La financiarisation de l’économie est incontestable, visible… et elle pervertit l’ensemble du système. Pourquoi ? Comment est-elle apparue ? Et comment peut-on la définir ?
La financiarisation ou financialisation n’est pas un mythe ou une invention de complotistes, c’est une réalité incontournable. Sa manifestation visible, son mode d’apparition, c’est l’explosion de la masse des actifs du secteur financier.
Le symptôme de son excès, c’est la fragilité et sa tendance à l’instabilité.
Ici, cette explosion est exprimée en pourcentage de la production annuelle – le PIB. Ces chiffres sont incontestables car officiels.
Il y a un « avant » et un « après »
« La financiarisation pointe le rôle croissant des motivations financières, des marchés financiers, des acteurs financiers et des institutions financières dans le fonctionnement des économies nationales et internationales. »
C’est la définition qu’en donne l’économiste Gerald Epstein. Il la complète et décrit tout un monde :
« – Certains auteurs utilisent le terme ‘financiarisation’ pour désigner l’ascendant de la ‘valeur actionnariale’ en tant que mode de gouvernance d’entreprise ;
– certains l’utilisent pour évoquer la domination croissante des systèmes financiers des marchés de capitaux sur les systèmes financiers basés sur les banques ;
– certains suivent l’exemple de Hilferding et utilisent le terme ‘financiarisation’ pour désigner le pouvoir politique et économique croissant d’un groupe de classe particulier : la classe des rentiers ;
– pour certains, la financiarisation représente l’explosion du commerce financier avec une myriade de nouveaux instruments financiers ;
– enfin, pour [Greta] Krippner, qui a utilisé pour la première fois le terme elle-même, il fait référence à un ‘modèle d’accumulation dans lequel le profit se fait de plus en plus par les canaux financiers plutôt que par le commerce et la production de marchandises’. »
C’est cette définition qui me semble la plus intéressante car Krippner précise :
« La finance est le nouvel exploitant dominant, et non le capital en tant que tel. Ainsi, la finance est désormais le véritable ennemi, et non le capitalisme en tant que tel.
L’instabilité et la nature spéculative du capital financier sont la véritable cause des crises du capitalisme, et non de la baisse de la rentabilité de la production des choses et des services, comme le soutient la loi de la baisse de la rentabilité du capital de Marx. »
Cette affirmation de Krippner présente une faille considérable : elle fait descendre la financiarisation du ciel, sans cause, sans origine.
On ne peut pas revenir en arrière
Or la financiarisation, c’est un processus étalé dans la durée ; elle a bien une origine. Cette origine, c’est la crise de profitabilité du capital productif qui a commencé en 1973 et qui a été progressivement contrée par la mise en place du néo-libéralisme et par les réformes de la dérégulation.
La financiarisation ne tombe pas du ciel : elle est produite par le besoin, pour le système économique, de pallier l’insuffisance des revenus et l’insuffisance du taux de profit du capital par la production de dettes.
C’est important, car cela suggère que l’on ne peut revenir en arrière sur la financiarisation sans douleur : il faut d’abord traiter la cause de cette perversion. Ladite cause, c’est qu’il n’y a pas assez de profit dans le système… et il n’y a pas assez de profit parce qu’il y a trop de capital qui y prétend.
Face à la raréfaction relative du profit, on ne peut distribuer tous les revenus dont le système a besoin pour tourner. Ce sont la dette et/ou le crédit qui complètent les revenus aussi bien pour les entreprises que pour les gouvernements et que pour les ménages.
Pour résumer : il n’y en a pas assez pour tout le monde.
Cette théorie de la financiarisation de Krippner ne permet pas de comprendre les crises, et elle est incapable de rendre compte des raisons pour lesquelles, dans le monde financiarisé, on est obligé de peser sur les salaires, de confisquer les gains productivité – bref on est obligé d’augmenter le taux d’exploitation des salariés.
Ben Bernanke, ancien chef de la Réserve fédérale américaine pendant le grand boom du crédit du début des années 2000, a proposé sa version de la « financiarisation » comme tombée du ciel et seule cause des crises.
Pour lui, les crises sont le résultat de « paniques financières » – c’est-à-dire que les gens perdent la tête et paniquent pour vendre et réduire leurs dettes d’une manière totalement imprévisible ; tout cela serait le résultat de divers facteurs psychologiques, les fameux « esprits animaux » de Keynes, chers à Alan Greenspan.
Simple question : pourquoi, si tout cela n’est que psychologique, non causé, non justifié dans l’économie réelle, pourquoi est-ce que tout n’est pas rentré dans l’ordre par la suite ?
La financiarisation a une cause réelle, matérielle et non psychologique, qui se situe dans l’économie réelle : la tendance à l’érosion de la profitabilité du capital, laquelle oblige les agents économiques à compléter leurs ressources gagnées par le crédit, c’est-à-dire par la constitution d’actifs financiers.