▪ Les économistes, les experts du Forex, les journalistes économiques qui se pensent capable de lire entre les lignes des communiqués du G20, de la Fed et de la Banque du Japon… Tous sont stupéfaits d’avoir vu le yen bondir de 121/$ vers 112/$ puis désormais 108 (en six semaines), tandis que le dollar chutait de 1,08 vers 1,14 par rapport à l’euro.
Devant un tel contre-pied, une seule explication justifie que les consensus les plus solidement établis soient démentis et que personne n’ait rien vu venir : un accord secret a été conclu entre les membres du G20 les 26 et 27 février dernier à Shanghai.
Partant du concept que si « personne n’a rien vu venir », c’est qu’il y a anguille sous roche… alors la crise systémique de 2008 était — cherchez à qui le crime profite — un machiavélique complot américain destiné à déstabiliser l’Europe… qui a bien failli y passer en 2011/2012.
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Il s’en fallu est d’un « à n’importe quel prix » que l’Europe ne se disloque et que l’euro n’aille au tapis.
Les 26 et 27 février 2016, donc, les grands argentiers auraient secrètement signé un armistice, mettant un terme provisoire — ou définitif — à la « guerre des devises ».
Course à l’échalote
Une course à l’échalote — ou plutôt à la désintégration de la valeur du papier monnaie — qui ne mène nulle part. En effet, tout le monde fait tourner les rotatives plus ou moins à la même vitesse, de telle sorte que personne n’en tire au final le moindre avantage.
Les pays exportateurs de pétrole ont vu leurs recettes chuter de 50% en moyenne depuis avril 2015 |
Le pire, c’est qu’à ce petit jeu de dupes, ce sont les devises émergentes (real brésilien, livre turque, peso mexicain, rand sud-africain, sans parler du rouble) qui ont plongé le plus vite. Cela génère des pressions déflationnistes qui s’exportent vers les pays du G7 — lesquels voient ainsi leurs efforts pour générer de l’inflation mis en échec et leurs exportations se heurter à l’insolvabilité croissante de la plupart de leurs clients.
Pour couronner le tout, les pays exportateurs de pétrole ont vu leurs recettes chuter de 50% en moyenne depuis avril 2015, ce qui lamine leur pouvoir d’achat de produits occidentaux… à l’exception de la course à l’armement, bien entendu.
Oui, mais la Chine a bien cessé de dévaluer le yuan depuis fin février : c’est bien la preuve que Pékin fait preuve de responsabilité et respecte elle aussi le « pacte secret » !
Mon interprétation, c’est que les Chinois apprennent vite.
Il leur a beaucoup été reproché une communication brouillonne depuis l’été 2015, une activité un peu frénétique et désordonnée de la banque centrale (laquelle annonçait au minimum une initiative de relance monétaire différente par semaine) et un flou sur le mode de transition économique du « tout exportation » vers le tertiaire.
Depuis six semaines, silence radio ou presque — avec juste un petit abaissement du seuil des réserves obligatoires des banques chinoises, de la pure routine en somme…
Chercher à dévaluer le yuan viendrait décrédibiliser le nouveau plan quinquennal de Pékin qui vise à réduire les surcapacités industrielles et à soutenir la demande interne.
D’une pierre deux coups
C’est oublier un peu vite qu’il y a deux façons de déprécier sa monnaie. Soit faire tourner la planche à billets — et existe-t-il la moindre preuve que la Chine ait cessé d’injecter des flots de liquidités dans son économie ? Soit acheter les devises concurrentes, comme la Suisse ou la Suède accumulant de l’euro comme des forcenées.
La Chine fait actuellement d’une pierre deux coups :
1 – Puisque le yuan reste arrimé au dollar, elle profite sans bouger le petit doigt de la dépréciation du billet vert suite à l’adoption d’une stratégie ultra-souple de la Fed (dont on se demande si elle relèvera seulement une seule fois ses taux directeurs d’ici décembre prochain).
2 – Comme les cours du pétrole et d’autres matières premières se sont effondrés, la Chine dépense moins de dollar. Ses réserves de change en sont déjà saturées, il est donc logique de les diversifier un peu et d’arbitrer en faveur de l’euro et du yen… ce qui les renchérit mécaniquement par rapport au yuan.
En ce qui concerne l’affaiblissement du dollar, Pékin n’avait qu’à laisser la Fed s’en charger.
Et pour voir le dollar s’affaiblir, pas besoin d’accord secret, pas besoin de « complot » : il suffisait que la Fed s’abstienne de tenir parole.
En ce qui concerne l’affaiblissement du dollar, Pékin n’avait qu’à laisser la Fed s’en charger |
Elle ne s’était déjà pas engagée sur le moindre calendrier en donnant le coup d’envoi d’une normalisation en décembre dernier. Elle laissait volontiers le marché spéculer sur trois à quatre tours de vis en 2016… et la voici qui déjoue les anticipations implicites en limitant à deux ses interventions au cours des neuf prochains mois.
Argent gratuit et « open bar »
C’est une excellente nouvelle pour Wall Street dans l’immédiat : l’argent va continuer d’être quasi gratuit… et grâce à la générosité de la BCE, c’est open bar sur les liquidités jusqu’en mars 2017, au minimum. Par conséquent, le coût de financement des gigantesques encours de dérivés sur les taux et les devises — et dans une moindre mesure sur les actions — va demeurer très bas.
En y réfléchissant à deux fois, cependant, il y a un hiatus majeur entre les anticipations implicites très optimistes de Wall Street, revenu à 2% ou 3% de ses records absolus (malgré un premier trimestre qui devrait s’avérer le pire en termes de profits depuis sept ans)… et la prudence de la Fed qui justifie un immobilisme quasi militant par les risques externes qui menaceraient la croissance américaine cette année.
Wall Street fait ouvertement le pari — sans doute très audacieux — que cette année va très bien se passer. Peu importe les élections présidentielles, l’instabilité des cours du pétrole ou la contraction temporaire des bénéfices…
Soit la Fed a raison, soit Wall Street se trompe : allez savoir qui est dans le vrai.
Non, c’est une vision trop manichéenne…
Plus modestement, de quel côté semble pencher le risque ?
Vers la déflation et une croissance atone, voire fugace… ou vers un rééquilibrage progressif couronnant de succès plus de sept ans de politique monétaire expérimentale ?
L’un des phénomènes récents les plus paradoxaux et des plus mal compris des cambistes, c’est l’envolée de 10% du yen face au dollar, que j’évoquais en préambule.
Avec l’adoption des taux négatifs, la Banque du Japon vient d’entériner le fait que les Abenomics ne marchent pas |
La Banque du Japon venait pourtant de faire un pas de plus vers un « à n’importe quel prix » à la japonaise. Elle s’est en effet lancée, après la BNS et la Riksbank, dans l’aventure des taux négatifs puisque les Abenomics (quantitative easing massif, achats d’actions, cadeaux fiscaux aux entreprises) ne sont parvenus à relancer ni la croissance ni l’inflation.
En réalité, c’est que nous affirmons depuis plus de 18 mois… mais les marchés ont longtemps voulu croire que ce n’était qu’une question de temps avant que les admirables effets des politiques monétaires ultra-laxistes (une fuite en avant dans un comportement d’apprentis-sorciers selon nous) ne se matérialisent.
Avec l’adoption des taux négatifs, la Banque du Japon vient d’entériner le fait que les Abenomics ne marchent pas.
Et les Abenomics, ce n’est que le « coup d’après » par rapport à ce qu’a déjà mis en oeuvre la BCE.
Pressentant que les taux négatifs envoient un mauvais message aux marchés, la Fed s’est empressée de déclarer que cet outil « n’est plus sur la table » fin mars.
Sauf que le mauvais message a déjà produit ses premiers effets très visibles dès fin janvier — un bon mois avant le fameux G20 et son potentiel accord secret… qui ne constitue selon moi qu’un concours de circonstance.
Mais c’est une fiction rassurante : il y aurait encore des grands argentiers qui complotent entre eux et qui tirent les ficelles, l’attelage monétaire a encore un cocher et il ne fonce donc pas naseaux écumants vers la falaise.
Une autre histoire…
La hausse du yen nous raconte peut-être une toute autre histoire. Celle-ci, j’ai déjà eu l’occasion de vous la narrer lorsque le yen a connu de brusques accès de fièvre haussière ces dernières années : le yen, c’est la devise que tout le monde vend à découvert en espérant la racheter moins cher, après avoir arrondi son pécule en captant des rendements plus juteux sur des monnaies et des actifs mieux rémunérés (comme les T-Bonds US ou les actions).
Les brasseurs d’argent n’ont en théorie aucune raison de racheter le yen lorsque son rendement est réduit de 10 points par rapport à celui du dollar ou de l’euro sauf si…
Sauf s’ils sont soudain convaincus qu’il n’y a plus grand-chose à espérer des actions (baisse des dividendes) ni de nombreuses catégories de dettes high yield (risque de non-remboursement)… parce que la croissance ne sera pas au rendez-vous.
Les brasseurs d’argent n’ont en théorie aucune raison de racheter le yen |
Les rachats inexorables de yen — ainsi que d’euro — servent peut-être les intérêts de la Chine… Mais plus fondamentalement, ils ne signifient alors rien d’autre que le débouclage de positions spéculatives qui correspondent à autant de paris avec effet de levier sur la capacité des emprunteurs à verser les intérêts prévus, et des entreprises à délivrer les dividendes attendus.
Dans ce cas, nul accord secret n’a été conclu lors du dernier G20… Et même s’il en existait un, il n’aura servi à rien, comme en témoigne la hausse du yen. Ce dernier remonte tout simplement parce que les investisseurs ont cessé de croire aux banques centrales et à leur pouvoir de continuer à sauver les emprunteurs insolvables et de faire monter les marchés.