Les inégalités – un mot très à la mode… mais qui mérite qu’on s’y intéresse d’un peu plus près afin de bien comprendre ce qu’est la réelle égalité.
Chacun d’entre nous est singulier, différent et donc nécessairement inégal. Chaque naissance est à cet égard une atteinte à l’égalité.
Mais par mille causes, l’égalité est devenue le mot d’un langage unique, une référence incontournable et le critère le plus important de toute évaluation. Tous doivent être égaux en tout. Il n’y a pas de loi qui ne se justifie par sa volonté égalisatrice, pas de choix politique, social, économique, culturel qui ne s’y mesurent.
La France est l’artisan principal de cette monomanie qui puise encore sa source chez Rousseau. Le Genevois a émis l’hypothèse qu’à l’origine, les hommes, à l’image des animaux, étaient bons et égaux entre eux sinon dans leur constitution physique, et que la société les a pervertis en établissant entre eux une inégalité morale et politique. De cette inspiration mal fondée, il a fait une vérité que le monde a aimé croire malgré Voltaire qui le remercia de son livre par ce commentaire acerbe qu’on avait « jamais employé tant d’esprit à nous rendre Bêtes ».
A dire vrai, la passion égalitaire avait déjà pris des forces notamment dans les pays catholiques, qui ne manquaient pas de confondre les exigences du droit et celles de la charité, et les pays centralisés où les hommes avaient été accoutumés de s’en remettre à l’Etat et de tout exiger de lui à même raison pour chacun.
Particularité française
La France bien sûr réunissait toutes les conditions pour développer plus que d’autres le virus égalitariste jusqu’à en faire un trait de son tempérament, animé sans doute d’une jalousie ordinaire capable d’égaler celle de ce paysan slovène, racontée par le philosophe communiste Slavoj Zizek, auquel une fée propose de réaliser tout ce qu’il demandera, sachant qu’elle fera le double pour son voisin. Et le paysan envieux et mauvais de lui demander de lui enlever un œil pour rendre aveugle son voisin qui réussissait mieux que lui.
L’envie conduit à préférer moins pour soi pour autant que les autres aient encore moins. Plus encore, désormais l’égalité s’est emparée du monde pour venir détruire l’homme lui-même.
En son nom, il faudrait donner des droits aux animaux, ce qui déshumanise le droit ; il faudrait « que les objets eux-mêmes deviennent sujets de droit », disait Michel Serres, ravalant ainsi l’homme au niveau de la nature inanimée, comme le font déjà certain peuples (Bolivie, Equateur) qui reconnaissent les droits de la Terre Mère. Ce qui fit que par une loi néo-zélandaise du 15 mars 2017, satisfaisant ainsi aux revendications anciennes des Maoris, le fleuve Whanganui est devenu quelqu’un, bénéficiant des mêmes droits que ceux d’une personne ! En attendant sans doute de donner une personnalité juridique aux robots.
La liberté crée l’inégalité
L’excès d’égalité vise finalement à éradiquer toute liberté. Car la liberté est spontanément créatrice d’inégalité et de richesse. Les uns préfèrent travailler, épargner, investir moins et d’autres plus. Tout échange libre est par définition égalitaire, car sinon l’un des cocontractants le refuserait, et crée de la valeur différente pour chacun.
Dans la valeur d’un smartphone, il y a plus que la valeur additionnée de toutes les petites pièces de métal qui la composent. Celui qui parvient à en faire un objet utile, de qualité et peut-être de valeur, en tirera un prix intégrant une plus-value.
La production de chaque objet, la conception de chaque modèle exige non seulement du travail, mais de l’intelligence, du savoir-faire, de la créativité ; elle relève d’un projet qui suppose aussi un pari, risqué, dont la récompense n’est pas indue lorsqu’elle n’est pas fondée sur la fraude ou la tromperie du consommateur. C’est dans cette liberté de l’échange des consentements entre vendeurs et acheteurs que va s’établir la part revenant à chacun, toujours égale et toujours productive d’inégalité.
Cet échange fondé sur l’égoïsme du boulanger d’Adam Smith fait en même temps œuvre sociale. C’est la cattalaxie de Hayek qui fait d’un ennemi un ami. Après le doux commerce de Montesquieu, le philosophe Alain notait que « l’économique est pacifique ».
Cette liberté est en sus et fondamentalement génératrice de progrès parce qu’elle favorise la découverte, l’expérimentation utile à toute innovation… Elle crée de l’inégalité en même temps que de la croissance qui réduit la pauvreté.
Par ce libre processus d’échange qui a pris de l’ampleur depuis la chute du Mur, le monde a combattu la grande pauvreté passée au niveau mondial de 42,1% en 1981 à 25,5% en 2002 et 10% en 2015, alors que sur la même période la population est passée de 4,5 milliards à 7,5 milliards d’habitants.
Mauvaise inégalité
Comme il y a une mauvaise inégalité qui est celle des corrompus, des prévaricateurs, des profiteurs de rentes indues… il y a une bonne égalité qui est l’égalité de droit. Celle qui permet à tous d’accéder aux fonctions, aux marchés, aux emplois selon leurs mérites plutôt que leur fortune ou leurs relations, qui permet à ceux qui le peuvent et le veulent de grimper l’échelle sociale à force de travail et d’intelligence.
C’est la seule égalité non seulement compatible avec la liberté mais qui la favorise, celle inscrite par les révolutionnaires de 1789 dans la devise de la France aux côtés de la liberté et de la fraternité.
C’est pourquoi le plus important n’est pas d’égaliser mais de changer les esprits pour que l’envie, le phthonos grec, laisse place à un sentiment plus noble, le zelos, signe de l’ardeur, de l’émulation, voire de la rivalité stimulante que chantait déjà Hésiode. Il faut faire vivre le sentiment motivant d’admiration du riche, plus fréquent aux Etats-Unis, plutôt que la jalousie haineuse qui prévaut en France et autres pays latins.
Notre plus grande égalité est celle qui nous fait hommes et l’homme est celui qui essaie de connaître la vérité, de déterminer ses propres fins que personne ne peut fixer à sa place. C’est pourquoi il a besoin de cette liberté pour partir sur les chemins de son devenir, cette liberté qui le rendra inégal mais qui l’aidera à faire grandir son humanité dans le respect des autres et à la condition qu’il se rappelle toujours que les hommes ne sont pas des dieux.
[NDLR : Pour aller plus loin dans l’exploration de l’égalité, de la liberté et de ce que ces notions impliquent, lisez l’ouvrage de Jean-Philippe Delsol, Eloge de l’Inégalité, disponible en cliquant ici.]