La société sans cash est une solution que les autorités lorgnent avec convoitise – mais prudence : cette « solution » pourrait se retourner contre elles.
La monnaie électronique est évidemment très pratique. Il faudrait se lever de bonne heure pour nier les avantages d’innovations telles que la carte bancaire ou Apple Pay…
Mais comme le dit Bruno Bertez :
« La question n’est pas de s’opposer à la progression des cartes et autres moyens de paiement, elle est de laisser les gens choisir ce qui leur convient, sans volonté de les brimer pour des raisons de surveillance ou de prédation de l’Etat. »
« La disparition du cash, c’est à terme la disparition de la liberté »
Le problème, comme nous l’avons vu il y a quelques jours, c’est que « la disparition du cash, c’est à terme la disparition de la liberté. La disparition du cash rend possible l’arbitraire et la prédation. Elle est contraire au droit de propriété », comme l’écrit Emmanuel Malmendier sur le site Contrepoints.
Le 28 octobre, ce comptable-fiscaliste rappelait ceci :
« Insidieusement, de nombreuses mesures législatives ou réglementaires tendent à exclure le cash de nos vies, à le rendre hors-la-loi. De telles dispositions ont récemment été prises : renforcement des restrictions sur les paiements en espèces, limitation des retraits et dépôts d’espèces, contraintes sur les systèmes de paiements acceptés par les commerçants, mesures tendant à rendre obligatoires les paiements par carte de débit ou de crédit, etc. »
Et Emmanuel Malmendier de rappeler quelques écueils de la société sans cash en matière de libertés :
« L’instauration d’une société sans cash nous soumet au monopole du lobby bancaire. Lorsque nous déposons de l’argent dans une banque, il ne nous appartient plus : nous devenons créanciers de notre banque qui nous doit notre argent. En cas de crise financière et bancaire, notre seule défense en tant que citoyen ordinaire consiste à retirer notre argent. Dans une société sans cash, cela deviendra impossible.
L’instauration d’une telle société institue un droit de regard de l’Etat sur tous les actes d’achat et de vente que nous effectuons, heures et lieux compris, ce que les dispositions permettent.
Elle rend possible la mise au ban de la société d’un individu de façon instantanée, sans aucune procédure légale ; avec seulement l’intervention d’un ‘fonctionnaire habilité’ ou même à la suite d’une erreur technique, nos comptes peuvent être bloqués et nous ne pouvons plus effectuer aucun achat d’une autre façon. […] [NDLR : Je renvoie le lecteur à mes précédents articles sur la techno-dictature chinoise.]
Elle autorise une taxation arbitraire de nos dépôts bancaires liquides en cas de nouvelle crise, comme l’a vivement recommandé madame Lagarde, présidente du Fonds monétaire international. »
Ajoutez à cela que la disparition du cash constitue une condition nécessaire à la spoliation continue des épargnants via l’application des taux négatifs, et la liste commence à être longuette, vous ne trouvez pas ?
La Suède, patient zéro de la société sans cash
En Suède, le montant d’espèces en circulation s’effondre depuis 2010.
Avant que la Corée du Sud ne lui ravisse son titre, la Suède était la société la plus cashless du monde. Concrètement, cela prend la forme de pancartes « Nous n’acceptons pas les espèces » sur la plupart des devantures de boutiques, et des distributeurs de billets qui se font de plus en plus rares.
Et pour cause : « Pendant des années, le gouvernement et la Riksbank ont réclamé une société sans cash. On compte plus de 1 000 articles publiés sur le site internet de la Riksbank sur le thème de la société sans cash », comme le relève Don Quijones sur ZeroHedge.
Un complet retournement de situation quand on sait que la Banque de Suède a été la première banque centrale à introduire du papier monnaie dans les années 1660, 30 ans avant la Banque d’Angleterre.
Comme l’explique Bruno Bertez :
« La Suède est en avance sur tout, c’est le pays qui à chaque fois va dans le sens des excès maximum : impôts, social-démocratie, immigration, liberté sexuelle, idéologie du genre, etc. Ses erreurs et ses retours en arrière sont donc intéressants. »
Les autorités publiques suédoises se demandent si elles ne seraient pas allées un peu vite en besogne…
Le premier pas en arrière des autorités publiques suédoises date de 2018. Au mois de février, le président de la Banque de Suède s’est ému du fait que le système de paiement national devenait progressivement le monopole du secteur bancaire privé.
Stefan Ingves en en effet a appelé à « une nouvelle législation garantissant le contrôle public du système de paiement, affirmant que pouvoir effectuer et recevoir des paiements est un ‘bien collectif’ au même titre que la défense, les tribunaux ou les statistiques publiques », comme le rapporte le journal britannique The Guardian. « La plupart des citoyens se sentiraient mal à l’aise à l’idée de confier ces fonctions sociales à des entreprises privées », a-t-il ajouté.
26 février 2018 : « Débat : les alternatives privées dans la compétition pour la Couronne suédoise »
Ce n’est pas tout – le président de la Riksbank a également souligné l’exposition du système de paiements national à une attaque informatique, déclarant :
« Il devrait être évident que l’état de préparation de la Suède serait affaibli si, en cas de crise grave ou de guerre, nous n’avions pas décidé à l’avance comment les ménages et les entreprises paieraient pour le carburant, les fournitures et autres nécessités. »
Il faut croire que les arguments ayant trait à la sécurité nationale n’ont pas effleuré les économistes et conseillers du FMI…
Huit mois plus tard, la Riksbank a confirmé sa position en devenant la première banque centrale à œuvrer dans le sens de la préservation des espèces en tant que moyen de paiement. Dans un document publié le 17 octobre, « elle propose d’obliger toutes les banques et institutions financières à offrir des services de paiement en espèces », comme le rapporte encore Don Quijones, de ZeroHedge.
En 2019, les autorités suédoises ont continué de se retourner contre la société sans cash. Comme le rapportait le Times le 5 mai, une agence gouvernementale suédoise (la Swedish Civil Contingencies Agency) a conseillé à chaque foyer de stocker des « petites coupures » pour faire face aux cas d’urgence comme « les interruptions de courant électrique, le terrorisme, les cyberattaques d’un Etat voyou ou la guerre ».
5 mai 2019 : La Suède, pays pionnier de la société sans cash, met en garde : conservez vos billets de banque
Alors que la politique de taux négatifs semble devoir ne jamais s’arrêter, l’enthousiasme suscité par l’utopie de la société sans cash commence à s’estomper chez les autorités publiques suédoises.
Voilà un dilemme à la hauteur des duos gouvernements/banques centrales de nos Etats surendettés !