▪ Nous ne nous étions pas trompé en anticipant une bonne surprise à l’occasion de la publication des chiffres du PIB américain au troisième trimestre 2009. Le score de +3,5% s’inscrit dans le haut de la fourchette des estimations les plus optimistes.
Nous n’avons pas eu grand mérite à privilégier ce scénario. Tout d’abord parce que le département du Commerce n’allait pas manquer l’occasion de gonfler toutes les composantes attestant de l’efficacité des mesures de relance (soutien au logement et au secteur automobile). En second lieu parce que la base de comparaison, par rapport à un été 2008 économiquement pourri, était favorable… Et enfin parce que Goldman Sachs avait réduit la veille son estimation à +2,7%, partant d’une hypothèse déjà "prudente" de +3%.
Goldman Sachs anticipe peut-être de quelques semaines sur le chiffre révisé qui sera publié mi-novembre. Cependant, la divulgation d’un abaissement d’objectif de croissance à la veille même de la sortie du chiffre officiel a certainement contribué à plomber la tendance. Cela a poussé les indices américains vers le bas (-2% en moyenne mercredi soir), de telle sorte que l’enfoncement initial de nombreux supports graphiques et techniques ne souffrait plus d’aucune ambiguïté.
Connaissant les liens plus qu’étroits existant entre la Maison Blanche, la Fed et Goldman Sachs, il était déjà étonnant que la banque d’affaire affiche une prévision inférieure de 10% au consensus. L’ultime révision à la baisse à +2,7% (soit 20% sous le consensus) pourrait s’apparenter à une nouvelle tentative de manipulation de la psychologie des non-initiés.
▪ Nul doute que certains opérateurs auront su profiter des ventes de capitulation de la fin de séance du 28/10 (l’indice VIX a bondi de 12%) pour ramasser du "papier" dans les meilleures conditions. La question est maintenant de savoir s’il sera pertinent de conserver les positions… ou si le sursaut technique qui se dessine a pour seul objet de mettre en place de nouvelles stratégies de couverture, voire des ventes à découvert.
Beaucoup de thèses se télescopent depuis 48 heures ; le PIB américain ajoute à la confusion. Chaque camp se sentira renforcé dans ses convictions parce que le soutien gouvernemental compte pour les deux tiers du rebond de l’activité tandis que la hausse spontanée serait voisine de seulement 1% à 1,2%.
Les optimistes soulignent qu’un tiers seulement des sommes affectées à la relance ont été dépensées, même si leur efficacité est parfois contestable. Les pessimistes s’attendent quant à eux à un trou d’air au quatrième trimestre du fait de la fin de l’opération "Cash for Clunkers" ; parallèlement, le cadeau fiscal de 8 000 $ offert aux acheteurs d’un premier bien immobilier n’a que très partiellement endigué la dégradation globale du secteur du logement.
▪ D’autres statistiques publiées en marge du PIB méritent plus d’attention que le marché ne leur en a accordé ce jeudi. Si le taux d’Américains propriétaires de leur logement progresse légèrement (de 67,4% à 67,6%), le taux de logements inoccupés passe de 2,4% à 2,6% — mais c’est très inférieur au taux réel une fois comptabilisé les saisies bancaires.
Le nombre de locations vacantes passe de 10,6% à 11,1%. Cela témoigne soit de l’inadéquation des loyers avec les moyens des locataires… soit du fait que les propriétaires se résolvent plus souvent à louer leur bien plutôt que de le brader — en n’étant même pas certains de pouvoir le revendre.
Il suffit de faire un petit tour en voiture dans la région de Detroit, de Cincinnati, de Phoenix ou de Sacramento pour découvrir en périphérie des villes fantômes où les seuls habitants qui n’ont pas encore déserté sont ceux dans la voiture est tombée en panne.
Les centres commerciaux ayant mis la clé sous la porte, les services municipaux n’étant plus financés, ce sont des quartiers entiers qui sont devenus inhabitables. Même mises aux enchères à 1 000 $, des maisons de six pièces avec jardin paysager sont invendables. Sans plomberie, sans électricité mais avec des squatters ou vandales à tous les étages, cela s’explique aisément… et il faut de surcroît supporter le paiement des taxes foncières et des impôts locaux.
▪ Nous n’avons pas pour habitude vous distraire avec des anecdotes, si ce n’est pour renforcer une démonstration d’ordre plus général. Vous avez d’ailleurs certainement deviné où nous voulions en venir : les banques continuent d’afficher dans leurs bilans des biens à leur prix d’achat (ou à la valeur médiane du quartier de référence) lorsqu’elles ne parviennent pas à les revendre.
Des dizaines de milliers de logements n’ont pratiquement plus aucune valeur hypothécaire mais leurs propriétaires légaux (particuliers comme institutionnels) doivent supporter la fiscalité qui leur est attachée. C’est au mieux un foyer de perte, le plus souvent un gouffre vu par un directeur financier !
Il y a surabondance et surstock de logements aux Etats-Unis mais on continue allègrement de construire. Le rebond de 3,5% du PIB découlerait pour une large part de l’augmentation de l’investissement résidentiel : +23,4%… un chiffre qui laisse beaucoup d’observateurs perplexes.
▪ S’agissant de la hausse surprise de 3,4% de la consommation (alors que 76% des Américains disent se serrer la ceinture), c’est le contrecoup prévisible des stimuli fiscaux en faveur du logement et de l’industrie automobile.
Mais il ne faut pas confondre hausse des dépenses (qui inclut des éléments ponctuels non récurrents) et consommation (qui dépend du budget d’un ménage au quotidien, après imputation des frais incompressibles).
Il s’agit d’évaluer où se situe aujourd’hui la frontière entre ceux qui pourraient dépenser plus mais qui souhaitent plutôt épargner, sauf effet d’aubaine irrésistible… et ceux qui aimeraient consommer plus (ou mieux) mais qui ne le peuvent pas.
Beaucoup de victimes du surendettement appartiennent à la seconde catégorie. Elles ont peu d’espoir de s’en sortir : la pression sur les salaires continue de s’exercer à la baisse tandis que l’emploi se fait plus rare.
▪ Les excellents chiffres bruts du PIB incitent déjà certains économistes à rejeter le scénario d’une reprise en "W". L’activité pourrait certes être moins soutenue au quatrième trimestre mais resterait de l’ordre de 2%, ce qui éviterait la rechute et une mésaventure de type "croissance nulle au premier trimestre 2010 ".
Formellement, nous sommes d’accord avec eux. Les chiffres officiels ne doivent pas rechuter sous la barre des 2% pour des raisons politiques. Même s’il faut écarteler certaines données stratégiques pour leur faire avouer des niveaux de progression fictifs, ce sera fait au nom de l’intérêt général et du retour de la confiance.
Tenez par exemple ces 145 000 allocataires au chômage qui ont miraculeusement disparu des listings publiés jeudi alors que le nombre d’inscriptions hebdomadaires de demandeurs d’emploi est resté stable à 530 000. C’est de la pure fiction statistique, sauf pour les 150 000 personnes en fin de droits — qui n’existent plus aux yeux des services de l’Etat — et dont la survie ne repose plus que sur la solidarité familiale ou les organismes caritatifs.
Mais les marchés ne sont pas dupes. Ils se saisissent de n’importe quel prétexte pour grimper parce que la Fed les y incite en déversant dans le système des centaines de milliards d’argent gratuit… Au bout du compte, cependant, les économistes savent parfaitement qu’il faut injecter 3 $ pour créer 1 $ de richesse. Les deux qui restent, c’est de la dette que les bénéficiaires des 1 $ obtenus vont devoir supporter au cours des 10, 20 ou 30 prochaines années.
▪ Ben Bernanke, qui a beaucoup étudié le krach de 29, sait qu’à l’image d’un pneu qui éclate, il ne faut pas hésiter à utiliser dans les secondes qui suivent la bombe anti-crevaison pour éviter à la jante de causer des dégâts irréparables tels que le cisaillement de l’enveloppe de gomme et d’acier.
Mais lorsque la déchirure du pneu est trop importante (suite à un accident aussi sévère que celui survenu il y a tout juste un an), le caoutchouc liquide n’a pas la capacité de reboucher le trou. Le pneu n’est maintenu artificiellement en forme que par l’air comprimé qui provient de la bombe, le temps que celle-ci achève de se vider.
Ben Bernanke n’est pas idiot ; il est venu avec un kit de réparation pour poids lourd qui en impose… mais cela ne change rien au fait que le trou n’est pas réparable avec une "solution liquide". Cela va simplement prendre plus de temps — et coûter plus d’argent au contribuable — avant que l’évidence d’un échec ne s’impose aux yeux du grand public.
Les marchés savent déjà que la désillusion ne va pas tarder à succéder à l’espoir. Le "pschitt" de la bombe couvre pour l’instant le bruit de l’air qui s’échappe… mais le sol se couvre déjà de mousse blanchâtre. Lorsque les épargnants vont comprendre de quoi il retourne, il sera trop tard.