▪ Tout ou presque a été dit et écrit sur la sinistre farce des chiffres du chômage en France : comment ils sont manipulés, magouillés et même torturés pour servir les intérêts bien compris des gouvernements en place, qu’il s’agisse indifféremment de la droite, de la gauche ou même du centre.
Que le nombre de personnes sans emploi, en stage cache-misère ou sous-employées atteigne 20% de la population active ne fait mystère pour personne.
La situation ne serait pas si grave si par exemple nous revenions de 25% de la population active à moins de 20%… avec une accélération des embauches en fin d’année.
Ce n’est malheureusement pas le cas, au contraire. On enregistre un repli de 2,2% (à 593 000) du nombre de signatures de contrats de travail d’au moins un mois dans les secteurs industriels et marchands, hors intérim.
Certes, ce recul fait suite à une hausse de 4,4% en novembre (au-delà de 605 000)… mais ce score flatteur agrégeait une cinquième semaine de déclarations au lieu de quatre, le 30 novembre étant tombé un lundi, comme le souligne l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).
La vraie question demeure la suivante : quelle est la tendance de fond sur les trois derniers mois de l’année 2015 ?
L’ACOSS apporte la réponse : très concrètement — et les chiffres sont incontestables –, les déclarations d’embauches ressortent en hausse de 0,2% au quatrième trimestre et de 0,6% sur la période de 12 mois s’achevant fin novembre.
Ce sont des chiffres très faibles… et même inférieurs à la croissance mesurée par l’INSEE en 2015 : +1,1% à +1,2%, après révision à la baisse de +0,4% à +0,2% au quatrième trimestre.
Vous voyez où je veux en venir : le taux de création d’emploi s’avère de moitié inférieur au niveau de la croissance. Cela signifie que l’accent est mis sur la productivité — et ça marche ; l’automatisation et l’amélioration des process permet de "faire plus avec moins" (de moyens humains).
Autrement dit… Quel serait le taux de croissance nécessaire pour que le nombre de créations d’emplois permette d’absorber ne serait-ce que les nouveaux entrants sur le marché du travail — un montant qui reste fonction de l’accroissement démographique ?
En ce qui concerne les demandeurs d’emploi, la pyramide des âges pourrait déboucher sur une embellie purement mécanique du fait du vieillissement de la population française. Cela ne résout pas le problème structurel du peu de créations d’emplois… et de la poussée exponentielle des CDD qui représentaient environ 91% des embauches en 2015.
▪ Pas mieux côté pouvoir d’achat
Dans le même temps, le pouvoir d’achat de ceux qui ont un emploi est amputé de toutes parts par la hausse des prélèvements obligatoires (impôts et taxes locales notamment avec une progression annuelle de 7% en moyenne), le coût des études, des soins (de plus en plus de tarifs médicaux déplafonnés)… puis la chute du rendement de l’épargne voulu par les banques centrales.
Bien sûr, il a le recul du prix des carburants et du fioul… mais les Français roulent beaucoup moins que les Américains et 75% du prix du litre de diesel ou de sans plomb est constitué de taxes dont le montant est fixe. Les Français ne comptent certainement pas sur la baisse du prix de la cuve de fioul pour programmer de grosses dépenses ou financer leurs prochaines vacances.
Pourtant, les gestionnaires d’actifs et les économistes vous répètent à l’envi que la croissance est de retour en Europe… et que nous le devons au vaillant consommateur dont le porte-monnaie à double fond lui permet de dépenser plus que son travail ou son épargne lui ont rapporté.
Et de se féliciter que le volume de crédit à la consommation progresse en France grâce à la générosité des banques. Vous avez certainement reçu des propositions de crédit à 2,50% sur 24 mois — ce qui est certainement plus attractif qu’une autorisation de découvert facturée 18%.
Bon d’accord, les banques françaises se procurent de l’argent à taux négatif sur des maturités allant jusqu’à cinq ans… mais au moins elles jouent un peu le jeu que leur impose la BCE en leur facturant à 0,3%/jour la prise en pension des liquidités inemployées.
Leurs marges demeurent faibles en revanche sur le crédit hypothécaire, et le niveau des créances douteuses ne cesse de progresser, surtout dans le domaine des prêts aux entreprises.
Ce n’est pas le coeur du sujet, toutefois. La question du jour, c’est : peut-on imaginer que la consommation des ménages va soutenir la croissance dans un pays qui ne crée pas d’emploi et dont nous commençons à percevoir qu’il faudra beaucoup plus que 2% de hausse du PIB pour qu’une progression équivalente du marché du travail se matérialise ?
▪ Mais que font les touristes ?
L’autre moteur de la consommation en France, c’est le tourisme ; les touristes les plus dépensiers sont les Asiatiques, et en particulier les Chinois.
Nous commençons à mesurer l’impact des attentats du 13 novembre 2015 sur les réservations hôtelières à Paris et la fréquentation des grands magasins et du commerce de luxe. Selon l’INSEE, cela pourrait avoir amputé la croissance française de 0,2% au quatrième trimestre.
Les clients russes et brésiliens sont également lourdement contraints par la baisse de leurs devises depuis un an. Ce qui risque de faire le plus mal, cependant, ce sont les restrictions imposées par Pékin en matière d’achats de devises étrangères face à l’hémorragie constatée depuis l’amorce d’un cycle de dévaluation du yuan en août dernier (et qui n’est sans doute pas terminé).
J’ai donc beaucoup de mal à valider le scénario d’une croissance française soutenue par la consommation. Et même si tel était le cas, en quoi cela serait-il créateur d’emploi ? Si les ménages français achètent des iPhones, des iWatch, des vêtements et des jouets fabriqués en Chine, cela ne va pas donner de travail à grand’monde…
Heureusement, il reste notre créativité, nos ingénieurs de haut niveau. Le problème, là, c’est que la majorité des start-ups de la pépinière baptisée 42 (les informaticiens vénèrent ce chiffre magique), dans laquelle Xavier Niel a beaucoup investi, se sont rapidement délocalisées en Angleterre dès que le succès — et les contrats — ont commencé à poindre à l’horizon.
C’est donc outre-Manche que les emplois des "nouvelles pousses" en devenir sont créés… enrichissant au passage les avocats britanniques, irlandais ou néerlandais qui réalisent les montages fiscaux mettant les dirigeants à l’abris du fisc français (ou d’autres pays d’ailleurs).
Les multinationales délocalisent hors de France, les nouveaux entrepreneurs français font de même, les grandes fortunes se sont enfuies. Ce n’est pas tant à cause de la fiscalité sur le travail (après tout, les Français sont très productifs malgré les 35 heures) que de celle qui frappe la réussite.
Il faut notamment compter avec l’alignement de la fiscalité des revenus salariés et des revenus du capital. Les plus-values boursières se retrouvent imposées jusqu’à 65% contre… zéro en Belgique, aux Pays-Bas et en Suisse, 15% en Grèce et aux Etats Unis, 18% en Angleterre (en dessous de 34 000 euros ; 28% au-dessus), 20% en Italie, 25% en Allemagne et en Autriche…
Autrement dit, sans refonte de la fiscalité, bien moins de créations d’emplois. Et sans emplois… bien moins de consommation que ce que nos faiseurs d’opinion prétendent.
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Meilleures salutations,
Philippe Béchade
Pour La Chronique Agora