"Et si on gagnait au Loto…" "Et si je ne m’étais pas marié avec elle…" "Et si Christophe Colomb n’avait jamais découvert l’Amérique…" "Et si Zidane n’avait pas mis ce coup de tête en 2006…"
Il y a quelque chose d’assez enivrant dans le jeu des hypothèses. Une manière de faire — et défaire — des mondes, recommencer sa vie, réinventer l’Histoire, mettre Paris en bouteille… pour finalement revenir à la réalité, un peu déçu, mais aussi soulagé, voire remotivé. Parce qu’après tout, toutes les hypothèses ne débouchent pas forcément sur des issues positives.
"Et si on effaçait toutes les dettes ?" demandait ainsi l’un de nos lecteurs il y a quelques semaines. Après tout pourquoi pas ? Lors d’un G20 où tout le monde est de bonne humeur, on met tous les chefs d’Etat autour de la table, on s’organise un brin (on explique par exemple aux Chinois qu’ils ont bien assez de dollars comme ça, et qu’il est tout dans leur intérêt d’avoir des débiteurs en mesure de dépenser à nouveau de l’argent chez eux…), et hop ! Un système tout beau tout neuf. On remet les compteurs à zéro.
Sauf que — sans même parler des problèmes "de la vie réelle" qu’impliquerait ce genre de solution — ce serait simplement un retour à l’ancien modèle. Celui-là même qui a engendré la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
▪ Simone Wapler allait un peu plus loin il y a quelques jours, et se lançait carrément un défi : et s’il n’y avait plus de dette du tout ?
"Nous sommes tellement accoutumés à l’économie de la dette qu’il nous est très difficile d’imaginer vivre sans elle", disait-elle. Imaginez que ce ne soit plus possible".
"’Achetez maintenant’ disparaît’. Que vont devenir les producteurs d’automobile, d’électroménager, de bricolage, de multimédia, de meubles… ? Des dégâts aussi à prévoir pour les distributeurs, parce que les clients qui paient comptant sont une espèce rare".
"’Payez plus tard sans frais’ disparaît aussi. De quoi vont vivre les banques et organismes de crédit à la consommation et les émetteurs de cartes diverses. Car elles vivaient justement du ‘sans frais’ qui leur rapportait gros. Peut-être vivront-elles du crédit aux entreprises ? Non, fausse route. Certes, quand l’économie de la dette arrivait à assurer de la pseudo croissance, pas une entreprise ne se créait sans dette. Par la suite, elles finançaient leurs investissements et leur croissance externe par la dette. Mais dans une économie en berne, elles auront du mal à trouver de courageux prêteurs".
"Si tout le monde épargne, personne n’emprunte. L’économie financière se meurt", conclut Simone. "L’économie réelle survivra cependant, votre grand-mère vous en parlera".
Evidemment, l’économie financière en question n’a pas l’intention de se laisser faire. Comme l’expliquait récemment Frédéric Laurent, rédacteur en chef de Vos Finances, "[une solution] commence à faire son chemin parmi les responsables économiques. Elle consiste à laisser filer l’inflation pour faire face aux montagnes dettes. Et lorsque je parle de certains économistes, je pense notamment aux paroles prononcées par Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, qui envisageait, en début d’année, la possibilité d’une révision à la hausse de l’inflation.
Quand on connait le rôle du FMI, prêteur en dernier recours, et que l’on additionne nos dettes souveraines, on peut logiquement en déduire que l’idée fait petit à petit son chemin dans le cerveau embrumé de nos dirigeants".
▪ En parlant d’économistes, Bill Bonner en avait un rayon à dire à leur sujet vendredi. Et il y allait de son propre "et si…" : et si une dépression n’était pas une si mauvaise chose pour l’économie ?
Après tout, nous dit-il, "qu’est-ce qui provoque une dépression ? Les gens choisissent d’épargner plutôt que de dépenser. La réduction de la demande provoque une chute des ventes… une augmentation du chômage… une baisse des prix et toutes les autres choses désagréables qu’on associe avec une ‘dépression’. Pourtant, là derrière, on trouve une chose que les gens veulent vraiment — l’épargne. Et derrière ce désir d’épargne se trouvent des calculs et des soucis bien réels. Sans épargne, les gens ne peuvent pas prendre confortablement leur retraite. Sans épargne, ils ne peuvent pas encaisser les chocs et les accidents financiers. Sans épargne, ils ne peuvent pas tirer parti des opportunités qui se présentent à eux".
"En d’autres termes, une dépression se produit parce que les gens préféreraient avoir de l’épargne plutôt qu’une nouvelle voiture, une nouvelle paire de chaussures ou des vacances. En d’autres termes, les gens choisissent l’argent du beurre plutôt que le beurre. Qu’y a-t-il de mal à ça ?"
Oui, cher lecteur, et si… pour une fois… on laissait les choses suivre leur cours, au lieu de tenter de leur barrer le chemin ?
Meilleures salutations,
Françoise Garteiser
La Chronique Agora