▪ Il y a à peine dix jours, la plupart des investisseurs ignoraient qu’ils avaient cinq places boursières distinctes réparties le long du golfe Persique. Ils ne savaient pas davantage que les groupes immobiliers locaux représentaient l’essentiel des titres inscrits à la cote — devant les groupes pétroliers.
Il régnait le sentiment que la plupart des entreprises introduites en Bourse bénéficiaient du même statut semi-public que les holdings des familles princières, à l’image des fonds souverains. Cela entretenait la conviction qu’aucune faillite n’était à redouter à Dubaï.
Aucun projet démesuré tel qu’une tour de 1 200 mètres de haut et 250 étages, équipée de 380 ascenseurs (alors que le Burj Dubaï et ses 162 étages ne s’élèvent qu’à 740 mètres, plus une antenne de 78 mètres), ou un chapelet d’îles (« The World« ) représentant plus de travaux de terrassement que la Grande Muraille de Chine ne semblait heurter le sens critique économique des banques impliquées dans ces projets.
Le plus drôle, c’est que la plupart de celles qui s’enorgueillissaient jusqu’à fin novembre d’avoir participé au financement des réalisations les plus délirantes de Dubaï multiplient les communiqués pour minorer le montant de leur implication dans les sociétés qui viennent de se déclarer en défaut de paiement. Rappelons que les sommes en question vont de « trois fois rien » à quelques malheureux millions de dollars qui se perdent dans le bilan.
Si le Burj Dubaï (un demi-million de mètres carrés, ce qui représente un investissement de 1,2 milliard de dollars) a pu atteindre une altitude vertigineuse de 818 mètres, c’est grâce à la détermination sans faille et au généreux concours de la banque « YE$ » (Yen-Euro-Dollar). Si le promoteur Emaar Properties fait faillite, la banque « YE$ » n’a en réalité financé que l’un des 162 étages, et encore… un des plus petits, vous savez, là où la tour se rétrécit, tout près du sommet, et qui correspond à des appartements panoramiques que les milliardaires russes s’arrachent.
▪ En attendant, ce qui rétrécit à vue d’oeil, c’est la capitalisation de la Bourse de Dubaï. Cette dernière a encore dévissé de 5,85% ce lundi alors que le gouvernement confirme la totale indépendance des groupes privés, lesquels ne peuvent à ce titre bénéficier d’aucun soutien de la part des autorités de l’Emirat (ni des familles princières).
Ils devront donc se débrouiller seuls pour dégager des liquidités — ce qui signifie vendre des actifs, sur place ou à l’étranger. Ils devront également trouver tout seuls de l’argent frais auprès des marchés… ce qui risque de s’avérer difficile vu le climat délétère créé par l’éclatement de la bulle immobilière.
Pendant que les financiers font crépiter leur calculette, le pétrole entame sa rechute sous les 75 $ (74,1 $ au plus bas sur le NYMEX en début de séance). Il se retrouve à son plus faible niveau depuis deux mois. Si les recettes pétrolières continuent de chuter, cela ne facilitera pas la tâche de l’Emirat d’Abu Dhabi qui va devoir s’employer à éviter la banqueroute de son voisin.
Heureusement, la correction qui se dessine sur le NYMEX depuis la mi-octobre est maintenant compensée par un net redressement du dollar (entre 1,5150 et 1,4780 en 48 heures)… Cependant, la Fed ne devrait pas permettre que ce rebond aille au-delà du seuil crucial des 1,4730/euro.
▪ Le seul véritable « événement » de ce lundi concernant les places occidentales, c’était l’intervention de Ben Bernanke devant l’Economic Club de Washington. Bernanke a réaffirmé que le mandat de la Fed consiste à soutenir l’économie et qu’elle le fera avec détermination même si le scénario d’une rechute économique semble improbable.
Les taux devraient être maintenus aux niveaux actuels pendant une période « étendue ». Helicopter Ben n’a fait aucune allusion à une inflexion ou un durcissement de la politique monétaire de la Fed dans un avenir prévisible.
Wall Street semblait connaître par avance, et à la virgule près, le détail de l’intervention de Ben Bernanke : inflation contenue, reprise lente, poursuite des mesure de soutien aux banques. Les indices américains ont donc réalisé des scores qui reflètent une totale absence de surprise dans les rangs des investisseurs.
Les propos tenus devant la presse à Washington ont été confirmés par le président de la Fed de New York, Bill Dudley (ex-chef économiste de Goldman Sachs)… Il ajoute qu’une vigilance particulière doit être maintenue au sujet du risque de formation de bulles d’actifs qui s’alimentent de conditions monétaires accommodantes.
▪ C’est peut-être cette dernière considération qui a pesé sur le Dow Jones. L’indice culminait vers 10 440 points (+0,5%) à l’heure du café ; il a terminé inchangé (+0,01%), tandis que le S&P 500 reculait de 0,25% à 1 103 points et le Nasdaq de 0,22%.
La tendance a viré très légèrement au rouge en toute fin de journée, dans le sillage de poids lourds de la finance comme Bank of America (-2,4%), Wells Fargo (-2,3%), Goldman Sachs ou Morgan Stanley (-2%).
Cela fait maintenant presque deux mois que le compartiment bancaire sous-performe Wall Street. L’annonce d’un appel au marché de 19,3 milliards de dollars de la part de Bank of America avait reçu un accueil enthousiaste vendredi… mais qu’en sera-t-il si certains de ses principaux concurrents orchestrent à leur tour des augmentations de capital massives dans un contexte boursier moins favorable ?
Cela fait déjà trois mois que nous soutenons qu’un second stress test devrait s’imposer compte tenu de la hausse inexorable du montant des provisions pour créance douteuses !
La multiplication des défauts de remboursement se double d’un nouveau recul mensuel de l’encours de crédit à la consommation classique (-1,7%). Vient s’ajouter à cela une poursuite de la chute du « revolving » à un rythme de -9,3% depuis décembre 2008 — ce qui devrait faire des ventes de Noël 2009 un cru plutôt médiocre.
Mais attendez… savez-vous quel est le pays qui enregistre le plus fort taux de progression des « retards » sur les cartes de crédit (pour ne pas prononcer la douloureuse locution « défaut de paiement définitif ») en 2009 ?
Il s’agit de la Chine… avec +135% ! Et encore, il s’agit d’une statistique officielle… Si Washington peut commettre une erreur de 38% sur l’estimation des pertes d’emploi au cours d’un trimestre sans que quiconque crie au scandale, imaginez les marges que cela offre à Pékin avant d’être taxé de produire des statistiques « hédonistes » !