** La partie de flipper infernal se poursuit ; les cours des actions continuent de rebondir dans toutes les directions sans que personne ne parvienne à reprendre le contrôle de la partie. Celle du jour s’achève par un repli de 0,23% du CAC 40 et de 0,7% de l’Euro Stoxx 50.
L’affaire se complique encore un peu plus lorsque des rumeurs de lourdes pertes sur les marchés de matières premières — elles sont en chute libre depuis la mi-juillet et, hier, le baril rechutait sur 102 $ — alimentent les spéculations sur des faillites d’importants fonds d’investissement, eux-mêmes largement financés par les grandes banques d’affaires de Wall Street.
** Mais le principal coup de théâtre de ces dernières 24 heures concerne Lehman Brothers. A peine Freddie Mac et Fannie Mae semblaient-ils tirés d’affaire par une nationalisation titanesque — qui bat en brèche le credo libéral de Wall Street et de la Maison-Blanche — que le spectre de la faillite de cette banque d’affaires de premier plan, et d’un calibre bien supérieur à Bear Stearns, fait dangereusement vaciller les marchés américains.
Lehman s’est littéralement désintégré mardi soir (-45% à 7,8 $) après l’annonce de l’échec des négociations avec la banque sud-coréenne KDB. La presse sud-coréenne avait révélé la semaine dernière des pourparlers en vue d’une possible prise de participation à hauteur d’un quart du capital dans la quatrième banque d’affaire américaine.
Hier, Lehman annonçait par anticipation — la date de publication prévue initialement était le 18 septembre — une perte trimestrielle de 3,9 milliards de dollars, soit -5,9 $ par action. Le titre est cependant parvenu à reprendre 2% au cours des premiers échanges à New York.
Les analystes tablaient globalement sur une perte allant de 3 à 3,60 $ par action, c’est donc une douche froide… mais la révélation la plus désastreuse concerne les 7,8 milliards de dollars de dépréciations d’actifs sur le trimestre.
La banque d’affaire aurait besoin de lever cinq milliards de dollars d’argent frais dans l’urgence, ce qui est impossible sur le marché des capitaux avec une prime d’émission qui vient d’exploser de plusieurs centaines de points en quelques jours par rapport aux emprunts du secteur privé notés "AAA+". Lehman doit donc envisager la cession de sa division la plus rentable, c’est-à-dire la gestion d’actifs pour compte de tiers, et notamment sa filiale Neuberger Berman.
La banque d’affaire avait indiqué lundi qu’elle dévoilerait également le 18 septembre un plan stratégique destiné à redresser ses finances mais aussi à rétablir la confiance des marchés. Au rythme où les cours s’effondrent (-52% en 48 heures, -88% depuis le 1er janvier), le 18 septembre paraît hors d’atteinte et un sauvetage à la Bear Stearns se profile. Le "too big to fail" sera invoqué de façon encore plus impérieuse que lors de la prise de contrôle de sa rivale par J.P. Morgan.
** Stoppés net dans leur mouvement de reprise amorcé lundi, les banques, les assureurs, les promoteurs immobiliers et les monoliners ont dévissé. Ils enregistraient mardi soir des écarts négatifs bien supérieurs aux gains de la veille (souvent deux fois plus importants).
Comme si cela ne suffisait pas, le reflux du pétrole de 4% vers les 102 $ a provoqué un nouveau tsunami de ventes — le terme de "vague" est trop faible lorsque le repli sectoriel dépasse 20% en une semaine — laminant les valeurs du compartiment énergie/prospection.
Les parapétrolières vont tenter de se reprendre alors que l’OPEP réduit sa production de 500 000 barils/jour — cela concerne surtout l’Arabie Saoudite. Exxon avait chuté de 4,7% mardi — ce qui expliquait pour une bonne part le recul de 260 points du Dow Jones ; il affichait une hausse de 1,5% à la reprise des cotations hier. Chevron reprenait quant à lui 2,5%.
Mais un souci chasse l’autre, et avec la rechute des financières, la question est de savoir si les principaux supports indiciels ne vont pas lâcher prise d’ici vendredi. Cela précipiterait Wall Street dans une spirale baissière qui achèverait de démoraliser les contribuables américains.
** Nous ne saurions mieux résumer notre approche de la question que Bill Bonner dans sa Chronique de mercredi (décidément…) : "l’idée de voir les contribuables venant au secours du secteur des prêts hypothécaires est ridicule ; les contribuables ne peuvent même pas financer les obligations fédérales actuelle (…), rien que cette année, par exemple, il manquera un demi-millier de milliards de dollars. Si on le calculait correctement, le déficit américain serait plus élevé de plusieurs milliers de milliards de dollars".
Et d’ajouter : "le gouvernement est occupé à empiler une fraude monumentale sur l’autre… en essayant de faire croire à tout le monde qu’on peut vivre aux dépens des autres. Tôt ou tard, la montagne de sottises finit par s’effondrer". Mais les responsables de ce désastre auront soit tiré sur la manette de leur parachute doré, soit pris le large loin des Etats-Unis et retrouvé leurs paquets de millions de dollars soigneusement empilés dans des paradis fiscaux.
Les classes moyennes américaines ne s’en rendent peut-être pas compte, mais la part de dette fédérale qui pèse sur chaque citoyen américain dépasse les 120 000 $. Ce fardeau repose en fait sur une minorité de contribuables qui paient plus de 10 000 $ d’impôt par an. Ceux-là sont virtuellement ruinés et leur descendants le sont également.
L’avenir de la middle class, qui surnage malgré la crise, est de surcroît bien davantage hypothéqué que celui des foyers fiscaux déclarés en faillite pour cause de surendettement. Ceux-là n’ont plus grand-chose à perdre et ils échappent aux appétits du fisc.
Nous souhaitons bien du bonheur aux successeurs de l’équipe Bush à la Maison-Blanche car lorsque les Américains auront pris la mesure de l’ampleur du désastre (budgétaire, économique, diplomatique…), à qui adresseront-ils leurs récriminations ?
Wall Street sait bien que les vrais coupables échapperont à toute sanction… mais que les Etats-Unis, eux, n’échapperont pas à la punition que constitue une quasi-faillite du système bancaire américain. Les ménages qui disposent encore d’un peu d’épargne de côté risquent de subir la double peine d’une économie en stagflation et d’une chute de la valeur de leur patrimoine investi en actions s’ils s’obstinent à rester "dans le marché".
Philippe Béchade,
Paris