▪ « Nous voulons davantage d’inflation, c’est l’unique moyen de sauver les pays du sud de l’Europe », affirment en substance les pouvoirs publics allemands depuis le début du mois de mai.
Etrange retournement de stratégie pour un pays encore marqué par l’hyperinflation de Weimar et foncièrement hostile à toute hausse des prix… Les grands argentiers teutons veulent en réalité passer une couche de vernis solidaire sur l’inévitable inflation qui découlera des tombereaux d’argent gratuit qui sont déversés sur les marchés à l’heure actuelle. C’est une bonne nouvelle pour les initiés, une mauvaise pour les profanes.
Dans l’Union européenne, ce sont les Allemands qui commandent, tout le monde le sait. Il suffit de voir avec quel soin la presse française a suivi la moindre déclaration d’Angela Merkel depuis l’élection de François Hollande, comme un toutou bien dressé est attentif aux moindres gestes et paroles de son maître.
Pas de relance par l’endettement, pas d’inflation, avait tonné la Chancelière devant le Bundestag ; mais ça, ce ne sont que les beaux discours politiques pour un public romantique et, pour tout dire, apathique. La réalité du terrain (du moins du terrain politique) est plutôt vécue par des hommes comme Wolfgang Schäuble : début mai, le ministre germanique des Finances appelait à de solides augmentations de salaire dans son pays. La demande intérieure allemande progresserait, ce qui permettrait aux autres pays de l’Union — ceux qui sont en train de couler en particulier — d’exporter davantage vers Berlin et de sortir la tête de l’eau l’espace d’un instant, quitte à provoquer une accélération de l’inflation en Allemagne.
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Quelques jours plus tard, la Bundesbank (la Buba pour les insiders, à ne pas confondre avec le petit ourson cher à Chantal Goya) prolongeait les propos du ministre, en laissant entendre que, finalement, elle n’avait rien contre une progression de l’inflation en Allemagne. Voilà un signal fort de la part de la Buba, considérée comme la plus stricte des banques centrales, et qui s’exprimait devant le parlement allemand. Là encore, l’idée consiste à aider les pays en difficulté à se sortir de la récession, toujours grâce à une bonne dose de planche à billets.
▪ La stratégie fonctionnera-t-elle ?
En vérité, l’inflation qui nous arrive dessus sera le résultat du recours à l’impression d’argent papier adossé à rien, et ce des deux côtés de l’Atlantique. Cette inévitable conséquence nous est maintenant présentée dans un joli emballage, celui de l’aide aux Européens qui souffrent. Beau coup marketing, voire de packaging ! De la m… dans un bas de soie, dirait Napoléon à Talleyrand qu’il soupçonnait (à juste titre) de trahison.
Cette stratégie a-t-elle la moindre chance de fonctionner ? Il est permis d’en douter, tout comme il est permis de douter qu’un dernier coup de gnôle pour la route transformera un ivrogne en individu sobre comme un chameau. Qu’est-ce que les entreprises espagnoles vont pouvoir vendre aux salariés allemands impatients de dépenser leurs augmentations de salaire ? Des maisons vides ? Des villes fantômes comme il en existe des milliers sur la Péninsule ? Des parcours de golf mités qui ne sont plus entretenus depuis belle lurette ?
Le gouvernement espagnol a forcé les caisses d’épargne à passer quelque 50 milliards d’euros de provision sur leurs portefeuilles immobiliers cette année… mais cela ne correspondra qu’à une petite partie de la perte de valeur de la pierre ibérique.
A Madrid, les plans officiels tablent sur une baisse contenue des prix immobiliers et une forte reprise de l’économie. Or ni l’un ni l’autre ne se produiront, puisque tant le secteur public que le secteur privé doivent se serrer la ceinture. C’est-à-dire se « déleverager » (réduire le levier en bon français), pour ramener le déficit et la dette publique à des niveaux moins choquants. L’opération commence par un voyage chez le cordonnier, qui percera de nouveaux trous dans la ceinture espagnole.
Pas qu’un seul, et l’inflation allemande n’y changera rien.
Première parution dans Protection & Rendements du 21/05/2012.