▪ Aujourd’hui, nous plongeons dans le sublime. Parfaitement. Nous laissons derrière nous le ridicule et l’absurde. Nous nous lançons tête la première dans les eaux obscures des choses que nous ne comprendrons jamais — et que nous ne devrions probablement pas tenter de comprendre. Qui sait ? Il y a peut-être des rochers là-dessous.
La cause de ce plongeon vient d’un article que nous avons lu en début de semaine. Bloomberg nous en dit plus :
"Juste au moment où les entreprises américaines accro à la dette commençaient à s’inquiéter de voir la présidente de la Réserve fédérale Janet Yellen s’emparer de leur proverbial bol à punch, Mario Draghi est arrivé.
Le président de la Banque centrale européenne a rendu l’emprunt si bon marché dans la zone que les entreprises étrangères vendent des quantités record de dette. Oubliez le marché obligataire américain plus profond et plus grand. Emprunter en euros est à la mode actuellement parce que cela coûte environ deux points de pourcentage moins cher.
Sur la somme record de 60 milliards d’euros d’obligations de catégorie ‘investissement’ vendue en mars, environ 65% provenaient d’entreprises étrangères, selon un rapport publié par Bank of America le 27 mars. Et une bonne partie de ces vendeurs sont basés aux Etats-Unis.
Les émetteurs non-européens vendront deux fois plus de dette libellée en euro cette année qu’en 2014 ‘L’attractivité de l’Europe va probablement durer tout au long de 2015’, écrivaient les analystes de Fitch Ratings, Michael Larsson et Monica Insoll, dans un rapport daté du 1er avril. Ils prédisent que les émetteurs non-européens vendront deux fois plus de dette libellée en euro cette année qu’en 2014. La tendance se résume en un calcul simple.
Les rendements sur les obligations de catégorie ‘investissement’ ont chuté à 0,99%, à comparer aux 2,9% de ceux des Etats-Unis, selon les données de l’indice Bank of America Merrill Lynch. La dette est si bon marché en Europe que les entreprises américaines économisent de l’argent même si elles achètent des couvertures en devises devenues chères à mesure que le dollar grimpait par rapport à l’euro, selon Fitch".
Ces derniers jours, nous avons examiné un verre à moitié vide — c’est-à-dire le manque de création d’entreprises aux Etats-Unis. Aujourd’hui, nous regardons un verre non seulement complètement vide mais sec comme un os !
▪ Merci, Mario !
Oui, pour chaque entreprise qui n’est pas lancée en Amérique, il y en a au moins une qui ne met pas la clé sous la porte. En 2014, le nombre de faillites d’entreprises aux Etats-Unis a chuté à moins de la moitié du niveau de 2009.
D’où provient une telle chute ? Pourquoi les entreprises ne font-elles plus faillite comme avant ? Et comment se fait-il qu’il y ait si peu de créations d’entreprises ?
Inutile de chercher plus loin que Yellen, Draghi et al. Grâce à eux, les emprunteurs peuvent avoir de l’argent à moins de 1% d’intérêt de la part de prêteurs apparemment sains d’esprit. Qu’est-ce que ça signifie ? En s’aventurant plus loin encore dans le domaine du sublime, imaginez que vous empruntez à des taux d’intérêt réels négatifs. Selon JP Morgan, il y aurait jusqu’à 3 700 milliards de dollars de dettes en cours pour lesquelles les prêteurs n’obtiennent rien de plus que des queues de prunes.
Nous abordons le sujet non pas en termes financiers mais philosophiques. Le monde fonctionne — le monde financier en tout cas, et sans doute également le reste du monde — en récompensant l’effort, la discipline et la persévérance, en punissant l’erreur, la paresse et l’impatience. Ces vérités sont écrites quelque part. Celui qui travaille a une longueur d’avance sur le tire-au-flanc. Celui qui prend le temps d’étudier et d’apprendre peut faire ce que l’ignorant ne peut pas. Celui qui épargne son argent peut le prêter, gagnant ainsi plus d’argent.
Mais si l’épargnant est puni… si, pour tout son labeur, il obtient en fait un rendement négatif ? |
Mais si l’épargnant est puni… si, pour tout son labeur, il obtient en fait un rendement négatif ?
Envisagez les choses sous un autre point de vue. Regardez l’emprunteur. Imaginez un restaurateur dont les plats sont si répugnants et la cuisine si malpropre que les convives doivent régulièrement être hospitalisés d’urgence pour subir un lavage d’estomac. Il pourrait emprunter pour lancer son restaurant mais dans un monde normal, il ne tarderait pas à être incapable de rembourser les intérêts de ce prêt. Il ferait faillite et se retrouverait sur le trottoir. Les convives seraient épargnés.
Maintenant, imaginez que notre restaurateur puisse emprunter pour moins que le taux d’inflation. Plus son entreprise va mal, plus il doit emprunter. Et plus il emprunte, plus il gagne d’argent ! Quand ferait-il défaut ? Quand se retrouverait-il acculé à la faillite ? L’enfer fermerait ses portes avant lui. Dans quel univers est-ce qu’une telle situation fonctionne ?
"La création destructrice", tel est le terme utilisé par Schumpeter pour décrire le fonctionnement d’un système capitaliste sain. Cela permet de se débarrasser du bois mort de temps à autre, en détruisant des entreprises qui ne peuvent pas faire de gains. A présent, grâce à Mario Draghi, le bois devient simplement encore plus mort.