▪ « La journée de jeudi devrait être calme » : voilà ce qu’écrivaient la plupart des commentateurs pendant que nous rédigions un copieux mémorandum sur la crise de l’immobilier à Dubaï mercredi soir, intitulé « un jeudi d’action de grâces contre trois catastrophes financières majeures ».
La première de ces trois catastrophes explose à la figure des marchés avec 24 heures de retard. La demande de moratoire sur une partie de la dette des plus gros émetteurs obligataires de Dubaï était en effet connue dès mercredi matin.
Mais les sherpas qui manipulent à leur guise (avez-vous encore besoin de nouvelles preuves ?) les indices boursiers depuis la mi-juillet étaient trop occupés à tirer les cours à la veille de Thanksgiving pour intégrer ce genre d’information de façon cohérente dans leurs « plans de trade ».
Cela me renforce dans la conviction que le scénario boursier du jour est aussi souvent que possible prédéfini bien avant l’ouverture des places européennes — quelles que soient les statistiques attendues aux Etats-Unis. Il est ensuite reproduit de la façon la plus fidèle le soir à Wall Street… qui comme par hasard ne termine jamais — ou si rarement — à contre-courant des indices de la Zone euro.
En ce qui concerne les dangers qui menacent les non-initiés, c’est tout simple : la règle qui prévaut est que si les médias n’en parlent pas, c’est que le problème n’existe pas… Et même si les Publications Agora en font état, c’est tellement « énorme » (comme la bulle des subprime) que le grand public n’y croira pas.
Beaucoup de gens ont encore besoin de lire la une du New York Times puis de vérifier sur FOX-TV et la BBC pour considérer qu’une information est effectivement une information. Ce qui laisse souvent le temps à JP Morgan, Goldman Sachs ou Morgan Stanley de faire le ménage dans leurs positions.
▪ Un vent de panique souffle sur les marchés alors que les investisseurs s’interrogent soudain sur le niveau d’exposition des banques créancières de l’Emirat de Dubaï en Europe. Les estimations vont du simple au double : de 13 milliards à 26 milliards d’euros selon les différents experts qui se sont penchés dans l’urgence sur la question.
En ce qui concerne le coût de la facture, il est très prématuré d’envisager un défaut de paiement à la mode lettone ou islandaise. Abu Dhabi ne laissera certainement pas tomber son prestigieux voisin, victime du retournement de la conjoncture au moment de commercialiser les projets immobiliers les plus ambitieux de tout le Moyen-Orient — et les plus luxueux de la planète.
L’agence Moody’s ne s’embarrasse pas de ce genre de considération : elle abaisse sa notation sur six entités émettrices d’obligations publiques de Dubaï. Elle est notamment passée de A3 à Baa2 sur DP World et sur Dubai Electricity & Water Authority (DEWA), et de A3 à Ba1 sur DIFC Investments (DIFCI).
Les places boursières asiatiques accusent également le coup (Singapour et Hong Kong ont beaucoup investi dans le Golfe), avec 24 heures de retard. Comme à Wall Street, les opérateurs avaient complètement occulté la demande par Dubaï d’un rééchelonnement de la dette de Dubai World et de sa filiale Nakheel (ce qui équivaut dans les esprits à un défaut de paiement sur des créances arrivant à échéance fin décembre 2009).
▪ La planète finance découvre donc un nouveau point chaud en matière de pertes, sur des supports obligataires jugés sûrs jusqu’en milieu de semaine.
Les plus folles spéculations circulent désormais puisque comme nous vous l’annoncions jeudi, les prix du foncier ont chuté de 50% depuis le mois de septembre 2008 dans la capitale de l’Emirat. Que valent maintenant les 80 à 90 milliards de dollars de titres de créances adossées à des projets immobiliers ou à des équipements collectifs destinés à faciliter le transport des nouveaux résidents vers les îles artificielles en cours d’achèvement ?
Le CAC 40 enregistre ainsi sa plus sévère chute (-3,4%) en une seule séance depuis le début du mois de mars : l’indice phare français perd 140 points à 3 675 points. Ailleurs en Europe, Londres cède 3,1% et Francfort 2,96%. L’Euro-Stoxx50 dévisse de 3,3%.
▪ Sur le marché des changes, après avoir atteint mercredi soir un plus haut depuis août 2008 face au billet vert, à 1,5140 dollar, l’euro replonge de 1,1% vers 1,496 dollar, dans un contexte de regain d’inquiétude qui favorise aussi le yen.
Les investisseurs qui gèrent les fonds américains depuis Londres se sont couverts dans l’urgence sur le dollar. Ils ont vendu par anticipation des actions qui ont pris 80% en moyenne en huit mois (en incluant la hausse de l’euro) — alors les marchés américains s’apprêtent à rouvrir en chute libre au lendemain de Thanksgiving.
Alors que Tokyo a dévissé de 3,25%, Séoul de 4,75% et Hong Kong de 5,2%, le Dow Jones pourrait replonger sous les 10 000 points. Voilà un Black Friday qui a tout pour se transformer en véritable vendredi noir !
Les places boursières et les marchés de matières premières s’apprêtent à solder les comptes de six mois de mensonges par omission et de manipulations.