre-courant des opinions les plus conservatrices. Il fallait des mois et des années d’un patient travail à contre-courant pour que la tendance se range enfin du côté des minoritaires les mieux inspirés, les marchés n’aimant guère devoir changer d’avis plus de deux fois par décennie.
Depuis la bulle des dot.com et les procès pour tromperie manifeste qui ont suivi, nous savons que certaines banques d’affaire ne reculaient devant aucun mensonge pour faire de méga-profits sur le dos d’investisseurs non-initiés. Elles agissaient avec la complicité des autorités de tutelle (la SEC notamment… et elle a remis ça avec AIG et Madoff) et des médias friands de sujets à sensation et tout heureux d’être invités à partager les secrets des Dieux.
▪ Lors de la formation de la bulle des matières premières, nous avions annoncé et démontré comment une soudaine désertion au détriment de l’économie virtuelle et des actifs immatériels capables de s’évaporer en quelques heures allait entraîner des arbitrages massifs au profit des commodities (pétrole, cuivre, plomb, métaux rares…).
Mais lorsque le pétrole a débordé les 100 $ pour s’envoler vers 150 $ le baril, lorsque le cuivre a triplé de valeur (passant de 140 à 420 $ la tonne en 36 mois), nous avons tiré la sonnette d’alarme.
Et nous l’avons fait en mars 2008, bien avant que la foule des nouveaux entrants ne se précipite vers une ruine quasi-certaine. Plus nos arguments mettaient en lumière une hystérie spéculative, plus ils devenaient inaudibles pour ceux qui nous opposaient le trop fameux "le marché a toujours raison" ou le non moins fameux "on a toujours tort d’avoir raison trop tôt".
Les gonfleurs de bulles prétendent que le marché finit toujours par corriger ses excès. Cela induit que tant qu’une tendance perdure, il est vain de la remettre en cause puisque toute l’information est prétendument dans le cours. Sauf qu’avec le recours uniforme aux modèles et aux algorithmes, le cours est devenu lui-même la principale information — qui se substitue à toutes les autres.
▪ Les marchés ont ainsi perdu progressivement leur capacité à fixer le juste prix pour un actif. Le sous-jacent (action, monnaie, matière première) n’est plus qu’un objet mathématique dont il s’agit de maximiser la capacité de grimper — ou de s’effondrer — afin de réaliser un profit maximum en un laps de temps minimum.
C’est ainsi que nous avions raté les 40 derniers pourcent de hausse du Nasdaq en l’an 2000, les 30 derniers pourcent de la hausse du baril en 2008, les 20 derniers pourcent de hausse du CAC40, du S&P 500 ou de l’EuroStoxx 50 depuis fin juillet.
A chaque fois, nous avons été incapable de prévoir le timing du retournement ; nous avons été désarçonné par l’habileté des illusionnistes et l’aveuglement forcené de leurs admirateurs… Mais à chaque fois, nous avons été avertis que la folie spéculative touchait à sa fin lorsque certains de nos lecteurs n’ont plus su résister au bonheur de nous asséner la vérité du moment : "voyez où en sont les cours, la preuve est maintenant faite que vous aviez faux sur toute la ligne".
Et chaque fois que nous avons été avertis que nous nous trompions sur un mouvement cyclique majeur, les cours ont rechuté de 60% à 80% — au lieu de poursuivre leur course vers un infini dont nous refusions d’envisager l’existence.
Symétriquement, lorsque la seule issue était l’anéantissement définitif d’une valeur ou d’un indice… les cours se sont envolés de 50% en quelques mois (comme en 2003/2004 et en mars 2009) alors que nous étions résolument acheteurs dans l’anticipation d’un rebond technique.
▪ Nous avons pris acte lors de la séance des "Quatre sorcières" du triomphe du mythe de la reprise en "V". Peu avant que Wall Street ne perde 2% en 48 heures mercredi et jeudi, nous avons encore entendu sur CNBC un gérant — l’un de ces apôtres du "tout est redevenu comme avant" — affirmer sans l’ombre du moindre doute et sans le moindre commencement de nuance que ‘le rebond économique actuel est non seulement parfaitement semblable à 1993 et 2003 mais s’avère d’ores et déjà plus vigoureux que les précédents".
Et d’ajouter : "les baissiers vont découvrir en 2010 qu’ils ont totalement fait fausse route et que les profits dépasseront tout ce que les analystes prévoient aujourd’hui… parce qu’ils n’osent pas encore rejeter complètement l’absurde scénario du ‘W’."
Si nous ne l’avions pas observé en direct comme des millions d’autres téléspectateurs, il nous aurait été difficile d’inventer un haussier aussi caricatural.
Mais il peut se vanter aujourd’hui d’avoir fait gagner de l’argent à ses clients. Il se prépare aussi à les enrichir encore plus prodigieusement : il n’a pas encore assez investi dans les actions et à la moindre correction, il sera en première demande dans tous les carnets d’ordres !
▪ L’opportunité dont il rêve pourrait se présenter plus tôt qu’il ne l’espérait : nous venons d’assister jeudi à l’une des premières séances "d’instabilité aiguë" en intraday depuis le début du mois de juillet.
Le CAC 40, par exemple, a commencé par perdre jusqu’à 1,25% avant de rebondir pour afficher +0,75% (+2% en ligne droite). Il a ensuite rebasculé dans le rouge et enfoncé ses planchers de la matinée pour afficher jusqu’à -1,75%, à 3 751 points.
Cela représente 100 points de variation entre les extrêmes de la séance, mais aussi et surtout 100 points perdus en moins d’une heure, ce qui ne s’était pas vu depuis de nombreux mois. Au final, le CAC 40 cède 1,65% — c’est assez proche des plus bas du jour. La plupart des commentateurs incriminent de mauvais chiffres dans le secteur immobilier américain (les reventes de logements anciens ont rechuté de 2,7%) qui auraient éclipsé les bonnes statistiques de l’emploi US.
Cela traduit tout de même un changement notable de disposition psychologique. En effet, 10 jours auparavant, les marchés auraient privilégié le chiffre agréable concernant le chômage (-21 000 demandeurs d’indemnités) et auraient complètement ignoré celui concernant les reventes de logements de seconde main.
▪ Dès mercredi soir, Wall Street avait basculé dans le rouge, non pas du fait d’un indicateur macroéconomique décevant… mais parce que la Fed suggérait qu’elle s’apprêtait à réduire son programme de soutien à l’industrie du crédit immobilier. Elle est passée à l’acte dès le lendemain en divisant par trois ses interventions dans le cadre du TALF. Elles passent de 75 à 25 milliards de dollars, ce qui va priver les agences de refinancement hypothécaire (Freddie Mac et Fannie Mae) d’importantes marges de manoeuvre.
D’autre part, le pétrole — sur lequel nous avions fait un focus mercredi — vient d’enfoncer un très important support technique (68,5 $/baril) alors qu’il plafonnait sous les 73 $ depuis près de six semaines. Le scénario de la reprise économique en "V" ne semble plus vraiment séduire les spécialistes de l’or noir.
C’est donc une combinaison d’éléments perçus comme négatifs qui déclenche une vague de prises de bénéfices que beaucoup appelaient de leurs voeux.
Sauf vif regain des tensions au Proche-Orient (le bombardement de l’Iran demeure une vraie option, selon la presse israélienne qui veut mettre la pression sur Barack Obama), la récente bulle va d’abord se dégonfler doucement. Cela donnera le temps aux dernier"retardataires de maximiser leurs pertes potentielles… Puis les plus cyniques, constatant que les naïfs sont très largement majoritaires, décideront que c’est le moment d’écrouler les cours pour d’excellentes raisons : celles que nous martelons depuis deux mois et auxquelles personne ne veut plus croire !