Chercher à manipuler les cours de sa devise ne permet pas souvent de s’en sortir gagnant. Que ce soit en la faisant chuter, ou en la maintenant haute sans raison…
Hier, nous avons vu que la dévaluation est toujours inefficace pour restaurer les comptes extérieurs : lorsqu’un pays dévalue, il va acheter plus cher tout ce qui vient de l’étranger et vendre moins cher tout ce qui repart à l’étranger. Mais ce n’est pas le seul problème qu’elle pose.
Le deuxième problème porte sur la manipulation du change qui peut être réalisée, indirectement, par l’intermédiaire des variations taux directeurs de la banque centrale. Il n’est plus vraiment d’actualité chez nous, dans un contexte de hausse généralisée des taux directeurs dans le monde. Il l’est cependant encore Japon, seul pays qui maintient une politique monétaire ultra-accommodante.
La Banque du Japon est ainsi la seule banque centrale de la zone OCDE à avoir déclenché une guerre des changes explicite. Celle-ci se matérialise depuis le début de 2022 par une violente hausse du dollar contre le yen, passant de 113,50 yens pour 1 dollar, le plus bas annuel mi-janvier, à 145,91 yens pour 1 dollar le 22 septembre, soit une hausse de 28,55%.
Mais le sterling et l’euro ont aussi beaucoup progressé contre ce même yen (respectivement de 10,3% et 17,1% entre les creux et sommets annuels). Des hausses qui sont toutefois naturellement moins forte que celle du dollar, compte tenu de la hausse de celui-ci contre toutes les devises.
Monnaie refuge pour les spéculateurs
Notons aussi la très forte sous-performance de la livre sterling par rapport à l’euro depuis trois mois, puisque le plus haut annuel du sterling contre le yen date de mi-juin, tandis que celui de l’euro contre le yen date de la mi-septembre. Cette très forte sous-performance s’est accélérée depuis la fin août, avec le crash de la parité GBP/USD qui a connu un point bas historique le 26 septembre à 1,03565. Le précédent point bas remontait tout de même à février-mars 1985.
En d’autres temps (de 1997 à 2016), on se souviendra qu’à la moindre rechute des indices boursiers, le yen se réappréciait fortement sur le marché des changes contre toutes devises (excepté le franc suisse). Triste privilège des monnaies dites refuge, en période de forte aversion au risque.
En réalité, plutôt que monnaie refuge, il fallait parler de monnaie de financement (ou de carry trade), avec un mécanisme bien connu : une première devise est empruntée à taux quasi nuls (yen et franc suisse principalement, avant que d’autres devises ne les rejoignent dans le camp des devises à taux nuls ou négatifs), puis vendue pour acheter des actifs risqués libellés dans des devises à rendements plus élevés.
Mais, si les marchés de ces actifs risqués chutent fortement, la première devise est violemment rachetée pour déboucler ces positions spéculatives. Ce qui provoque des débouclements de carry trade, célèbres pour toutes les « victimes » qu’ils firent sur le Forex.
En tout cas, ces débouclements, quand ils se produisent, n’ont plus aujourd’hui l’impact qu’ils avaient sur la parité dollar-yen, car les positions risquées importantes ne sont plus majoritairement comme avant financées par des carry trade sur le yen. Il n’y a donc plus de positions shorts de yen à racheter massivement dans les épisodes de panique boursière.
Faut-il soutenir sa monnaie à tout prix ?
Le troisième problème est celui qui fut expliqué par l’économiste Robert Mundell dans son fameux « triangle d’incompatibilité ».
Cette incompatibilité met en exergue le fait que l’on ne peut avoir tout à la fois fixité du change, liberté des mouvements de capitaux et indépendance de la politique monétaire. Il faut sacrifier l’un des trois côtés du triangle. Ici, la macroéconomie nous est d’un grand secours et il est bon de faire référence à des théories pertinentes, solides et surtout éprouvées par les faits. Les étudiants en économie d’hier et d’aujourd’hui sont familiers des travaux de Mundell (prix Nobel en 1999). Son fameux triangle est très souvent d’actualité.
Les pays qui risquent d’être confrontés au triangle d’incompatibilité de Mundell sont ceux qui maintiennent un peg entre leur monnaie et le dollar, c’est-à-dire une parité de change quasi-fixe, indépendamment des fondamentaux.
Ce peg peut en effet vite devenir insoutenable dans certaines circonstances, par exemple des problèmes de compétitivité, ou en suivant intégralement la politique monétaire des Etats-Unis, malgré des cycles économiques qui peuvent être divergents.
Maintenir ce peg est donc extrêmement coûteux en période de hausse des taux du dollar, et de surcroît, il implique souvent de renoncer à son indépendance monétaire ou de rétablir des contrôles de capitaux. Ces deux côtés du triangle n’étant pas souhaitables dans la durée, il faudra donc s’attaquer au troisième coté : celui du change et donc de la remise en cause du peg. Cela peut concerner des parités telles que l’USD-yuan chinois, l’USD-rial d’Arabie saoudite, ou l’USD-dollar de Hong Kong, pour ne citer qu’elles.
Ne pas remettre officiellement en cause ces pegs dans une situation de surévaluation généralisée du dollar et d’accroissement du différentiel de taux entre ce dernier et ces devises pourrait conduire les banques centrales de ces pays à brûler une partie de leurs réserves de change (en vendant des actifs libellés en USD) pour défendre le lien quasi-fixe de leur monnaie vis-à-vis du dollar.
Il serait pourtant sans doute préférable de vivre des krachs d’actifs violents mais passagers, provoqués par ces ruptures de pegs, qu’un krach prolongé provoqué par de fortes ventes d’actifs financiers libellés en USD (et dans une moindre mesure en euro) par ces banques centrales, afin de maintenir une fixité artificielle de la parité de change.
Nous avons vu que la dévaluation était inefficace pour restaurer les comptes extérieurs. Nous avons vu aussi que dans le passé, les politiques de dépréciation du change dans le prolongement des QE pouvaient être contreproductives (les devises sensées se déprécier sont massivement shortées par la spéculation et se retournent violemment à la hausse lors de séances de krachs). Nous avons vu enfin que certains pays arrimant leurs devises au dollar seront obligés de sacrifier le lien quasi fixe de leur parité, ce qui risque de maintenir un régime de très forte volatilité sur les marchés financiers.