Les banques centrales sont en plein délire de toute-puissance… mais l’Histoire prouve que le réel reprend toujours ses droits – douloureusement.
Dans le passé, il y avait une limite physique au nombre d’actions pouvant être négociées dans un laps de temps donné. Aujourd’hui, avec l’avènement du trading informatisé et des algorithmes (« algos ») exécutant de manière autonome des transactions – même des transactions de volume considérable – les mouvements de marché sont grandement exagérés.
Quand les programmes informatiques « sentent » que le marché est en hausse, d’énormes ordres d’achat sont passés. Lorsque ces mêmes programmes détectent la baisse, des ordres de vente énormes sont passés. Ce qui déclenche tout, c’est le Marché, sa magie.
[…] Tout ceci est la conséquence de la doctrine marginaliste (Walras, Menger, Samuelson), qui prétend que la valeur n’existe pas, qu’elle n’est que dans la tête des gens. Ces malheureux qui confondent valeur et désir.
Notre erreur, notre perte, c’est cela, la négation du réel, la forclusion du référent : c’est le fait que nous considérions qu’il n’existe rien en dehors de ce que pense notre esprit. C’est le délire infantile de la toute-puissance. Un délire qui ne peut se développer que parce qu’il y a des adultes qui se coltinent le réel, c’est-à-dire des serfs, des travailleurs émergents, des prolos à exploiter.
[…] Notre erreur, c’est le retour aux régressions de la religion – la religion monétaire, la religion du fétiche, et l’abandon du matérialisme, celui qui seul permet de décoder notre système et de mettre à jour son fonctionnement, ses dérives, sa perversité…
Le spiritualisme est le voile qui masque, cache, dissimule le vrai mode de fonctionnement de nos sociétés, de nos arrangements sociaux, sa fonction étant de mystifier.
Bienvenue dans l’univers de la lévitation parallèle
Le 19 octobre 1987, Mark Rubinstein et Hayne Leland de l’UC-Berkeley ont déclenché une « assurance de portefeuille » sur une Bourse de Wall Street peu méfiante ; ils ont joué un rôle majeur dans la chute de 22% du marché. C’est de ce jour que date l’entrée pratique, événementielle, dans un nouveau système.
Un système que Greenspan, trop heureux d’exister et de se prendre pour Dieu alors qu’il n’était que le diable, a inauguré. C’est de ce jour que date l’entrée dans l’univers de la lévitation parallèle.
La Réserve fédérale des années Greenspan, Bernanke et Yellen a considérablement exacerbé le mélange déjà instable d’émotions humaines et de transactions informatisées sur le marché.
Elle déverse le Red Bull – vous savez, celui qui donne des ailes – en continu. C’est plus qu’un symbole ou une analogie, c’est une structure commune que celle du Red Bull et celle de la politique monétaire.
De la même façon que l’on croit au mythe de l’intelligence artificielle, à l’énergie renouvelable, à la voiture sans conducteur, aux fonds d’investissements passifs autopilotés, la Fed se croit intelligente. Elle navigue au plus près sur les écueils qu’elle plante elle-même quotidiennement. La Fed lutte contre ses propres fantômes, ses créatures, elle ignore la Statue du Commandeur qui l’attend.
Ah les braves gens.
Chronologie du désastre
L’impact pervers des politiques de la Fed au cours de cette période s’observe simplement en reconnaissant que l’économie américaine a été soumise à ses deux plus grandes folies financières au cours des 14 dernières années, et qu’elle est actuellement submergée par la « bulle du tout ».
En mars 2000, Greenspan prend la parole au Boston College. Il vante les mérites de la « nouvelle ère » avant le sommet du Nasdaq. Ce dernier va, par la suite, chuter de 83% !
En décembre 2000, l’inénarrable Paul Krugman, grand prêtre parmi les grands prêtres, affirme que l’économie peut presque toujours être contrôlée, simplement en manipulant les taux.
En février 2001, un responsable de la Fed affirme que la « gueule de bois de la bulle post-technologie » peut être guérie si suffisamment de personnes « sortent et achètent un logement ». Greenspan confond l’escalade rapide des prix de l’immobilier avec la richesse réelle.
En novembre 2002, Ben Bernanke prononce son fameux discours de l’hélicoptère et déclare que le système financier est « bien régulé ».
En novembre 2004, Bernanke affirme que la politique monétaire de la Fed a entraîné une « grande modération » et une réduction de la volatilité économique.
En juillet 2005, Bernanke rejette l’hypothèse d’une bulle immobilière.
En juin 2007, alors que la crise est déjà là, Bernanke « soupçonne que la débâcle hypothécaire » n’aura pas d’impact négatif sur l’économie.
En janvier 2008, Bernanke affirme que l’économie est en train de se « guérir ».
En septembre 2008, la Fed lance un plan de sauvetage d’AIG de 100 milliards de dollars.
En novembre 2008 la Fed lance son premier cycle d’assouplissement quantitatif.
En mars 2009 , on décide de truquer les comptes des banques.
En novembre 2010 il faut lancer le deuxième plan d’assouplissement quantitatif.
En septembre 2012, les « jeunes pousses » sont mortes, il faut lancer le troisième plan d’assouplissement quantitatif. Si vous échouez, continuez, essayez encore et encore !
Depuis 2014, on parle de normaliser, de régulariser, de monter les taux et on affirme que le monde est sauvé.
En 2017, c’était le grand cri de victoire, on allait voir ce que l’on allait voir ; c’est l’hymne à la croissance mondiale synchronisée ; le risque n’était plus ni la croissance lente ni la déflation, il fallait calmer le jeu. Monter les taux.
Powell se vante : la hausse des taux et la contraction de la taille du bilan de la Fed sont en auto-pilote !
Après un épisode calamiteux de baisse boursière en fin d’année 2018 on renonce à monter les taux dès décembre… et quelques mois plus tard, en juillet 2019, on les rebaisse.
La messe est dite.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]