▪ Quelle semaine ! La Fed a fait mercredi ce que tout le monde pensait qu’elle ferait. Nous avons néanmoins été surpris.
Nous avons du mal à le croire. C’est comme si les banquiers centraux américains avaient annoncé qu’ils allaient boire jusqu’à plus soif… dévaliser une banque… et se rendre à un club de strip-tease… tout ça en une soirée. C’est possible, naturellement ; mais normalement, on ne convoquerait pas une conférence de presse pour l’annoncer au monde entier.
La contrefaçon est un crime. Un texte du Congrès US permet à la Fed de s’en tirer. Tout de même, un banquier d’une époque plus reculée ne l’aurait fait qu’au beau milieu de la nuit. A l’époque d’Edward II, un banquier rognant ses pièces aurait été émasculé. Au XIXe siècle, s’il imprimait trop de billets, il ne tardait pas à tomber en disgrâce et faire faillite. Les meilleurs d’entre eux se faisaient sauter la cervelle. Mais aujourd’hui, Ben Bernanke est traité comme un homme honnête. Allez comprendre.
L’essentiel du nouveau plan de la Fed consiste à imprimer 85 milliards de dollars par mois et à les utiliser pour acheter des titres adossés aux créances hypothécaires et de la dette gouvernementale américaine. C’est censé augmenter la « demande » et accélérer ainsi la marche de l’économie. La chose importante, c’est que la Fed n’a pas d’argent pour acheter toutes ces choses. Elle doit le créer, à partir de rien. Et en grande quantité.
A ce rythme, la Réserve fédérale augmentera la base monétaire du pays — les actifs de la Fed — trois fois plus rapidement que l’économie américaine crée de nouveaux biens et services. En d’autres termes, pour chaque nouveau dollar de production, la Fed en ajoutera trois à son bilan. Dans un système de réserve fractionnel idéalisé de 10 pour 1, cela représenterait jusqu’à 30 $ de crédit additionnel pour chaque dollar de PIB supplémentaire. D’ici au début de l’année prochaine, le bilan de la Fed devrait atteindre les quatre milliards de dollars — une grosse augmentation par rapport aux 800 milliards qu’il comptait avant le début de la crise.
Tant que l’économie est dans un ralentissement majeur, cet argent supplémentaire est plus théorique que réel. Il fait grimper les prix des actions (probablement) et les bonus des banquiers (certainement), mais il pourrait ne pas avoir beaucoup d’effet sur les prix à la consommation ou sur l’économie réelle.
L’inflation des prix à la consommation a en fait chuté, en dépit des efforts de la Fed. L’économie aussi a généralement échoué à réagir aux bidouillages de la Fed. Mais que fallait-il attendre d’autre ? Nous sommes dans une Grande Correction. Tant que nous restons dans une Grande Correction, les conséquences imprévues des actions de la Fed n’apparaîtront pas. L’argent viendra irriguer le système bancaire et y restera, en grande partie. L’impression monétaire de la Fed sera un four, mais pas encore un désastre.
Combien de temps est-ce que ça durera ? C’est bien le diable si nous le savons.
Que pouvez-vous y faire ? Rien.
Que devriez-vous faire pour vous protéger ? Ah ça, c’est facile.
▪ La réponse à la question que tout le monde se pose
Puisque vous ne savez pas ce qui arrive… et ne pouvez rien y changer… il faut vous préparer à ce que vous ne pouvez pas voir, non à ce que vous pouvez voir. C’est l’idée du nouveau livre de Nassim Taleb, Antifragile. Nous ne pouvons pas connaître l’avenir. Tout ce qu’on peut faire, c’est se préparer à être surpris.
Quel genre de surprise ? Qui sait ? Ce n’est pas la première fois qu’une banque centrale a essayé d’arranger les choses en imprimant de l’argent, toutefois. John Law l’a tenté en France au XVIIIe siècle. Tout s’est bien passé jusqu’à ce que la nouvelle monnaie s’effondre et que Law doive fuir le pays.
Même chose en Argentine dans les années 80. Tout sembla rouler pendant un temps… puis l’enfer se déchaîna. Les prix grimpèrent de 20 000% en mars 1990 ; les génies à la tête du pays tentèrent de détourner l’attention de leur mauvaise gestion économique en allant mal gérer d’autres choses — ils envahirent les îles Falkland !
Idem au Zimbabwe. La banque centrale crut avoir une solution au problème de la pénurie d’argent. Elle en imprimerait plus. Elle augmenta la masse monétaire d’environ un quadrillion. Est-ce que cette gigantesque augmentation de la demande stimula la production ?
Ha ha… la production disparut. Les rayons des magasins se vidèrent. Personne ne pouvait produire parce que personne — sauf sur le marché noir — ne pouvait être payé. Les acheteurs n’avaient que l’ersatz monétaire de la banque centrale… avec beaucoup de zéros mais peu de valeur.
Cette histoire se répétera-t-elle aux Etats-Unis ? A nouveau, nous n’en savons rien. Tout ce que nous savons, c’est que lorsqu’on fait quelque chose de délirant, des choses délirantes s’ensuivent.
Pour reprendre les termes de Taleb, le système financier devient fragile. Un petit choc — et même une amélioration de l’économie — pourrait causer une crise et un désastre. Une dépression ? L’hyperinflation ? Des défauts de paiement ? Des pénuries ? Des crises de nerfs ? Des suées nocturnes ? De l’herpès ? Des tremblements de terre ? Des embouteillages ? Des assassinats ? Des émeutes au stade ?
Nous ne pouvons pas prédire l’avenir. Mais c’est inutile. Quand les banques centrales font n’importe quoi avec les devises nationales, quelqu’un finit par en souffrir. Assurez-vous juste que ce ne soit pas vous.