Tous les ingrédients sont réunis pour un désastre catastrophique. Si nous le savons, sans doute que certains, parmi les élites, le savent aussi : alors pourquoi ne font-ils absolument rien pour changer de cap ?
Comme nous avons commencé à le voir hier, le calcul de l’inflation est désormais entièrement faussé. En cause : Arthur Burns, président de la Fed dans les années 1970, qui a fait des choix troublants en la matière. Peu à peu, tout ce qui était spécial a été sorti des indices de prix ou minoré dans sa composition et en particulier, le logement, l’immobilier.
Les gens voyaient leur vrai pouvoir d’achat amputé mais peu importe, pensait Burns, cela n’avait pas d’importance car c’était exceptionnel !
Hélas, l’exceptionnel produisait une conséquence normale quotidienne : la baisse du pouvoir d’achat, le besoin d’endettement – et créait ainsi un ressort qui ne demandait qu’à se détendre à la faveur de circonstances favorables. Ce qui advint.
A force de tripatouiller les indices et de considérer toutes les hausses spécifiques comme transitoires, Burns s’est privé des outils de prévision qui auraient pu éviter la catastrophe. Il s’est privé des indicateurs qui sonnaient la cloche du danger.
Ce n’est qu’en 1975, que Burns a admis – bien trop tard – que les Etats-Unis avaient un grave problème d’inflation. L’inflation venait alors de passer à deux chiffres, au-dessus des 10%. Burns a fait entrer les Etats-Unis par la grande porte de la Grande inflation !
La Fed a accumulé les erreurs, elle a alimenté la Grande inflation en laissant les taux d’intérêt réels plonger en territoire négatif au cours de ces années 1970. Aujourd’hui, le taux des fonds fédéraux est de 2,5 points de pourcentage en dessous du taux d’inflation. Cela ne vous dit rien ?
Ajoutez l’assouplissement quantitatif avec injection de quelque 120 Mds$ par mois qui atterrissent sur des marchés financiers chauffés à blanc et noyez tout cela sous le plus grand stimulant budgétaire de tous les temps.
Une catastrophe d’ampleur historique
Touillez la marmite avec des goulots d’étranglement, des pénuries, des besoins de profits colossaux provoqués par l’insuffisance de la productivité, une chaîne d’approvisionnement mondial défaillante… et vous avez la recette pour une catastrophe d’ampleur historique.
Je suis persuadé que parmi les élites, il y a des gens qui connaissent l’Histoire, qui pensent juste et en tirent les mêmes enseignements que moi – à savoir que la Fed et les grandes banques centrales jouent avec le feu.
Mais je suis également persuadé que ces mêmes élites ne disent rien parce qu’au fond d’elles-mêmes, elles sont persuadées qu’il n’y a pas d‘autre solution : si on ne solvabilise pas, si on ne prend pas ce risque colossal et insensé d’accommoder la folie, alors le système s’écroule.
Il ne s’agit pas de choisir une bonne politique en écartant une mauvaise politique. Il s‘agit de gagner du temps, de durer, de repousser, de prolonger parce que, à ce stade, il n’y a plus d’autre solution. Il n’est plus possible de corriger et de retourner en arrière. Les vaisseaux ont été brûlés.
Le discours de la Fed sur une inflation qui ne serait que transitoire est un discours imposé par la situation ; c’est la situation qui produit le discours qui lui convient. Ce n’est pas Jerome Powell qui parle.
Powell n’est qu’un porte-parole. Il ne fait pas le mal volontairement, je suis même persuadé qu’il croit faire le bien ou en tous cas qu’il fait ce qu’il faut.
« Nous aurions pu éviter les catastrophes »
Powell n’est pas un mauvais bougre, c’est simplement un homme du système… et il fait ce que le système veut qu’il fasse. Il suit la ligne de plus grande pente qui lui est indiquée, tout comme le fit le président de la Fed de New York, Benjamin Strong, en 1927.
Face à la fragilité du système, face au risque d’effondrement mondial, Benjamin Strong a décidé d’un stimulus monétaire devenu célèbre comme le « coup de whisky » de Benjamin Strong. Ce coup de whisky a poussé les bulles financières dans leurs extrêmes et a construit les conditions finales de la crise de 1929.
Benjamin Strong a fait le contraire de ce qu’il eut fallu faire. La crise était inévitable, mais sans son action elle aurait été bien moins profonde et bien moins destructrice. Il aurait fallu avoir du courage – mais ni Strong, ni Burns, ni Powell, ni aucun banquer central en exercice n’en a.
Ecoutons l’exceptionnel chroniqueur de cette époque, l’économiste Benjamin Anderson : quelle lucidité !
« Le Federal Reserve Act aurait bien fonctionné si les politiques traditionnelles de la banque centrale avaient été suivies, si on avait maintenu le taux de réescompte au-dessus des taux du marché et réservé l’utilisation des opérations d’open market principalement comme instrument pour resserrer le marché monétaire, et non pour assouplir.
La Réserve fédérale a été créée pour financer une crise et pour financer les besoins saisonniers en espèces. Elle n’a pas été créé dans le but de financer un boom, encore moins pour financer un boom boursier. Mais du début de 1924 au printemps de 1928, elle a été utilisée pour financer un boom et utilisée pour financer un boom des marchés boursiers.
Il était imprudent à l’extrême de s’appuyer sur le crédit bancaire exceptionnel et illiquide. Il n’était absolument pas judicieux d’adopter une politique qui élargirait le crédit bancaire pour financer le capital tel que les prêts hypothécaires immobiliers, les prêts en garantie d’actions et d’obligations, les investissements bancaires en obligations, etc. Et pourtant, nous avons fait toutes ces choses. Si la Réserve fédérale avait suivi la tradition orthodoxe des banques centrales, n’utilisant aucun pouvoir discrétionnaire mais se contentant d’obéir aux règles, nous aurions pu éviter les catastrophes qui ont suivi. »
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]