** Si les scénaristes d’Hollywood (toujours en grève) avaient écrit le scénario de la semaine qui vient de s’écouler… et si des opérateurs expérimentés — des « vieux de la vieille » — avaient découvert le fruit de leur imagination fertile dans leur quotidien financier, à la rubrique « le thriller de l’été », ils l’auraient jugé trop chargé en coups de théâtre, trop excessif pour être crédible… et bourré d’invraisemblances impossibles à prendre au sérieux.
Et pourtant, la Société Générale a bien annoncé avoir été victime d’une « fraude » commise par un « individu ayant agi seul » qui lui coûte pratiquement cinq milliards… Tandis que Ben Bernanke s’est retrouvé tout seul mardi face à la fureur des éléments boursiers, incapable de rallier à sa cause une BCE (qui connaissait tout des difficultés de la Société Générale) qui annonce poursuivre, imperturbable, sa mission qui est de combattre l’inflation — et non pas les risques de krach boursier, manifestement.
J.C. Trichet a d’ailleurs annulé dans la soirée de mercredi la conférence de presse qu’il devait accorder à Davos ce vendredi sans autre forme d’explication. Les représentants des medias américains avaient pourtant beaucoup de questions à lui poser concernant le film des évènements depuis le week-end dernier, puisque Christian Noyer avait dû interrompre le sien pour cause « d’affaires de la plus haute importance ».
** Quelle semaine de folie… voilà l’une des expressions qui revient le plus souvent dans la bouche des professionnels mais également d’observateurs un peu plus néophytes !
Des records de volatilité vieux de cinq ou six ans ont été battus de lundi à jeudi ; un écart de 8,8% en intraday s’est matérialisé mardi, jour de l’annonce d’un abaissement de 75 points du prime rate aux USA… L’explosion des volumes de transactions est tout aussi spectaculaire puisque plus de 62 milliards d’euros ont été négociés sur les seules vedettes du CAC 40 (et plus de 70 milliards sur le SBF 120), soit une moyenne quotidienne de 14 milliards d’euros.
Le CAC 40 n’a pu aligner une deuxième séance de hausse consécutive (alternance des séances de capitulation puis de rebond technique fulgurant) : il a été victime d’allègements de précaution qui se sont multipliés à la veille du week-end en Europe — le précédent n’a pas laissé que de bons souvenirs !
Paris recule de 0,75% et clôture vers 4 875 points, contre un zénith intraday à 4 999,50 points. Cela fait ressortir une nouvelle perte hebdomadaire de 4,2%, après -5,20% la semaine précédente.
Les valeurs moyennes ont pris leur revanche : le SBF 80 a rebondi de 1,2% ce vendredi. Il a engrangé au total +2,15%, ce qui ramène la perte annuelle à -13,5% contre -13,10% pour le CAC 40).
Les liquidations de positions ont cette fois-ci porté sur des poids lourds de la cote — ce qui accrédite le scénario d’un débouclement massif de contrats ou options sur indice. Les valeurs défensives n’ont pas été épargnées : Sanofi-Aventis perdait 9,3%, Suez et Telefonica 9,15%, Danone 9%, Gaz de France 8,3%, EDF 8%, Vivendi et France Télécom (qui génèrent pourtant beaucoup de cash) ont également abandonné plus de 6%.
Et si Société Générale perd au total 13,5% (et seulement -8% vendredi matin à l’ouverture), ce n’est guère plus impressionnant que les -10,5% du géant pharmaceutique Merck ou les -9% d’Alcatel Lucent (victime de nouvelle rumeurs de profit warning et de licenciements).
** La chute de Merck compense largement l’impact positif des bons résultats de Microsoft : vendredi soir, le Dow Jones n’a pas tenu ses gains initiaux : l’indice chutait à mi-séance de 1,35%, le S&P 500 de 1,7%. Le Nasdaq retombait quant à lui d’un plus de haut de +1,3% pour inscrire un score de -1,75%, sous les 1 800 points… soit une performance hebdomadaire à peine négative de -0,03% (le Dow Jones affichant +1%).
Aucune statistique économique n’ayant été publiée aux Etats-Unis, ce sont les actualités des entreprises qui ont façonné la tendance… et le cru du jour apparaissait moins favorable que la veille. Si Caterpillar — qui maintient ses prévisions pour 2008 grâce à la croissance anticipée dans les pays émergents — gagnait 1,5%, la crainte de mauvaises surprises dans le compartiment bancaire plombait la tendance (JP Morgan, Merrill Lynch, Citigroup ou American Express perdaient 3% en moyenne).
Le gros coup de pouce de la Fed mardi n’apparaîtrait-il rétrospectivement que comme une simple pichenette dans un bol de gélatine ?
** La spectaculaire détente des taux mardi et mercredi aux Etats-Unis suite à l’initiative de la Fed aurait en effet pu provoquer de fortes répercussions sur le marché des changes… mais le dollar a singulièrement bien résisté : il ne s’est effrité que de -0,35% face à l’euro sur l’ensemble de la semaine, terminant parfaitement stable face au yen (à 106,9) après avoir inscrit mercredi un plancher annuel à 104,97 au plus fort de la tourmente sur les places boursières.
Après une brusque correction technique jusque sur 850 $ mardi midi, l’or est reparti de plus belle à la hausse ; il a établi un nouveau record absolu à 925 $ l’once vendredi en début d’après-midi, dopé par l’arrêt de la production dans certaines mines sud-africaines pour cause de grève.
Les investisseurs n’osent plus formuler le moindre pronostic concernant l’invulnérabilité du contrôle interne des risques des plus grandes banques, la volonté de coopération des banques centrales (qui semblent plutôt devenues des rivales que des consoeurs), l’évolution de la conjoncture mondiale, suspendue à la capacité de consommer de ménages américains assommés par le surendettement, la baisse de valeur de leur patrimoine immobilier et boursier… mais en revanche, beaucoup de traders (n’agissant pas seuls et à contre-tendance) visent clairement un objectif de 1 000 $ sur l’once d’or en 2008.
Philippe Béchade,
Paris