▪ Dans la Chronique publiée lundi matin, vous avez pu découvrir un long passage décrivant la chronologie des événements survenus sur les marchés vendredi. Leur étude minutieuse conduisait à s’interroger sur la réalité du vent de panique causé par des images pleines de bruit et de fureur en provenance d’Egypte.
A partir de quel moment — cela durait déjà depuis plus de 48 heures — les opérateurs ont-ils jugé qu’il était temps de perdre leur sang froid ? Pourquoi les indices américains ont-ils décroché à partir de 15h55, au moment même où le S&P inscrivait un nouveau record annuel ?
Le visage en colère d’un manifestant, les larmes d’une mère filmée en gros plan ont-ils soudain fait prendre conscience à Wall Street que Le Caire était au bord de l’embrasement ? A moins que ce ne soit le tir d’une 2 618ème grenade lacrymogène tombant non loin d’une équipe de tournage de CNN ?
▪ Comme nous l’avons expliqué, tout a soudain dérapé vendredi avec la reprise des cotations, à 15h53, de nombreux produits dérivés après une panne de diffusion du cours spot du Nasdaq.
Nous sommes convaincus une nouvelle fois que les facteurs techniques sont la cause première du dérapage indiciel. Les commentateurs ont été trop heureux d’humaniser le trou d’air qui s’en est suivi… Pour une fois que le marché semblait adopter une attitude cohérente par rapport à une actualité qui faisait pleuvoir des millions de points d’interrogations sur l’avenir du Proche ou du Moyen-Orient !
En l’espace d’un week-end, Wall Street a déjà trouvé toutes les réponses qui rassurent. Voyez comment toutes les incertitudes sont balayées, les colonnes de chars sont immobiles, internet est réduit au silence, les pétroliers passent devant Suez sans encombre… Bref, la vie continue — sauf pour les 300 manifestants tués depuis une semaine selon les estimations de la presse internationale.
Vous croyez que ceux-là mêmes qui ont vendu vendredi la peur au ventre voient aujourd’hui l’Egypte s’avancer d’un pas assuré vers un avenir démocratique radieux ?
L’ébauche de fraternisation de l’armée avec le peuple est certes une bonne nouvelle… Mais l’histoire fourmille d’exemples où les généraux ont rapidement pris leurs distances avec les aspirations de paix et de liberté de ceux qui les acclamaient quelques mois auparavant, alors que les symboles de l’oppression et de la corruption semblaient jetés à tout jamais dans les poubelles de l’histoire (quelqu’un aurait juste oublié de bien refermer le couvercle ?).
▪ C’est un véritable feu d’artifices à la hausse qui a été tiré à Wall Street pour inaugurer le mois de février, avec des indices progressant de 1,7% (S&P 500) à 2% (Nasdaq). De nouveaux records annuels ont été pulvérisés par le Dow Jones (qui culminait à 12 050 points) et le S&P (qui teste 1 310 avec près de 95% de titres en hausse… champagne pour tout le monde !).
Les poids lourds de la cote qui ont bénéficié de l’essentiel du ramassage, preuve que les achats de paniers indiciels ont prédominé. Le Dow s’est accroché à des locomotives comme Pfizer (+5,5%), Bank of America et Alcoa (+4,5%), Exxon (+4%), GE (+3,3%), Micron (+2,5%).
Le Nasdaq a fusé au-dessus des 2 750 points grâce à Oracle (+3,8%), eBay et UPS (+4,2%), AMD (+5%), Electronic Arts (+7% en transactions hors séance) puis Baidu (+9,3%).
Ces mêmes valeurs ont boosté le S&P 500. Comme nous ne nous hasarderions pas à un pronostic sur l’avenir le plus immédiat de l’Egypte, voyons ce que nous apporte l’éclairage de l’analyse technique.
▪ Le S&P 500 a matérialisé vendredi une fausse sortie baissière sous les 1 280 points (MM20). Cependant, 48 heures plus tard, il retrace la résistance des 1 310 points.
Le piège baissier (bear trap) a d’autant mieux fonctionné que les oscillateurs statistiques avaient clairement amorcé une décrue. Cette dernière répondait à la logique d’un plafonnement s’accompagnant d’un niveau de surachat comparable à celui de l’été puis de l’automne 2007.
Le S&P se heurte désormais à la résistance horizontale provenant des sommets du milieu de l’été 2008 ; le débordement des 1 315 points pourrait constituer un tournant décisif. Les plus optimistes misent déjà sur un rally en direction des 1 425 points (zénith de la mi-mai 2008)… mais attention à une rechute sous les 1 275 points et surtout les 1 250 points (MM50).
▪ Les haussiers soulignent le spectaculaire retour de la sérénité sur les marchés, avec un euro qui s’envole de 1% vers 1,3825 $… et un indice VIX qui rechute de 10%
Les incertitudes ne manqueraient pas de ressurgir si l’Egypte changeait de ligne diplomatique — notamment envers son voisin israélien — en cas de départ prématuré de M. Moubarak. Un nouveau gouvernement nommé par lui ou l’un des ses proches désigné pour lui succéder ne manquera pas d’être contesté… et le meilleur moyen de rassembler le peuple, c’est souvent la désignation d’un péril extérieur.
Mais Wall Street ne cherche pas sa tendance dans les livres d’histoire. Le fil d’actualité économique quotidien lui suffit, surtout lorsque l’ISM manufacturier de janvier grimpe vers 60,8 contre 58,5 en décembre (et 57 estimé) tandis que les dépenses de construction rebondissent.
La Bourse de Paris (+1,68% à 4 072,6) a amplifié ses gains dans le sillage de Wall Street. Les opérateurs se réjouissaient dès lundi matin de la forte hausse du PMI manufacturier en Angleterre (il a bondi de 57,9 vers 62, son meilleur score depuis 20 ans) et de la hausse de l’ISM industriel dans la Zone euro.
▪ La ruée sur les valeurs parapétrolières (notamment CCG Veritas et Technip, les deux vedettes de l’année 2010 qui remontent sur le podium du SBF 120 sous les vivats des gérants) s’est poursuivie alors que le baril repassait sous les 91 $ sur le NYMEX et sous les 100 $ à Londres.
L’Agence internationale de l’Energie (AIE) a écarté les risques de rupture d’approvisionnement même en cas de fermeture temporaire du canal de Suez ou de pipe-lines assurant un transfert de la Mer Rouge vers la Méditerranée.
L’OPEP a fait savoir de son côté que ses membres disposaient d’une marge de manoeuvre substantielle en matière de hausse de production quotidienne. Cela ne fait que confirmer notre soupçon qu’il n’y a jamais eu aucune tension sur le pétrole "physique" depuis le début de l’automne.
Autrement dit, le pétrole qui passe de 72 $ à 92 $ à New York en cinq mois (soit +25%), c’est d’abord lié à un gonflement des positions spéculatives. Nous réaffirmons dans ces conditions que le principal danger qui guette les suiveurs, ce n’est pas un scénario géopolitique idyllique au Proche-Orient mais bel et bien un renchérissement du coût de couverture des positions liées à une tension des taux : regardez l’Euribor !
L’interbancaire s’est renchéri de 10,5% depuis le 1er janvier, il progresse de 0,5% par jour en moyenne depuis 15 séances… et la BCE n’a pourtant pas tiré un seul coup de feu !
Nous faisons partie de ceux pour qui l’Egypte n’évoque pas qu’une situation insurrectionnelle pleine d’espoirs comme d’énigmes politiques dignes du Sphinx… mais également ces pyramides de dettes laissées à la charge des esclaves du futur.