La politique étrangère des Etats-Unis a le don de coûter cher au pays, mais surtout d’augmenter sa dette. Pourra-t-il supporter une intervention de plus, ou subira-t-il le même sort que l’empire romain ?
« Vivez en bonne intelligence, enrichissez les soldats et méprisez tous les autres. »
– Derniers mots de l’empereur romain Septime Sévère à ses fils, Geta et Caracalla.
Comme vous le savez, la Fed est face à un dilemme insoluble : l’inflation ou la mort. Soit elle laisse filer l’inflation, en faisant tourner la planche à billets et en maintenant des taux d’intérêt ultra faibles, soit elle tue l’économie en relevant ses taux et en resserrant sa politique monétaire.
La plupart des gens (environ 90% de la population) n’ont rien à gagner de l’inflation. Mais les 10% les plus riches ont besoin que la Fed fasse tourner la planche à billets pour financer le budget américain, Wall Street, l’armée et leurs gains financiers spéculatifs. Ces gens sont ceux qui contrôlent le Congrès et la Fed.
La Fed sait qu’elle devrait resserrer sa politique monétaire, mais elle cherche toutes les raisons du monde pour ne pas le faire. L’économiste Mohamed El-Erian leur en donne une, comme nous l’apprend Markets Insider :
« Mohamed El-Erian explique que la Réserve fédérale sera désormais incapable de resserrer sa politique monétaire aussi brutalement que prévu, maintenant que la Russie a envahi l’Ukraine.
‘La hausse des taux de 50 points de base qui avait été envisagée n’est désormais plus à l’ordre du jour’, a déclaré El-Erian sur CNBC.
‘Les 8 ou 9 hausses de taux qu’anticipait le marché ne sont également plus d’actualité. Et c’est une bonne nouvelle… Je pense que l’économie américaine n’aurait pas supporté un resserrement brutal de la politique monétaire.’ »
Deux siècles et demi d’invasions
Ô monde cruel ! Désormais le gouvernement américain peut invoquer sa politique étrangère malencontreuse pour poursuivre sa politique monétaire non moins malencontreuse.
Les Américains avancent au son du canon et sont toujours prêts à lutter pour la liberté, la justice et pour promouvoir le mode de vie à l’américaine. Parfois, nous envahissons des pays étrangers pour protéger le gouvernement en place. Parfois, nous intervenons pour renverser le gouvernement au pouvoir, en prétextant « construire des démocraties ». Le compte a été fait : les États-Unis ont envahi d’autres pays à 70 reprises depuis 1776, soit une fois tous les trois ou quatre ans.
L’avantage de la politique étrangère sur la politique intérieure est que les dégâts sont infligés principalement à des étrangers. Mais les Américains subissent les conséquences également, probablement plus qu’ils ne le pensent.
Au total, l’interventionnisme dans les affaires des autres pays nous coûte environ 1 000 Mds$ par an, soit plus de 10 000 $ par ménage (selon nos calculs faits à la va-vite). Si l’on demandait en toute transparence aux électeurs de financer ces interventions à l’étranger, il y a fort à parier qu’ils refuseraient.
Dans notre livre (écrit avec le concours d’Addison Wiggin) L’Empire des dettes, nous expliquons que les États-Unis n’ont jamais appris comment diriger un empire. C’est censé être une proposition payante. On envahit un pays, on vole toutes ses richesses, on réduit la population locale en esclavage et on s’enrichit. C’est la formule qu’ont utilisée les Romains, avec réussite, pendant des centaines d’années.
Mais les États-Unis ont l’habitude d’envahir des pays à coups de bombe et que ces pays deviennent des gouffres financiers. Le gouvernement américain lâche des milliards de dollars pour soutenir les chefs de guerre locaux… maintenir une économie… et distribuer des milliards supplémentaires à ses propres industries de la défense et du renseignement.
A l’étranger, les bandits et les criminels locaux s’enrichissent. Les comptes bancaires en Suisse gonflent. Aux Etats-Unis, les dirigeants de Raytheon, General Dynamics et Boeing s’enrichissent. Les lobbyistes s’enrichissent. Les généraux à la retraite qui rejoignent leurs conseils d’administration s’enrichissent. Même leurs actionnaires s’enrichissent. Mais qui paie l’ardoise ?
A l’heure de rembourser la dette
Alors qu’elles étaient autrefois financées grâce à l’impôt, puis via l’emprunt, les interventions militaires à l’étranger sont désormais financées par l’inflation. L’empire des dettes perd de l’argent à chaque intervention, et la montagne de dette grossit au même rythme que la liste des échecs militaires s’allonge.
Supprimer les taux d’intérêt est devenu une nécessité impérieuse. Mais cela dissuade les épargnants de prêter leur argent au gouvernement fédéral. Par conséquent, plutôt que de laisser les taux d’intérêt remonter, ce qui dissuaderait les gens de leur prêter de l’argent, le gouvernement fédéral est obligé d’imprimer de la monnaie pour couvrir les coûts engagés.
C’est ce qui est arrivé aux Romains. C’est un problème de limites et du caractère cyclique de la vie en elle-même. Une fois que les tribus avoisinantes ont été soumises, l’empire romain a atteint sa taille maximale sous Trajan, aux alentours de l’an 100 de notre ère. Les empereurs qui lui ont succédé ont eu du mal à préserver l’empire. La petite nièce de Trajan a épousé Hadrien, un autre empereur, qui a fait construire un mur traversant l’île de Bretagne, premier signe d’une politique étrangère moins agressive.
Sans le butin (les esclaves, notamment) des nouvelles conquêtes, Rome a également dû se tourner vers la politique monétaire. Elle a dévalué la monnaie romaine, le denier d’argent. Chaque pièce était composée à 95% d’argent quand l’empereur Auguste a instauré le denier.
Un siècle plus tard, sous le règne de Trajan, chaque denier avait une teneur en argent de 85% seulement. Cette tendance allait se poursuivre. Sous le règne de Caracalla, encore un siècle plus tard, un denier ne contenait plus que 50% d’argent. En 268, il n’y avait quasiment plus d’argent dans un denier.
Lorsque la monnaie s’effondre, tout s’effondre. L’empire fut alors miné par la corruption et la guerre civile. Il a vivoté pendant près de 200 ans, enchaînant les calamités, jusqu’à sa conquête par les « barbares ».
Oui, cher lecteur, il se pourrait qu’El-Erian ait raison : la politique monétaire américaine est peut-être devenue l’otage de la politique étrangère des États-Unis. Mais la politique étrangère dépend également de la politique monétaire. Sans cette nouvelle monnaie déflationniste, le gouvernement serait contraint de mettre un terme aux interventions hasardeuses à l’étranger.
Et sans une ‘crise’, c’est-à-dire un événement qui se produit à l’étranger et dont tout le monde ou presque se moque, la Fed n’aurait plus d’excuse et devrait mettre le holà sur sa politique inflationniste.
Affaire à suivre…