** Nous anticipions depuis la mi-mai qu’un retour de balancier se préparait, constatant que la remontée du dollar n’empêchait pas le baril de pétrole de battre record sur record. Le mécanisme élémentaire consistant à vendre l’un pour acheter l’autre s’était enrayé… et cela ne pouvait qu’attiser les tensions inflationnistes en Europe puisque notre divine monnaie unique ne nous protégeait plus de rien.
La consolidation du CAC 40 s’est enclenchée le 20 mai dernier, au lendemain d’une « fausse sortie » haussière au-delà des 5 120 points. La porte a claqué par surprise dans le dos des derniers acheteurs au soir du 19 mai. Ils ont attaqué la séance suivante avec un handicap instantané de 50 points contre eux ; 24 heures plus tard, les pertes s’élevaient potentiellement à 130 points.
Il n’est pas très agréable de voir l’indice CAC 40 reculer d’une seule traite de 2,5% en trois jours — mais que dire alors d’un écart de -2,5% en seulement trois heures de cotations ?
** Car c’est exactement ce qui s’est produit ce mercredi 11 juin entre 14h30 et 17h30 ! A propos de spirale baissière et de repli synchrone des marchés, nous évoquions dans notre Chronique de mercredi notre sentiment de déjà-vu (mi-janvier, début février, mi-mars). Nous allons peut-être devoir réviser notre jugement car ce que nous découvrons en ce début de mois de juin… c’est encore pire !
Le cumul des pertes pour le CAC 40 dépasse déjà les 7% en huit séances — un écart supérieur aux 6,15% de gains du mois d’avril, auxquels il faut ajouter +0,4% au mois de mai. Les valeurs françaises, qui ont clôturé au plus bas depuis le 26 mars dernier (-2,1% à 4 660 points), ne sont plus très loin de retracer le plancher du 23 janvier 2008 inscrit à 4 636 points… en pleine tourmente Kerviel.
Les échanges ont été très nourris, les transactions devenant frénétiques en seconde partie de séance (6,35 milliards d’euros négociés). La bourse de Paris a littéralement capitulé dans le sillage d’un nouvel accès de fièvre du pétrole — les stocks hebdomadaires américains ont fondu de 4,6 millions de barils — avec 39 valeurs en repli sur 40.
Les déclarations apaisantes du secrétaire général de l’OPEP, Abdullah al-Badri, formulées mardi soir (« pas de pénurie… mais une panique entretenue par la spéculation »), ont été oubliées par les investisseurs aussi vite qu’un président élu oublie une promesse électorale.
A Wall Street, l’entame de séance fut calamiteuse : mêmes causes, mêmes effets… et la suite plus déplorable encore. Mais avec un baril tutoyant les 138 $ contre 132 $ la veille au soir, il était difficile d’espérer un autre scénario.
** Les gérants de portefeuilles étaient d’autant plus enclins à réduire la voilure qu’un vent mauvais souffle sur le front des taux depuis une semaine aux Etats-Unis. Le Beige Book publié mercredi soir confirme la teneur des dernières interventions de Ben Bernanke et Henry Paulson ; il est maintenant clair pour tout le monde que le cycle de baisse des taux aux Etats-Unis a touché à sa fin.
Christian Noyer n’a fait qu’ajouter à la nervosité des marchés en affirmant qu’ils avaient parfaitement interprété les derniers propos de J.C. Trichet concernant une hausse du « Repo » début juillet — mais il estime cependant que l’anticipation d’un second tour de vis monétaire cet automne est encore prématuré.
En provoquant une rechute du dollar sous les 1,5580/euro, notre gouverneur de la Banque de France a fait bondir symétriquement le baril de pétrole vers 134,5 $ en fin de matinée puis jusque vers 138 $, à quelques minutes de la publication de la feuille de route économique de la Fed.
** Consternation des opérateurs sur les grandes places européennes (Francfort et Londres cédant 1,8%, Milan à -1,98% et Paris à -2,1%), déprime des marchés obligataires, colère des pêcheurs, des taxis, des routiers à travers tout le continent… et J.C. Trichet semble toujours considérer — ses derniers commentaires le prouvent — que la flambée du pétrole, c’est de la faute aux usagers qui en consomment trop.
L’indice des prix à la consommation en France a bondi de 0,5% en mai, après une hausse de 0,3% le mois précédent. Sur un an, l’indice a crû de 3,3% (3% le mois précédent). Il faut remonter à juillet 1991 pour trouver trace d’une hausse annuelle plus importante (3,8%)… c’était au lendemain de la guerre en Irak.
Mais par deux fois en une semaine, le baril a bondi de 5% sur la seule évocation d’une hausse de taux en Europe : qui jette de l’huile sur le feu et joue les pompiers pyromanes ? Qui déchaîne la spéculation lorsque l’OPEP appelle pays producteurs et consommateurs à discuter ? Et qui surestime son pouvoir de lutter contre l’inflation par des méthodes monétaristes d’un autre temps ?
La masse de capitaux en circulation s’auto-alimente en effet via les mécanismes du carry trade et du transfert massif de richesse vers les pays producteurs de pétrole. Ces derniers recyclent leurs liquidités par le biais des marchés dérivés, qui, depuis le milieu des années 90, multiplient les flux financiers sans aucun contrôle — et avec la bénédiction de ces mêmes banques centrales, converties à la vulgate libérale.
Wall Street semble prendre conscience que son destin ne lui appartient plus, que la Fed n’a pas davantage le pouvoir de dicter ses volontés au NYMEX ou au marché des changes : à mi-séance, le Dow Jones chutait de 1,4% (au contact des 12 100 points), le Nasdaq de 1,6% et le Dow Transportation plongeait de 3,8%.
Philippe Béchade,
Paris