Un discours se répand dans la classe politique et les médias : celui d’une dette qui pourrait croître sans fin. Ce « rassurisme » – séduisant mais dangereux – occulte la réalité d’un coût de financement en forte hausse, d’un budget déjà grevé par les intérêts et d’une dépendance accrue aux marchés.
La semaine passée, l’Assemblée nationale française a montré une nouvelle fois qu’elle était capable du pire. Alors que les défis auxquels fait face le pays justifieraient de faire preuve sinon de capacité à chercher le compromis, du moins de pragmatisme, les principales forces politiques en présence ont préféré revenir à leurs vieilles lunes.
Dans une symphonie déjà jouée un nombre incalculable de fois, les partis pourtant dits « de pouvoir » ont fait dans la surenchère pour dénoncer un gouvernement qui faisait il est vrai l’unanimité contre lui… et proposer, en guise de solution aux problèmes de la France, les idées éculées qui ont justement mis le pays dans la situation où il se trouve.
Mais plus problématique encore que ces réflexes pavloviens, se trouve un nouveau consensus qui émerge dans la quasi-totalité de la classe politique : l’idée que la dette ne serait qu’un artifice comptable. De plus en plus fleurit le petit refrain qui consiste à faire croire que les Etats ne remboursent pas leur dette, et qu’elle peut donc continuer à croître exponentiellement.
Derrière cette idée fausse se cache la promesse que le pays peut continuer dans sa trajectoire actuelle en changeant à la marge certains paramètres (taux de TVA, taux marginal d’imposition, ISF ou quotas d’immigration selon la sensibilité politique).
Il faut bien sûr rappeler si besoin était que cette assertion est totalement fausse. Ce n’est pas parce que le stock de dette tricolore augmente depuis un demi-siècle que l’Etat ne rembourse pas ses obligations. En réalité, il fait rouler sa dette, ce qui consiste à ré-emprunter pour rembourser les émissions passées arrivant à échéance.
Oui, la France doit rembourser sa dette… et elle le fait déjà
Alors que nombre d’hommes politiques en concluent que notre dette n’a pas vocation à être remboursée, la réalité dément cette assertion. Pour honorer ses engagements sur les marchés financiers, la France rembourse sa dette quand elle le doit, et pour ce faire emprunte comme elle le peut.
Ce n’est qu’en s’astreignant à cette course contre la montre permanente que le pays ne se retrouve pas en défaut de paiement comme l’Argentine, le Liban, le Zimbabwe, et tous les Etats en faillite avant elle.
Le corollaire est que, tant que notre budget ne sera pas stabilisé (et les derniers événements politiques prouvent que l’équilibre budgétaire n’est pas pour demain), nous dépendrons des marchés financiers pour maintenir notre train de vie.
Jusqu’à cet été, ce déni de réalité était globalement cantonné à la sphère politique. Mais depuis quelques semaines, nous le voyons se diffuser dans la sphère économique. Dans la presse écrite et à la télévision, les interventions se multiplient pour balayer d’un revers de main le sujet de l’endettement tricolore.
Probablement par effet de fatigue, il est devenu de bon ton de prétendre que la France parvenant toujours à placer sa dette, la question de son montant total n’a aucune importance. Ce faisant, les analystes concluent que notre endettement n’aura pas d’effet à moyen terme.
Ils oublient que nous payons déjà fort chèrement notre déficit passé. Le fait que les effets soient actuellement insensibles pour certaines parties de la population ne doit pas conduire à les nier. Car ces mêmes analystes « rassuristes » tenaient en 2021 le même discours de Candide sur l’impossibilité d’une crise énergétique, et en 2022 sur une impossible augmentation des taux d’intérêts – avec les suites que l’on connaît.
Quand la dette plombe déjà le budget
La personnification du débat sur l’endettement autour de la figure de François Bayrou a malheureusement laissé à croire que cette question pourrait être évacuée en cas de changement à la tête du gouvernement.
En réalité, le coût de la dette n’est pas un hypothétique danger : c’est une réalité qui plombe déjà la capacité de l’Etat à injecter de l’argent dans l’économie nationale. Le stock de dette français coûte actuellement 2 % par an, tandis que nous nous refinançons entre 2,16 % (pour les emprunts à deux ans) et 4,3 % (pour les emprunts à 30 ans).
Le coût de la dette à 10 ans est désormais au plus haut depuis 2011, tandis que celui de la dette à 30 ans n’a jamais été aussi élevé depuis 2009. Nous empruntons aujourd’hui plus cher que l’Espagne, le Portugal, et même la Grèce, et payerons nos emprunts bientôt plus chers que l’Italie.

Vendredi 12 septembre, la différence de coût exigée par les marchés entre la France et l’Italie pour leurs emprunts à 10 ans est tombée à moins de 0,04 %. Nous emprunterons bientôt plus cher que notre voisin transalpin. Infographie : WGB
Cette année, le poids de la charge de la dette est attendu à plus de 55 milliards d’euros. Autant d’argent qui ne servira pas à financer les services publics, et dont 54,7 % partira directement à l’étranger, cette proportion de notre dette étant détenue par des investisseurs non tricolores.
Pire encore, il est attendu que le coût de notre endettement accumulé durant les cinquante dernières années dépassera les 70 milliards d’euros par an en 2027, aux conditions actuelles de crédit. Cette somme, bien que colossale, reste pourtant une évaluation optimiste : sans ajustement de nos dépenses publiques, le déficit public se portera à 7,1 % du PIB en 2030 et la dette publique à plus de 133 % du PIB.
Le danger du « rassurisme » pour les investisseurs
Face à ce tableau calamiteux, la tentation est grande de se laisser convaincre par la douce musique des analystes qui prétendent que la situation n’est pas aussi grave qu’il n’y paraît, et que la dette est un faux problème.
Ceux qui prétendent que la France ne rembourse pas sa dette, que sa charge n’est pas si importante que cela, que nous trouverons toujours des prêteurs, ou que la BCE viendra nécessairement à notre secours en cas de flambée des taux d’intérêt ont en commun de nier les évidences pour ne pas avoir à envisager le scénario d’un Etat français qui serait submergé par le coût de sa dette.
Celui-ci n’a rien de réjouissant, mais il est nécessaire d’en tenir compte. Il faut considérer la probabilité importante que l’Etat français ne puisse ni maintenir son niveau de dépenses actuelles, ni continuer à combler le déficit des régimes sociaux, ni même honorer l’intégralité de ses engagements sans laisser filer l’inflation.
L’expérience nous a montré que les scénarios noirs ne sont pas impossibles pour la simple raison qu’ils sont désagréables. Ceux qui niaient la possibilité d’une crise énergétique en Europe à la sortie de la pandémie sont restés exposés aux industries énergivores, et ont essuyé de lourdes pertes. Ceux qui niaient la possibilité que la BCE et la Fed augmentent drastiquement leurs taux d’intérêt en 2022 ont vu la valeur de leur stock de dette, qu’elle soit publique ou privée, laminée. Les portefeuilles de long terme sont encore, plus de trois ans plus tard, en forte moins-value par rapport à leur valeur d’il y a cinq ans.

Les investisseurs qui avaient suivi les conseils de prudence en optant pour des obligations d’Etat à 20 ans ont perdu 45 % de leur épargne sur les cinq dernières années. Ici, l’évolution de l’ETF TLT d’iShares.
Cette année, ceux qui investissent ou épargnent en considérant que l’Etat français sera toujours solvable feront face aux mêmes déconvenues. La douce musique chantonnée par les adeptes du business as usual – qu’ils soient hommes politiques, analystes ou éditorialistes – ne doit pas endormir la prudence individuelle.
2 commentaires
La France étant actionnaire à seulement 16% (de mémoire) de la BCE, elle n’a pas le pouvoir de revenir à la situation démagogique d’avant 1973, où le trésor pouvait compter sur les avances de la BdF dans le cadre de transactions entre amis liés par ce qui restait encore de patriotisme économique, et avec un taux d’endettement par rapport au PIB qui avait fortement baissé depuis 1945.
La dette présente de l’état n’a pas servi à rendre l’état propriétaires d’investissements rentables, elle a plutôt servi à cacher la misère de la perte de compétitivité du territoire français dans son ouverture à la mondialisation. Certaines entreprises ont prospéré , mais elles n’appartiennent pas à l’état et peu aux français, assis sur un stock d’immobilier qui n’a de valeur que par la croyance d’une protection contre la dépréciation monétaire et par un différentiel positif entre les revenus de ce patrimoine (souvent fortement subventionnés par l’aide au logement des locataires ) et les charges de ce patrimoine fortement impactées
1) par les coûts du mille-feuille administratif ainsi que le maintien d’un semblant d’activité économique subventionné par les « investissements » de collectivités locales endettées et aveugles au risque démographique.
2) par le coût d’une main d’oeuvre devenue rare pour rénover ou entretenir ce patrimoine surabondant,
qui de ce fait risque de devenir un centre de coût moins protecteur que la détention de métaux précieux contre une inévitable inflation durant la phase haussière démarrée en 2021 par un stupide (ou pervers ?) quoi qu’il en coûte.
Un de mes ancétres, quoique paysan, allait à Paris les années de bonne récolte : à l’opéra ou pour l’exposition universelle. Il était pauvre mais cultivé. Et quand c’était une mauvaise récolte, il vendait des terres. Inutile de dire qu’il n’avait rien prévu pour ses nombreux enfants.
Le quoi qu’il en coute était une folie. On aurait accépté une baisse de nos revenus cette année là. L’etat aurait pu éviter une bonne partie des confinnements pour les actifs.
La grande relance Sarkozyste de 2008 était un autre momment de folie. C’était aux autres pays de relancer la machine car nous étions déjà sans le sou.
Maintenant, on réve de guerre avec la Russie, mais de guerre à crédit bien entendu. Nous avons aussi nos grand Chefs.