Par Jean-Claude Périvier (*)
Une nouvelle géographie de la violence
L’accès ou la possession de ressources naturelles vitales entre dans une nouvelle logique. En situation de pénurie, partielle ou totale, et face à une pression démographique croissante, les conditions d’un affrontement sont réunies : que ce soit pour une guerre entre Etats ou pour une guerre entre les populations d’un même Etat.
Guerre civile au Darfour, conflits ouverts ou larvés au Proche-Orient, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud pour l’accès à l’eau propre (bientôt pour disposer des récoltes ou des zones d’élevage)… On en revient à la guerre pour la possession de la terre, phénomène qui avait disparu des préoccupations des pays développés. Avec les "émeutes de la faim" qui viennent de se produire, une nouvelle géographie de la faim, et donc de la violence, est en train d’apparaître.
Toujours en liaison avec la surpopulation, et je dirais avec la suractivité industrielle qui va obligatoirement avec, une nouvelle logique de conflits surgit au sujet de l’environnement. Dégradation de la qualité de l’air, pollution, modification du climat, le temps n’est pas loin où des "éco-guerres" se déclencheront quand un Etat perturbera l’environnement au détriment d’un autre.
L’avancée chinoise : qui dépend de qui ?
Prenez du recul : le comportement de la Chine s’apparente à des tentatives de razzias sur les matières premières des pays fragiles (l’Afrique par exemple) comme les pirates barbaresques, il y a dix siècles, le faisaient sur les richesses matérielles et humaines de l’Occident médiéval. En y mettant plus ou moins les formes, quand même. Evidemment nous, Occident, avons fait et faisons la même chose. Mais comme nous avons depuis des années marqué notre territoire et que les ressources diminuent, nous voyons d’un oeil mauvais le désir de la Chine… de faire comme nous.
La Chine s’insinue partout dans le monde, nouant des accords diplomatiques aux endroits les plus inattendus, prenant des participations dans des sociétés susceptibles de lui fournir un pouvoir économique indiscutable. Même si cela doit prendre du temps, elle avance. Comment va évoluer le comportement de la Chine vis-à-vis de son premier client et débiteur, les Etats-Unis ? On ne peut imaginer un statu quo à moyen terme, mais il aura un impact sur le dollar et donc sur les économies occidentales et sur les bourses.
Par ailleurs, la Chine ne tolèrera pas éternellement l’existence de Taïwan en tant que partie non intégrante de la République Populaire. Ce jour-là, que se passera-t-il pour l’économie taïwanaise, comment réagira l’Occident et son représentant suprême les Etats-Unis ? D’ailleurs, seront-ils libres de réagir, ou ficelés par leur dette chinoise ? Qui dépend le plus de l’autre ?
Et je ne vous parle pas du vieil antagonisme sino-japonais qui ne demande qu’à exploser sous un prétexte quelconque. Les Chinois ont gardé en mémoire les exactions japonaises du passé, mais pour le moment, le commerce intense entre les deux pays joue un rôle de pare-feu.
L’Inde inquiète moins, à tort ou à raison. Mais ce pays poursuit la même logique d’expansion économique, prenant pied dans les industries-clés du monde entier et notamment de l’Occident. Rappelez-vous, ce n’est pas vieux : Arcelor, Keyrus… imaginez la suite, avec l’informatique peut-être !
La Russie ressuscitée… mais encore vulnérable
En 1998, vous et moi, nous n’aurions pas donné cher de la Russie.
Une crise économico-financière venait secouer sérieusement ce qui était encore, dix ans auparavant, l’"empire" soviétique. Elle n’a dû son salut qu’aux banques occidentales. Dix ans après, la Russie est de retour dans le concert des nations. On peut penser ce que l’on veut du président Poutine, mais la Russie a retrouvé une place de premier plan, et se permet une diplomatie active aussi bien en Europe qu’en Asie centrale, et même au Maghreb et au Moyen-Orient — notamment en ce qui concerne la question de l’Iran.
Car la Russie a le sentiment d’être encerclée par des forces potentiellement hostiles, d’où sa tentative d’ouverture vers les pays arabes afin de prendre à revers les puissances occidentales et leurs nouveaux alliés. La Russie assoit sa nouvelle puissance sur ses richesses naturelles. Cela peut durer. Mais ce n’est pas sans fin. Le chantage qu’elle exerce sur l’Union européenne au sujet du gaz ne sera pas éternel non plus.
Tout cela cache des vulnérabilités majeures : une inflation non maîtrisée (14% en rythme annuel !), une décroissance démographique, une corruption à tous les niveaux… Le pétrole russe est passé par un pic de production ; pour le gaz nous n’en savons rien. Mais ce que nous savons, c’est le manque d’entretien considérable des infrastructures économiques russes. Le pactole issu des ressources naturelles de ce grand pays est utilisé à bien d’autres choses. La tentation peut être forte de se doter d’armements et de capacités d’interventions dans les zones limitrophes, autrefois parties intégrantes de l’URSS, et riches en ressources naturelles. Attention, danger …
Une nouvelle guerre mondiale a commencé : elle est économique
Même si, dans sa forme actuelle, elle ne ressemble en rien aux précédentes, une guerre sourde et permanente a lieu chaque jour. Elle n’en est pas moins terrible — et qui sait, définitive pour la suprématie mondiale. Pourtant, vous croyez que votre quotidien a peu changé, n’est-ce pas ? En apparence toutefois, car c’est justement NOTRE QUOTIDIEN qui est l’enjeu de ces tensions souterraines.
La défense nationale est devenue une démarche stratégique permanente et globale qui ne se limite plus aux frontières de l’Etat dont elle émane, mais qui veut se préoccuper des besoins économiques du pays. La guerre moderne est donc basée sur une perception géopolitique et c’est là que la composante économique s’impose. La médiatisation des Droits de l’homme, du pouvoir d’achat, de la flambée des produits alimentaires, de l’augmentation du prix de l’essence, n’est qu’une facette des sourds affrontements entre puissances sur le pétrole, l’eau, les matières premières… toutes les matières premières.
Les Chinois en particulier ont bien compris la notion d’affrontements économiques en temps de paix. La Chine a observé le bilan catastrophique de la Russie durant la course aux armements pendant la guerre froide. Elle ne fera pas la même erreur, même si elle en a les moyens. Plus subtilement, l’économie de marché sera un des terrains d’affrontement indirect entre les puissances majeures de ce monde, au premier rang desquelles : la Chine.
Entendez-moi bien, je ne suis pas en train d’affirmer que le troisième conflit mondial sera l’oeuvre de la Chine, mais vu sa puissance économique et peut-être militaire, elle ne peut être exclue de la partie d’échec mondiale. Bien au contraire, elle y jouera un rôle majeur.
Meilleures salutations,
Jean-Claude Périvier
Pour la Chronique Agora
(*) Parallèlement à sa carrière dans le conseil aux entreprises et l’intelligence économique, Jean-Claude Périvier s’intéresse à la Bourse et à l’investissement depuis 1986. Analyste de talent, il excelle à détecter et anticiper les tendances futures… pour en déduire les meilleures opportunités de gain dans sa toute nouvelle lettre d’information, Défis & Profits.