** Comme si le basculement électoral de mardi s’estompait déjà dans un lointain passé… les marchés subissaient hier une brûlante piqûre de rappel qui ravive tout à coup les braises d’antiques réflexes de peurs que l’on espérait éteintes depuis le sursaut des 27 et 28 octobre dernier — avec un indices VIX qui bondissait de 20%.
La consolidation d’hier de 5% de Wall Street peut avoir été interprétée comme la manifestation du "fait accompli" relatif à l’élection triomphale de Barack Obama ; les investisseurs y ont vu une opportunité de prises de bénéfices après un rebond de 20%. Avec l’effondrement de 6,25% survenu ce jeudi sur les places européennes, ce sont de bien mauvais souvenirs qui remontent à la surface.
Les plus sombres heures de la période du 21 au 22 puis du 24 au 28 octobre semblent effectuer un retour en force, avec une accélération des dégagements tous azimuts au cours de la dernière heure de cotations, ce qui traduisait une nouvelle démission des acheteurs.
Paris a dévissé de 6,4%, effaçant tous les gains engrangés depuis le mercredi 29 octobre. Le CAC 40 replonge au contact des 3 380 points avec 100% de titres en repli… et la semaine pourrait s’achever sur une perte égale ou supérieure à 3%.
Le mauvais exemple du S&P 500 — qui rechutait de 5% jeudi soir et de 10,5% en 48 heures — et des places asiatiques (-6,5% à Tokyo et -7,3% à Séoul) pourrait être suivi par les places européennes. La perte hebdomadaire pourrait largement dépasser les 5% si les indices paneuropéens s’alignaient sur Wall Street.
** Mais ce qui a singularisé la séance d’hier et ce qui renforce l’inquiétude ambiante, c’est la chute sans précédent des indices boursiers un jour de réduction générale des taux d’intérêt en Europe. Cette baisse a connu des proportions inattendues au Royaume-Uni puisque la Banque d’Angleterre (BoE) a opté pour un abaissement spectaculaire (-150 points de base) de son taux d’intervention, le ramenant ainsi de 4,5% à 3% "tout rond".
Après l’annonce d’un abaissement de 50 points de base en Suisse (à 2%) et le coup d’éclat de la BoE, les opérateurs s’étaient mis à espérer durant 45 minutes que la BCE — de concert avec son homologie britannique — allait abaisser le "repo" de 75 points de base, à 3,00% ; le CAC 40 remontait alors de 3 450 points jusque vers 3 575 points.
Mais elle s’est contentée du geste "standard" de 50 points à 3,25%, bien qu’ayant discuté de la possibilité de réduire son taux plus fortement. Ainsi, pour obtenir 25 points de plus — ce qui sera de toute façon jugé insignifiant –, il faudra patienter jusqu’à la mi-décembre. Cependant, la question que les marchés se posent est : "pourquoi attendre ?", alors que la situation que décrit Jean-Claude Trichet est d’une exceptionnelle gravité — et il pèse ses mots.
Et pourquoi continuer d’insister sur la menace de l’inflation de second tour ? Dans le même temps, l’urgence semble plutôt de combattre l’effondrement de la consommation et du marché du travail, sur fond de rechute verticale du prix de l’énergie et des matières premières. La BCE reste la seule à ne pas faire du soutien à l’économie sa priorité des priorités : l’orthodoxie monétariste continue de régner sans partage à Francfort.
** Les marchés ont été consternés par l’autisme de la BCE alors que la croissance devrait être négative de 0,5% dans l’Eurozone en 2009 selon le FMI, de 0,8% en Allemagne et de 1,3% en Grande-Bretagne. Christine Lagarde, qui s’obstine à anticiper une simple stagnation en France, n’est prise au sérieux par personne.
Le FMI abaisse par ailleurs sa prévision de croissance mondiale de +3% à +2,2% en 2009. Les pays du G7 devraient être victimes d’une contraction de l’activité inédite depuis 1945 de 0,3% alors que les pays émergents, durement impactés par la déprime de la consommation en Europe et aux Etats-Unis, verront leur croissance ralentir autour de 5% — contre +8% en 2007 et +6% anticipé en 2009 (à peine un mois plus tôt).
Avec le retour en force des spéculations sur une dépression économique — plutôt qu’une sévère récession si le G20 du 15 novembre accouche d’une souris –, les matières premières, excepté l’or, ont connu une journée de capitulation. Le cuivre a ainsi chuté de 5,6% et le platine de 4,5%.
** Le baril de brut léger américain replongeait de 7% à 61,5 $, retraçant son plancher annuel ; la décrue s’était amorcée la veille avec une hausse surprise des stocks hebdomadaires d’essence aux Etats-Unis.
La baisse des prix carburants aux Etats-Unis (-3% ce jeudi) n’a en rien soutenu le compartiment des constructeurs automobiles. Peugeot (-14,2%) a été laminé ainsi que Renault (-13,6%) et Michelin (-8%).
Aux matériaux de construction, Lafarge décrochait de 11%, Schneider de 9,4% et Saint-Gobain de 8,4%.
Voilà le portrait "en creux" d’une récession alimentée par la chute de l’immobilier et qui contamine le secteur des véhicules — aussi bien particuliers qu’utilitaires — et la consommation au sens large… le pire des scénarios envisageables en cette veille de publication des chiffres de l’emploi aux Etats-Unis ce vendredi à 14h30.
Philippe Béchade,
Paris