Les banques centrales – et la Fed en particulier – ont inventé un système « résilient aux chocs », comme elles l’ont démontré depuis mars 2020. Tant pis s’il faut pour cela une débauche de moyens… qui fragilisent et déforment ce même système.
La croyance en la « monnaie-itude » des actifs financiers est au centre de la financiarisation ; elle développe la demande pour les actifs financiers, puisqu’ils sont liquides. Elle nullifie le facteur temps puisque l’investissement de long terme peut toujours être transformé en investissement de court terme.
Surtout, cette croyance donne, confère, le contrôle du marché financier aux banques centrales.
En effet, s’il y a monnaie-itude, cela signifie que, toujours en créant de la monnaie de base, la banque centrale peut imposer un niveau de prix aux actifs financiers. Elle a les moyens de les faire « buller ». Elle peut d’une part entretenir l’esprit de jeu… et d’autre part, elle a les moyens, quand cet esprit de jeu se retire, de soutenir les cours en créant de nouvelles quantités de monnaie de base.
Le concept de monnaie-itude trace un pont, une équivalence entre d’un côté les marchés financiers et de l’autre côté les capacités bilancielles de la banque centrale.
Tant que l’on peut augmenter la taille du bilan de la banque centrale, on peut pomper à la hausse les marchés et les faire buller. Sauf que « buller » est un terme du passé car la notion même de « bulle » a disparu dans ce système.
Des liquidités quasi-infinies
C’est ce qui a encore été démontré le 20 mars 2020 lors de la grande révulsion liée à la pandémie : il a suffi de gonfler le bilan des banques centrales de quelques milliers de milliards. Combien exactement ? Peu importe !
En d’autres termes, les participants sont amenés à croire que le marché aura toujours une demande en raison de la profondeur quasi-infinie de la liquidité : quel que soit le nombre de milliards de dollars de titres que vous souhaitez vendre, il y aura toujours une demande pour vous faire la contrepartie…
En réalité, l’offre en provenance du marché est mince comme du papier à cigarette, et elle disparaît complètement une fois que la vente devient pressante. C’est alors que la banque centrale se manifeste…
Les marchés vivent et prospèrent de l’illusion de gains assurés à faible risque, essentiellement garantis par les liquidités quasi-infinies produites par les banques centrales.
Effets de levier « évidents »
Il est évident que ce système de la monnaie-itude produit irrésistiblement des incitations écrasantes à emprunter davantage et à tirer parti au maximum des effets de levier pour maximiser les gains.
La décision d’emprunter le maximum disponible et de l’exploiter est tout à fait rationnelle en raison de l’absence « évidente » de risque, des gains garantis « évidents » offerts par des marchés toujours plus hauts et de l’abondance « évidente » de liquidité – assurant au parieur qu’il peut toujours vendre l’intégralité de sa position aux prix d’aujourd’hui et engranger ses bénéfices à tout moment.
Ecoutons les propos de Loretta Mester, présidente de la Fed de Cleveland – tenus le 22 juin dernier. Ils illustrent exactement à la fois la justesse de ce que j’analyse et la bêtise théorique des penseurs de la banque centrale :
« Quand je parle de stabilité financière, je veux dire un système financier résilient aux chocs. C’est-à-dire une situation dans laquelle les banques et les institutions financières non bancaires non seulement restent solvables, mais continuent également de prêter aux entreprises et aux ménages solvables pendant un ralentissement économique important, et une situation dans laquelle les marchés financiers continuent d’intermédier de manière ordonnée pendant les périodes de tension. »
Le point important qui est passé inaperçu des commentateurs est le suivant : la stabilité financière n’est considérée qu’en relation avec les chocs.
C’est-à-dire en relation avec un événement extérieur, exogène, qui vient perturber le système. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Cela veut dire que le seul risque est exogène, il est du dehors, jamais il n’y a de risque interne, provoqué par les excès et le dépassement des limites. Et pour cause, puisque dans la pensée magique, il n’y a pas de limite…
Plus jamais de choc ?
S’il n’y avait pas choc, le ciel serait la seule limite ; the sky is the limit.
Tout est toujours à son prix, tout est toujours correctement valorisé, tout est toujours solvable, garanti… compte tenu de la politique de la banque centrale décrite ci-dessus.
Tout est toujours valorisé en tant que billet de loterie pour participer à la pyramide de Ponzi et ne rien rapporter en réel, sur la base de la relation – disparue et escamotée – avec les fondamentaux.
J’ai lu avec un vif intérêt la présentation de Mester, « La stabilité financière et la politique monétaire dans un environnement de taux d’intérêt bas ». A partir du moment où on accepte de pénétrer dans le corpus théorique faux de la Fed, Mester dit des choses cohérentes ; l’incohérence est ailleurs, elle est radicale.
Avec des taux bloqués à zéro et le bilan de la Fed gonflant de 4 332 Mds$, soit 115%, en 93 semaines, pour dépasser les 8 100 Mds$, il n’y a pas de problème de stabilité financière.
Pour ceux qui ne l’avaient pas compris avant ou qui ne me lisent pas, la crise de mars 2020 a mis en évidence un système financier résilient aux chocs.
Le système bancaire a continué à prêter, la solvabilité des institutions financières a été démontrée.
Comment ? Par la création des plus de 4 300 Mds$ de monnaie tombée du ciel que Prométhée est allé déverser.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]