Les annonces de la Fed se succèdent et se ressemblent au moins sur un point : l’impact négatif, ou au mieux nul, qu’elles ont sur l’économie réelle.
Le « comité d’open market » de la Réserve fédérale (abrégé en FOMC en anglais) s’est donc réuni à la mi-décembre, peu avant notre pause hivernale. Sans aucune surprise, il s’y est dit que le rythme de réduction de la stimulation va accélérer, et qu’il y aura bien trois hausses de taux en 2022.
Pendant ce temps, l’inflation galope à son taux le plus élevé en 40 ans : 6,8 %, officiellement. Cela aura au moins poussé la Réserve fédérale à retirer le mot « transitoire » de ses analyses sur l’inflation.
Au rythme actuel, les calculateurs de la Wharton Business School estiment que l’inflation coûtera en moyenne 3 500 $ de dépenses supplémentaires aux ménages US cette année.
Selon John Williams et ses ShadowStats, l’inflation effective, non triturée, s’élève cependant à un taux bien plus élevé que ne le concèdent les responsables. Mesurée selon la méthode des années 1990, l’inflation dépasse 10 %, soutient Williams. Mesurée à l’aune des années 1980, elle approche les 15 %.
Les revenus augmentent-ils de 15 % en parallèle ? Bien sûr que non !
Bonne et mauvaise mesure
Les chiffres économiques sont hédoniques. Dans la comptabilité nationale, tout est faux et conçu pour satisfaire des objectifs politiques. Charles Goodhart l’a exprimé dans sa loi qui fait autorité : « Lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure. »
Les chiffres triturés s’inscrivent dans une conception magique de l’économie, à savoir que ce qui est important ce n’est pas la réalité mais les perceptions. C’est de l’anti-science, un monde d’illusionnistes dont l’efficacité se limite au court terme, c’est-à-dire aux réactions des marchés.
Sur le long terme, c’est la réalité qui prend le dessus, et il est évident que, si l’inflation est sous-déclarée, alors le pouvoir d’achat réel des revenus est inférieur à ce que l’on croit, donc la croissance économique elle-même est fausse et pénalisée. Pour essayer de la soutenir, il faut donc compléter les revenus insuffisants par le crédit et les dettes.
Bref, les mensonges sur un point se manifestent par des anomalies ailleurs.
Au passage, j’en profite pour poser la question aux partisans de l’imbécile théorie des anticipations rationnelles de Muth et Lucas : sur quoi fonder les anticipations, sur le trituré ou le réel ?
En vérité, sachez que rien n’est vraiment géré ou piloté : on est dans un minable système d’apprentis sorciers, de charlatans qui naviguent à vue, qui accumulent erreur sur erreur –comme celle du temporaire – et ne font que chercher de petits optimums au jour le jour.
Le monde leur échappe fondamentalement, ils courent derrière !
Pourtant, même les chiffres officiels triturés de l’inflation font transpirer la Réserve fédérale.
L’enfer, pour la Fed, ce n’est pas seulement l’inflation, mais le dilemme qu’elle pose.
Damnée dans tous les cas
Vous êtes naturellement conscient du dilemme dans lequel se trouve plongée la Réserve fédérale.
Ses délires monétaires depuis le printemps 2020 ont insufflé un combustible dans tous les marchés d’actifs – actions, obligations, cryptomonnaies, immobilier – alimentant ainsi la « bulle de tout ».
Cette bulle mousseuse réclame du kérosène supplémentaire, pour rester en l’air. En l’absence d’un pompage continu, la gravité exercera sa méchante fatalité et la bulle retombera sur la terre ferme… où elle éclatera.
Il n’y a aucun bon choix pour Powell :
1) Laisser les choses aller et l’inflation accélérera et brulera le dollar.
2) Arrêter les délires monétaires et la gravité se chargera de faire atterrir les marchés.
Powell dit qu’il va le faire tout en ne le faisant pas. Plus précisément, il a signalé qu’il le fera.
Suite à leur réunion, Powell et ses camarades ont ainsi maintenu les taux, mais ils ont télégraphié jusqu’à trois hausses l’année prochaine, à partir de mars.
Ils calibreront également les pompes à injecter le kérosène monétaire à un débit inférieur. Le carburant arrivera toujours, mais avec beaucoup moins de pression.
La Bourse fait ce qu’on attend
Comment la Bourse a-t-elle pris la nouvelle ? Exactement comme vous pouvez vous y attendre : l’opposé à 180 degrés de ce à quoi les naïfs auraient pu s’attendre.
Les indices principaux étaient dans le rouge, mais, lorsque la Réserve fédérale a fait son annonce, ils ont fait un « bon bond » pour manifester leur satisfaction et applaudir les artistes.
En quelques heures à peine, le Dow Jones était bientôt en forte hausse, avec un gain de 383 points, tandis que le S&P 500 rebondissait de 75 points et que le Nasdaq devenait fou, gagnant 328 points.
Pourquoi la bourse a-t-elle bondi ? Parce que la Réserve fédérale a fourni une certitude, affirmait alors Jim Caron, stratège en chef de Morgan Stanley :
« Maintenant, j’ai vu à quel niveau les taux vont être relevés et à quelle vitesse cela va arriver. L’incertitude est supprimée. Du point de vue des actions, il suffit désormais de se concentrer sur les bénéfices, les marges et la croissance. C’est une sorte de soulagement pour le marché des actions qui pensait que la politique de la Fed pourrait être beaucoup plus agressive. C’est un peu ce que nous pensions de toute façon. »
La formule magique des booms
Maintenant vous savez comment faire monter un marché boursier n’est-ce-pas ? Il suffit de créer une incertitude, puis vous la levez, et c’est le boom.
Les incertitudes sont-elles vraiment levées, cependant ?
Bien sûr que non, car personne ne contrôle quoi que ce soit.
La Réserve fédérale augmentera ses taux et ralentira son assouplissement quantitatif. Cette année, la Bourse menacera de s’effondrer et Powell ira une fois de plus à Canossa.
Il cèdera à Wall Street. Il recommencera à réduire les taux d’intérêt et à gonfler le bilan. C’est ce qu’il a fait à la fin de 2018 face à ces mêmes circonstances.
Il le fera à nouveau.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]