La Fed sort « l’artillerie lourde » – mais à quoi bon, si les remèdes qu’elle applique ont 30 ans de retard sur l’univers monétaire actuel ?
La Fed a dévoilé dimanche soir ce qui était censé être un ensemble de mesures chocs. Elle a, disent certains qui ne réfléchissent pas beaucoup, sorti le gros bazooka.
Du coup, ils demandent qu’on en fasse plus puisque les mesures n’ont produit aucun effet – ni sur le marché des actions ni sur la liquidité en dollars dans le monde.
Il semble que personne ne remette en question l’essentiel et pose la question logique : est-ce que les actions de la Fed sont adaptées, opportunes, est-ce que ces actions mettent/injectent vraiment de l’argent dans le système ?
Et si ces actions que l’on mène depuis près de 12 ans n’avaient aucune efficacité réelle ? Et si elles n’avaient qu’une efficacité placebo, une efficacité magique parce qu’elles sont crues et parce qu’elles déclenchent la spéculation et les « esprits animaux » ?
Et si c’était vrai que la politique menée est rigoureusement à côté de la plaque et que la crise qui maintenant couve depuis l’anomalie des repos en septembre 2019 avait ouvert les yeux et introduit le doute dans la communauté bancaire et financière ? Cette dernière aurait désormais compris que les actions de la Fed sont des placebos – et par conséquent, elle s’en désintéresse, elle ne participe plus aux tours de magie.
C’est en tout cas ce que me suggère le résultat lamentable de ces actions.
Une hypothèse à faire dresser les cheveux sur la tête
Et si le charme des perceptions des illusions était rompu ? Et si les marchés en appelaient du bluff de Powell et lui disaient : mais cet argent, l’as-tu ? Montre-le nous.
Cet argent, Powell ne peut pas le montrer puisqu’il ne produit pas ses effets ! Car la politique monétaire n’en produit pas. Pas du vrai en tous cas, pas de l’argent actif qui joue son rôle, le rôle attendu, et qui produit la liquidité tant demandée.
L’hypothèse que je soulève est terrible. Elle fait dresser les cheveux sur la tête, car si l’action de la Fed est totalement hors sujet, inadéquate, inadaptée, et que l’effet placebo a disparu… il n’est même plus question d’augmenter les doses, les chiffres et les masses, cela ne sert à rien !
Non, il faut à toute vitesse trouver une autre solution. Il faut inventer.
Il faut tout voir d’un œil neuf, mais avec des théories fausses, c’est difficile !
Toute l’action des banques centrales est menée à partir d’un faux savoir, à partir de gloses et de thèses de doctorat copiées-collées. Depuis 30 ans, on reproduit le même faux savoir, et cette situation a produit une fausse sérénité : on a cru qu’on avait l’arme absolue, la planche à billets, et qu’on pouvait toujours s’en sortir avec un petit coup sur les taux, une petite rasade de QE et quelques tournées de swaps avec l’étranger.
Malgré les échecs, on s’est bien gardé de remettre en question les fondamentaux. Comme cela ne marchait pas, on a passé son temps à trouver des excuses bidon, du type c’est pas moi, c’est l’autre, comme la météo, la guerre commerciale, les opiacés et autres balivernes.
Surtout, on a évité de se poser la question essentielle : mais bon dieu, qu’est-ce qui nous échappe ?
Une conclusion devrait s’imposer
Si la crise de liquidité dure et si elle résiste aux mesures de la Fed, une conclusion devrait s’imposer : une crise de liquidité, c’est quand on manque d’argent. Donc si on continue de manquer d’argent avec ce que nous croyons fournir c’est… c’est que ce n’est pas de l’argent, pas de la monnaie.
C’est tout ce que l’on veut, des jetons, des chiffres, mais cela n’accomplit pas la fonction de la monnaie. Cela ne fait pas monter les prix.
Diable ! Terrible découverte que celle-là. L’argent que l’on croyait imprimer n’en est pas, et une fois que la spéculation s’en est aperçu, cela ne marche plus.
Ainsi il n’y aurait pas d’argent dans la politique monétaire que les apprentis sorciers croient mener ; leurs banques centrales ne seraient plus si centrales que cela, elles seraient déchues de leur piédestal, inefficaces. Bonnes à être transformées en musées.
J’ai souvent affirmé que depuis 30 ans, la chose monétaire avait considérablement évolué – et que peut-être bien que cette création des hommes avait pris son autonomie et dépassé ses créateurs.
Pandémie monétaire
Je soutiens qu’avec les innovations, la montée de l’eurodollar, la multiplication des produits monétaires, la diversité des intervenants, l’ingénierie, le changement dans les fonctions des banques… la monnaie a muté, comme le virus. Et si je ne me trompe pas, comme le virus, elle va nous faire une pandémie.
Je ne suis pas tout à fait le seul à aborder cette question si j’en crois cette phrase piquée dans la revue Central Banking :
« Depuis les années 80, la libéralisation des mouvements internationaux de capitaux ainsi que l’augmentation de la taille et de la complexité des marchés monétaires ont radicalement modifié les interactions entre les banques centrales et les banques commerciales. »
Tiens tiens… et si tout avait changé mais que l’on continuait, à l’âge des voitures électriques, à s’époumoner pour faire avancer le mulet ? Tout est dit dans cette phrase mais rien n’est développé, ce n’est qu’une question sans réponse. Elle n’aborde ni le contenu des changements ni en quoi ils rendraient les politiques monétaires des banques centrales inefficaces.
La grande révolution, ce fut celle de la finance de l’ombre, du shadow banking. Elle n’a jamais été étudiée et donc jamais comprise. Comme cette finance obscure, comme le hors bilan des banques, rendent service à tout le monde, on évite de les interroger.
Le shadow banking, c’est un trou noir – peut-être comme les trous noirs de l’astronomie – non seulement pour la finance, mais également pour l’intelligence.
Alan Greenspan avait pressenti tout cela dès juin 2000. Il s’était rendu compte qu’il ne savait plus ce qu’était la monnaie, où elle était et comment la mesurer. Il remettait en question l’affirmation de Milton Friedman selon laquelle l’inflation était un phénomène monétaire :
« Certes, en dernière analyse, à la fin, il est peut-être vrai que l’inflation doit être un phénomène monétaire, mais les décisions pour élaborer une politique monétaire fondée sur des mesures de la quantité de monnaie supposent d’abord que l’on puisse définir ce qu’est la monnaie et la localiser. Et cela, c’est une affirmation dont on peut douter ! »
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]