Quelles seront les grandes tendances financières et économiques l’an prochain, et comment les anticiper de votre côté ?
Dans le cadre de nos prévisions économiques et financières pour l’année 2020, nous avons sélectionné les six facteurs déterminants suivants : la politique de la Réserve fédérale, les guerres commerciales, les troubles sociaux, les élections présidentielles américaines de 2020, l’or en tant qu’actif monétaire et enfin les cygnes noirs.
Bien entendu, ces facteurs ne sont pas soigneusement isolés les uns des autres : ils ont un impact les uns sur les autres. La politique de la Fed est l’un des principaux moteurs du cours de l’or en dollars. Les cygnes noirs peuvent avoir un impact sur l’élection américaine. Et ainsi de suite.
Dans le dernier numéro de la lettre Intelligence Stratégique, nous traitons ces connexions et ces boucles de rétroaction tout en restant concentrés sur la façon dont ces six grands facteurs vont affecter les actions, les obligations, les matières premières et d’autres marchés au cours de l’année à venir.
Dans le cadre de La Chronique Agora, nous nous intéresserons à la politique de la Fed dans un premier temps, puis aux guerres commerciales.
La Fed est totalement désorientée
En ce qui concerne la Réserve fédérale, il faut par-dessus tout être conscient de la chose suivante : elle n’a aucune idée de ce qu’elle fait.
Ce n’est ni du dénigrement, ni une critique personnelle. C’est simplement un fait.
Ces dix dernières années, la Fed a affiché le pire palmarès enregistré par une grande institution en matière de prévisions. Ses prévisions à un an ont été largement erronées de 2007 à 2015 (dernièrement, cela va mieux).
La Fed a prédit de l’inflation, mais elle n’est jamais arrivée. Elle a prédit un retour à la croissance tendancielle, mais cela ne s’est jamais produit. Elle a prédit que le resserrement quantitatif (la réduction du bilan) se déroulerait « en arrière-plan » et ne constituerait pas un outil de politique monétaire : là encore, c’était faux.
La plus grosse bourde commise par la Fed a été d’attendre trop longtemps avant de normaliser les taux d’intérêt et son bilan. Le bilan de la Fed est passé de 800 Mds$ à 4 500 Mds$ entre 2008 et 2014, dans le cadre des programmes d’assouplissement quantitatif (QE1, QE2 et QE3). Les taux d’intérêt ont été réduits à zéro en 2008, et ont été maintenus à ce niveau pendant sept ans.
A cause de ce bilan surdimensionné et des taux à zéro, la Fed se retrouvera dans l’incapacité de baisser les taux ou d’élargir son bilan au cours de la prochaine récession.
Il aurait fallu que la Fed relève les taux à 4% environ et qu’elle réduise son bilan à 2 500 Mds$ environ pour pouvoir gérer la prochaine récession. Elle a commencé à relever les taux en décembre 2015 et à réduire son bilan fin 2017. Ces deux décisions sont intervenues trop tard, et sont insuffisantes.
Machine arrière
La Fed s’est retrouvée face au casse-tête suivant : atteindre ses objectifs de normalisation sans pour autant provoquer la récession qu’elle se préparait à juguler.
En 2015, j’avais dit qu’elle n’y parviendrait pas. C’est bien ce qui s’est passé en 2018. Après avoir fait chuter le marché actions de 18% entre octobre et décembre 2018, et avoir failli provoquer une récession, la Fed a fait brutalement machine arrière.
Depuis, elle a abaissé les taux à trois reprises (juillet, septembre et octobre 2019) et mis fin au resserrement quantitatif (QT) en juillet 2019. Il semblerait qu’à présent les taux s’orientent à nouveau vers le zéro (probablement l’an prochain à la même époque), et que le bilan remonte vers le niveau des 4 000 Mds$, voire plus.
Le graphique ci-après retrace les échecs et les volte-face de la Fed. Il indique le montant total des actifs du bilan consolidé de la Fed. La ligne plutôt stagnante, de 2015 à 2017, montre le « rollover » des actifs après la fin du QE (2014) et le début du QT (2017), qui a laissé le bilan inchangé.
La chute nette du montant total des actifs aux environs des 3 800 Mds$ représente le QT réalisé entre 2017 et fin 2019. Puis, soudain, mi-septembre 2019, le QT fait machine arrière, et un nouveau round d’assouplissement quantitatif (QE4) débute (la Fed insiste bien sur le fait que ce n’est pas du tout un QE4, mais les chiffres disent le contraire).
Le bilan de la Fed a augmenté de près de 300 Mds$ (comme l’indique le graphique), et même plus, dans la mesure où l’expansion du bilan s’est poursuivie depuis la réalisation de ce graphique.
Lorsqu’on analyse la politique de la Fed, il est crucial de se rappeler qu’elle fonctionne avec un décalage de 12 à 18 mois. Le resserrement excessif opéré en 2017 et 2018 a failli provoquer une récession fin 2018.
Nous en ressentons encore les effets aujourd’hui. La croissance annualisée du PIB américain a baissé de 3,1% au premier trimestre 2019 à 2% au deuxième trimestre, puis à 1,9% au troisième trimestre.
A ce jour, la meilleure estimation de croissance, pour le quatrième trimestre 2019, est de 1%. Cette tendance ne dit rien de bon.
L’assouplissement monétaire devrait lui aussi opérer avec un décalage et donner un coup de pouce à la croissance d’ici mi-2020. C’est une bonne nouvelle pour les chances de réélection de Trump, mais cela montre que la Fed a encore du travail d’ici là.
On peut facilement envisager une ou deux baisses encore (et peut-être plus) d’ici l’été prochain. Les dates probables seraient les 29 janvier et 10 juin 2020. On ne peut exclure des baisses supplémentaires en mars et juillet 2020.
Collectivement, ces baisses de taux pourraient faire tomber les taux, à court terme, à près de zéro. A ce stade, la Fed se retrouverait au même point qu’en décembre 2016. Et voilà : mission non accomplie.
Seul bon côté des choses, cette voie de l’abaissement des taux est haussière pour les actions. Et une hausse des actions va dans le sens de la réélection de Trump.