Alors que les prix stagnent voire commencent à baisser à Paris, l’investissement immobilier accumule les risques cette année. Une vague de baisse de la même ampleur que celle des années 1990 serait-elle en train de se former ?
Alors que les Bourses européennes font face à une forte volatilité depuis le début du conflit en Ukraine et que des incertitudes s’accroissent sur le bon fonctionnement de nos entreprises, les investisseurs sont – fort légitimement – à la recherche de sécurité.
Pour se prémunir contre la volatilité des marchés cotés, placer ses liquidités dans la pierre est un réflexe bien ancré chez les épargnants français. Pourtant, l’année 2022 risque d’être celle du retournement. Après deux années de grâce rendues possibles par le « quoiqu’il en coûte » de Bercy, le retour à la réalité risque d’être brutal.
Déjà, le marché parisien, locomotive de l’immobilier hexagonal, confirme son essoufflement. Pour ne rien arranger, l’évolution du contexte législatif va augmenter la difficulté qu’auront les bailleurs à réaliser des placements rentables. Outre le casse-tête posé par la question des nouveaux diagnostics énergétiques, sur lequel j’attirais votre attention en début d’année, l’État va opérer trois tours de vis supplémentaires.
Pris dans leur ensemble, ces éléments incitent à la plus grande prudence lors du montage des dossiers d’investissement locatif – surtout pour les bailleurs qui comptent avoir recours au financement bancaire.
Le signal d’alarme de l’immobilier parisien
L’évolution du prix du mètre carré à Paris sert de baromètre implicite à l’état de santé du marché national. Dans sa fuite en avant depuis les années 2000, il a battu tous les records, faisant mentir les Cassandre qui voyaient dans les prix délirants – mais toujours dépassés – la preuve d’un retournement imminent.
Depuis l’an 2000, la valeur du mètre carré intra-muros a été en moyenne multipliée par trois pour atteindre 11 116 € au premier trimestre 2020. Cette progression de 200% tous arrondissements confondus écrase totalement celle du CAC 40, qui n’a gagné que 9% sur la même période.
Justifiée ou pas, la hausse s’est accélérée sur plus de deux décennies et les vendeurs ont toujours trouvé des acheteurs solvables pour payer les biens toujours plus cher. Une seule correction rapide, mais limitée dans le temps, a eu lieu lors de la crise des subprime. Le prix moyen du mètre-carré a alors cédé 10% sur neuf mois… avant de retrouver ses records un an plus tard.
Il existe donc toute une génération d’investisseurs qui n’ont connu que la hausse et sont convaincus que « l’immobilier ne baisse jamais à Paris ».
Pourtant, la hausse des prix marque le pas en ce début d’année. La note de conjoncture des Notaires du Grand Paris du 6 janvier 2022 révèle que le prix moyen d’un logement ancien dans la capitale à fin octobre 2021 s’établissait à 10 700 €/m2, en baisse de 1,4% par rapport à la même période de 2020. S’il est encore trop tôt pour parler de marché baissier, tout signe d’essoufflement qui se produit sur des sommets historiques doit être pris avec le plus grand sérieux.
La plupart des primo-investisseurs n’ont aucun souvenir de la baisse de 50% du prix du mètre-carré parisien qui a eu lieu entre 1990 et 1998. Elle s’était produite après la hausse de 250% des années 1980, et nous rappelle que tous les marchés connaissent un jour ou l’autre une correction.
Des conditions de crédit bientôt moins favorables
La hausse des prix de l’immobilier entre 2000 et 2020 n’a pas été rendue possible par la hausse des revenus des français, relativement stables sur la même période. C’est l’argent facile et des conditions de crédit toujours plus clémentes qui ont permis aux acheteurs d’emprunter toujours plus, sur des durées toujours plus longues.
Pourtant, les nouvelles normes du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) vont limiter l’activité de crédit aux particuliers des établissements bancaires. Si elles n’étaient jusqu’ici que des recommandations, elles sont devenues contraignantes à partir du 1er janvier. En pratique, elles limitent la capacité d’emprunt des ménages à plusieurs niveaux : les durées d’emprunt ne doivent plus dépasser les 25 ans, les mensualités ne doivent plus dépasser 35% des revenus (avec des abattements défavorables pour les revenus locatifs), et le coût des remboursements doit désormais inclure les dépenses d’assurance emprunteur.
Sachant que les montages raisonnables rapportant des loyers trois fois supérieurs aux remboursements de crédit sont impossibles à trouver en France, tout investissement locatif vient diminuer la capacité d’emprunt de l’investisseur qui atteint rapidement sa limite des 35%.
Ce resserrement des conditions a déjà commencé à tarir le flux d’investissement locatif. En début d’année, Artémis courtage annonçait que la part des dossiers de crédit réalisés dans son réseau pour un investissement locatif était passée d’environ 17-20% en 2019 à 11,21% en 2020, puis à 11,15% en 2021.
Cet assèchement de l’offre de crédit, qui va mécaniquement inhiber la demande, est un signal baissier supplémentaire pour le marché de l’immobilier locatif.
La menace de l’encadrement des loyers
A quelques encablures d’une échéance électorale majeure, le risque politique ne doit pas non plus être ignoré. Applicable initialement à Paris, puis à Lille, la pratique de l’encadrement de loyers a été depuis étendue à plusieurs communes de la banlieue parisienne ainsi qu’à Lyon et à Villeurbanne.
La perspective de voir la France se convertir en un marché immobilier administré est des plus inquiétantes pour les propriétaires-bailleurs, mais pas des plus improbables.
Eminemment politique, la mesure a pour avantage de ne nuire qu’à une frange marginale de l’électorat (moins de 7% des électeurs possèdent des biens destinés à la location). Elle permet en outre d’afficher à peu de frais un soutien au pouvoir d’achat des ménages – et peu importent ses conséquences délétères à long terme sur l’état du parc locatif.
Or, plafonner les loyers représente une double peine pour les bailleurs. D’une part, la baisse des loyers prive le propriétaire de son cash-flow mensuel. D’autre part, les investisseurs raisonnant souvent en terme de rendement locatif, le prix sur les marchés des biens subit une pression équivalente à la baisse. Les investisseurs réalisant des achats pour leur rentabilité et non par « coup de cœur », le potentiel de hausse des biens locatifs se retrouve plafonné lorsque les loyers le sont.
Lorsqu’un plafonnement des loyers est mis en place dans une zone géographique, les bailleurs perdent simultanément en revenus (baisse des loyers encaissés) et en patrimoine (pression à la baisse sur les prix des biens).
Nouvelles contraintes sur les meublés de tourisme
La location meublée de courte durée a été popularisée par l’essor des plates-formes comme Airbnb. Elle offre aux investisseurs une potentielle hausse des rendements dans les zones où les rendements locatifs classiques parviennent à peine à couvrir les taxes, travaux, et autres charges. C’est dans les grandes agglomérations où le prix du mètre-carré s’est envolé, comme à Paris ou à Lyon, que ces locations ont connu le plus grand succès.
Cette activité est de plus en plus décriée par nos dirigeants.
Après une première salve de règlements conçus pour limiter la conversion des logements en locations saisonnières, la ville de Paris va désormais rendre plus compliquée la conversion de commerces inoccupés en logements meublés (pratique autrefois encouragée par les pouvoirs publics).
Même les propriétaires qui souhaiteraient louer leur résidence secondaire pour de courtes durées, évitant ainsi de laisser leurs appartements inoccupés lorsqu’ils ne sont pas présents, devront se plier à une nouvelle forme de compensation. Déjà soumis à l’obligation déclarative auprès de la mairie, ils devront compenser au triple la transformation de chaque mètre carré de logement en location saisonnière dans les secteurs touristiques de la capitale en transformant des surfaces commerciales en logements. Fortement dissuasive, la mesure a de l’aveu-même des élus pour objectif de « dissuader les propriétaires de transformer des logements en AirBnB dans ces quartiers » selon l’adjoint (PCF) au logement de la ville de Paris, Ian Brossat.
Malgré un positionnement hybride entre l’investissement passif et l’offre de service (louer un bien en location saisonnière demande en effet bien plus de travail qu’en location nue), la location saisonnière est dans le collimateur des pouvoirs publics qui, à défaut de l’interdire purement et simplement, vont la compliquer et la taxer suffisamment pour que particuliers et investisseurs cessent de la pratiquer.
Entre un possible retournement de marché, les difficultés à obtenir des financements bancaires et plusieurs épées de Damoclès législatives, l’année 2022 sera compliquée pour ceux qui veulent se lancer dans l’investissement immobilier.