▪ La BCE n’a pas laissé passer l’occasion de donner un coup de pouce salutaire à l’adjudication de deux minuscules tranches de bons du Trésor portugais — 500 millions chacune, portées à 600 et 650 millions vu la vigueur de la demande. Avec un rendement de 6,7% sans le moindre risque puisque tout est théoriquement garanti par le FSME, voire la Chine et le Japon, on se demande bien pourquoi il y avait autant candidats !
Refinancer un pays qui a besoin de 20 milliards d’euros et qui gère ses affaires de manière plutôt rigoureuse, c’est une chose. C’est une toute autre affaire, en revanche, que de refinancer une Espagne qui aura besoin de 175 milliards d’euros (et comptez 100 de plus pour les banques ibériques)… ou des Etats-Unis qui exigent un renflouement de 1 300 milliards de dollars pour le seul déficit fédéral — auquel il faut rajouter celui des différents états de l’Union puisque la Fed hésite à employer une partie du « QE2 » pour sauver la Californie ou la Floride de la faillite.
Si une hirondelle ne fait pas le printemps, un tramway de Lisbonne remis sur les rails ne fait pas l’Amérique. N’oublions pas que le Florentin Amerigo Vespucci s’était mis au service du Portugal au début des années 1500 lorsqu’il découvrit les côtes d’Amérique du Sud et vogua jusqu’à l’actuelle baie de Rio de Janeiro.
Un des travers favoris du marché, c’est soit de prendre la partie pour le tout — ou inversement de globaliser pour gommer les aspérités lorsqu’il lui faut produire une justification.
▪ Les récentes émissions des Trésors espagnol et portugais illustrent le premier propos ; le ramassage systématique des valeurs automobiles au second semestre 2010 illustre le second.
Qui n’a pas lu 50 fois que la hausse du secteur s’expliquait par la thématique des marchés émergents ? Les analystes se sont alors lancés dans une folle course-poursuite, le but étant de produire le « papier » le plus haussier de la place et de conserver une longueur de révision d’objectif à la hausse par rapport à ses concurrents.
Une fois que le mouvement est lancé, plus rien ne l’arrête… et surtout pas un retour à quelques réalités concrètes de nature à tempérer un optimisme débridé.
Prenez par exemple les constructeurs français : tous consacrent une large part de leur communication aux investissements qu’ils consacrent à la Chine.
Qui prend le soin de préciser qu’il s’agit de prises de contacts en vue de la construction de nouvelles usines — alors que les Allemands, les Coréens et les Japonais sont déjà solidement implantés dans le pays… et que les champion locaux, qui ont tout le support de Pékin, n’ont pas l’intention de se laisser manger des parts de marché par des nouveaux venus, si bien intentionnés soient-ils ?
Qui s’est intéressé au fait que le rythme de l’accélération de ventes en Chine a commencé à ralentir au début de l’automne ? Pékin a institué des restrictions quantitatives drastiques au niveau des immatriculations et va durcir parallèlement les conditions d’accès au crédit.
Qui s’étonne que les cours ont commencé à flamber alors même que la décrue s’amorçait en Europe (-4% au total en 2010) dès la fin du premier semestre ? Qui mentionne que les prévisions de ventes en 2011 sont devenues de plus en plus prudentes au sein des différentes directions ?
Peu importe tout cela : la gestion robotisée pratiquée à Londres ou Wall Street considère le secteur automobile comme un tout et ne fait guère de distinction entre les constructeurs français et allemands. BMW, Volkswagen ou Daimler réalisent de vrais profits en Chine alors que Peugeot n’en est encore qu’au stade de l’investissement… Les spécialistes de la gestion « benchmarkée » ne font guère la différence : du moment que le véhicule porte un logo en lettres latines, possède quatre roues et un moteur et que c’est conçu en Europe, peu importe qu’il en circule des milliers dans Pékin ou quelques centaines dans toute la Chine !
Un de mes amis qui fait régulièrement la navette entre Paris et Shanghai m’a fait part de son étonnement lorsque je lui ai expliqué que la plupart des gérants pensent que le groupe Peugeot ou Renault a fait un carton l’an passé en Chine.
Il m’a conté l’anecdote suivante : il est à chaque fois surpris de constater le nombre de BMW, Mercedes et autres Audi stationnées sur le parking de l’aéroport de Shanghai (où les voitures au design plutôt japonais dominent). Il lui arrive parfois d’apercevoir une Peugeot de type 307 ou une Citroën C5, mais c’est rare.
Certes, Peugeot annonce +30% de ventes en 2010, mais partant d’une de part de marché de 3,5% (contre 12% pour le seul groupe Volkswagen), cela ne se remarque guère dans le flot de la circulation… Mais le chiffre brut fait rêver, et c’est ce genre d’argument qui entretient la fièvre acheteuse sur les constructeurs du CAC 40.
La Chine ne serait donc pas l’Eldorado que les cours de bourse semblent refléter ! La réalité n’est pas aussi monolithique. Elle devient même très hétérogène s’agissant des marges : les grosses berlines de luxe (BMW, Mercedes) et les speedsters (Porsche, Ferrari) s’achètent cash, avec toutes les options, sans discuter le prix, c’est une affaire de prestige. Les voitures françaises — des petite citadines très majoritairement — doivent en revanche afficher le meilleur rapport qualité/prix : ce n’est pas un achat « plaisir », la concurrence locale est féroce, il faut serrer les marges.
▪ Enfin, l’affaire d’espionnage de Renault — où Pékin se défend avec véhémence alors que personne à la direction du groupe ou au gouvernement n’a désigné nommément la Chine — ressemble bel et bien à un torpillage intentionnel de la part des autorités chinoises, lesquelles attribuent à Renault les accusations véhiculées par la presse française.
Ce procédé — l’amalgame — est terriblement hypocrite de la part des Chinois et dévastateur sur le plan de l’image de Renault dans ce pays. Croyez-vous que l’acheteur potentiel choisira une voiture produite par une firme qui le traite d’espion ? Fera-t-il la subtile distinction entre les vitupérations du ministre du Commerce chinois monté au créneau et la prudente communication du constructeur qui s’est appliqué à ne stigmatiser officiellement aucun pays en Asie ?
Il ne reste à Pékin qu’à produire un photomontage où le Dalaï Lama conduit une Renault… et l’avenir commercial de la firme au losange sera cuit pour longtemps dans l’Empire du Milieu !
▪ Les programmateurs des logiciels de trading estiment peut-être depuis le début de la semaine que la thématique de l’exposition aux émergents est usée jusqu’à la corde à force d’avoir été surjouée de façon systématique.
Une rotation sectorielle s’amorce brutalement en faveur des valeurs financières, au détriment des valeurs du luxe, des constructeurs automobiles voire des parapétrolières avec le profit warning de Tenaris, le rival italien de Vallourec.
Dopé par les bancaires et les assureurs, Paris a aligné une troisième séance de hausse (Wall Street s’effritait de 0,2% jeudi soir).
Le CAC 40 a grimpé de 0,75% pour clôturer au plus haut de la séance à 3 975 points, au plus haut depuis le 26 avril dernier. Les volumes étaient proches de cinq milliards d’euros, dopés par un quasi-doublement des volumes sur certaines valeurs comme AXA, 26,5 millions de titres échangés contre 10 millions 48 heures auparavant.
L’Euro-Stoxx a bondi pour sa part de 1,3% à 2 915 points dans le sillage de la bourse de Madrid (+2,7%) tandis que l’Eurotop 100 reculait de 0,4%. C’est l’une des distorsions de performances parmi les plus spectaculaires de la décennie : pratiquement 1,7%… c’est énorme, et probablement excessif. A noter que Francfort terminait quasi inchangé tandis que Zurich perdait 0,8% et Londres 0,45%.
▪ Le rebond de l’euro (+3,5% en trois séances à 1,337 $) soulève également de nombreuses interrogations, surtout après la franche rupture du support des 1,31 $ en fin de semaine dernière. Ce genre de volte-face est rarissime, surtout pour un prétexte aussi ponctuel que celui évoquée dans le premier paragraphe de cette chronique.
La soudaine faiblesse — symétrique — du dollar nous intrigue également, surtout à la lumière des dernières déclarations de Ben Bernanke dans une interview diffusée en début de soirée.
Le patron de la Fed affirmait tabler sur 3,5% à 4% de croissance en 2011. Il va lui devenir de plus en plus difficile de justifier le maintien d’une politique de taux zéro, surtout après la publication de l’indice des prix à la production industriels (PPI), qui s’inscrivent en hausse de 1,1% en décembre, soit +4% en rythme annuel.
Une envolée conjointe de 4% du PIB et de l’inflation, des taux zéro, un marché du travail anémique, un endettement record, des banquiers qui captent à leur seul profit un tiers de la richesse nette créée en 2010 aux Etats-Unis, un indice VIX au contact du plancher historique des 16 (qui témoigne d’un climat d’hyper-confiance des investisseurs)… Si un universitaire un peu fantasque avait pondu en 2007 une thèse dépeignant un tel scénario, ses examinateurs l’auraient prié de se reconvertir en auteur de science-fiction — tout en l’avertissant qu’il ne faut pas confondre inspiration et élucubrations.
Pour l’heure, c’est Wall Street qui planche… Et là, pas l’ombre d’une critique, le public lui est tout acquis : le marché a toujours raison !