▪ L’Eurogroupe consacré à la résolution de la crise chypriote a débuté avec quatre heures de retard dimanche soir à Bruxelles, à l’issue d’un véritable psychodrame qui a vu le président Nicos Anastasiades menacer de démissionner devant le rejet de toutes les propositions élaborées par son gouvernement depuis vendredi (le « plan B », de facto mort-né).
Le FMI et le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schaüble, se montrent totalement opposés à la nationalisation de certains fonds de retraite par Chypre. De plus, ils ne lâchent rien quant au projet de ponction sur les comptes de dépôts supérieurs à 100 000 euros (il est question d’une taxe de 20% sur les dépôts de la première banque du pays, la Bank of Cyprus), sachant pertinemment que cela va affecter principalement des détenteurs non-résidents et majoritairement russes.
Ce sont ces derniers qui ont le plus profité des taux de rémunération canons proposés du temps où Chypre refinançait Athènes avec des capitaux étrangers, dans l’espoir que la Grèce bénéficie d’un plan de sauvetage à l’Irlandaise (ce qui aurait évité une décote de 70% sur la valeur de sa dette et la ruine de nombreux créanciers… chypriotes).
▪ La solution « gaz » est-elle viable ?
Il est beaucoup question depuis une semaine de la vente par anticipation de réserves gazières détectées en offshore profond. Elles sont situées à mi-chemin entre Chypre et Israël, et de ce fait codétenues par ces deux pays.
Il ne faut pas trop compter là-dessus pour renflouer les caisses de l’île. En effet, le gisement présumé ne pourrait pas être mis en exploitation avant sept ans — et cela à condition que le différent au sujet de la souveraineté maritime sur les eaux occidentales avec la Turquie soit réglé. Or rien n’est moins sûr… ou alors il faudra partager les recettes gazières avec Ankara.
En imaginant le scénario le plus favorable (difficultés techniques et politiques résolues), il ne faudrait pas que le prix du gaz soit inférieur à 13 $ par MMBtu (unité la plus couramment retenue par les spécialistes), sinon la mise en exploitation ne sera pas rentable.
Or le prix du gaz a déjà fait de nombreuses incursions sous les 10 $ depuis 2011. Par ailleurs, la production mondiale risque de devenir très excédentaire avec le gaz de schiste, beaucoup plus facile à mettre en oeuvre sur la terre ferme (techniquement, cela ne prend que quelques mois) et qui s’avère très abondant dans les anciens bassins houillers du nord de l’Europe.
▪ Le mal est fait
Non, l’avenir de l’île ne se situe pas au large de ses côtes… mais bien à Francfort, où la BCE a brandi la menace ultime d’une suspension de son soutien au système bancaire chypriote dès ce lundi. Que la coupure du robinet des liquidités européennes entre en vigueur ou non au cours des prochaines heures, le mal est fait !
Le maintien de Chypre au sein de l’Eurozone ne semble plus envisageable car la banqueroute du pays est avérée. Les Européens et la BCE devraient se donner le temps de gérer sa sortie en évitant le chaos… ce que les marchés pensent possible puisque l’échec des négociations en milieu de nuit ne les empêchait pas de grimper en préouverture.
C’est comme s’il ne se passait rien… Comme si les relations entre Berlin et Moscou étaient au beau fixe… Comme si les populations ne se rendaient pas compte que la BCE vient de faire comprendre qu’elle s’arrogeait dans certaines « circonstances exceptionnelles » — qui deviennent de plus en plus nombreuses — le droit de vie et de mort sur un des 17 pays dont elle supervise le financement.
Mario Draghi s’abritant derrière le verdict auto-réalisateur de l’arrêt du financement des banques en situation de défaut de paiement… c’est exactement le cas de figure qui s’est présenté en l’Irlande début 2013 et en Espagne l’été dernier.
▪ Les marchés respectent la tradition envers et contre tout
Oui, tout se passait en préouverture comme si la crise chypriote était déjà résolue — n’importe quelle rumeur positive invérifiable étant immédiatement prise pour argent comptant. On aurait dit que le seul sujet du moment concernait le bon comportement de Wall Street vendredi soir.
La tradition de la hausse de veille de week-end — ou du « vendredi vert » — a été respectée à la lettre. Les indices américains ont repris très exactement le terrain perdu jeudi soir (+0,7%).
Mieux, la tactique de l’arrachage des cours à la dernière minute a rendu la hausse encore plus belle entre 20h57 et 21h00. Les indices américains ont même bénéficié d’un bonus de 0,25%, le S&P 500 passant de 1 553 à 1 557 points, le Dow Jones de 14 486 à 14 512 points.
Ces 0,25% acquis au cours des trois dernières minutes ont fait toute la différence : les indices américains ont ainsi retrouvé leurs niveaux de mercredi dernier et donnent l’impression de vouloir aller chercher de nouveaux records absolus dès ce lundi.
▪ Où sont les bonnes nouvelles ?
Ce qui nous épate, c’est de constater à quel point les échanges sont restés sous contrôle dès que les 14 500 ont été atteints sur le Dow Jones. Les cours ont fluctué au sein d’un corridor de 0,25% d’amplitude durant plus de sept heures, les deux bornes ayant — comme par hasard — été testées successivement au cours des cinq dernières minutes).
Un grand coup de chapeau aux programmeurs des robots algorithmiques : ils ont tué tout suspense dès la première demi-heure de cotations en plaçant les indices américains là où il était prévu de les installer pour aborder le week-end avec sérénité.
Wall Street semble triompher de toutes les incertitudes, de toutes les mauvaises nouvelles, de tous les plus sombres présages économiques (la croissance américaine de 2013 devrait être revue à la baisse par le FMI, à +1,7%). Intuitivement, les non-initiés supposent pourtant qu’il y dû y avoir au moins une bonne nouvelle pour doper New York.
En réalité, il semble qu’il y ait tout simplement eu une absence de mauvaise nouvelle (aucune statistique publiée vendredi aux Etats-Unis). Cela a permis aux opérateurs de se focaliser sur les bons résultats pour le groupe Nike, qui bondit de 11% grâce à une forte hausse des ventes aux Etats-Unis. Les profit warnings de Fedex, Caterpillar ou Oracle ont ainsi été oubliés en moins de 24 heures.
La résilience de Wall Street s’explique surtout par les quatre milliards de dollars injectés quotidiennement par la Fed. En effet, cette semaine a été marquée par une accumulation d’annonces défavorables sur le front de la croissance en Europe avec une chute collective des indices PMI.
Wall Street ne s’interroge même pas sur ce que dissimule le sommet de l’iceberg chypriote… ni sur le rôle central joué par Wolfgang Schaüble, l’inflexible ministre des Finances allemand. Et les marchés américains se posent encore moins de questions sur la BCE. Cette dernière place pourtant les membres de l’Eurozone devant le fait accompli en démontrant son pouvoir d’acculer un pays à la faillite et de l’éjecter de la Zone euro… ce qu’aucun texte européen ne prévoit ni n’autorise.