Chaque époque a ses propres mythes défectueux et rêves brisés. L’industrie financière et le monde de la politique s’y vautrent littéralement.
Le défi que nous devons relever, en ce qui nous concerne, n’est pas d’être plus intelligents que les autres investisseurs ou plus sage que les autres électeurs… mais simplement de prendre du recul par rapport aux mythes, suffisamment loin pour pouvoir bien les observer.
Dans les années 1960, l’idée était qu’il suffisait d’acheter les meilleures actions — les célèbres Nifty Fifty : on s’enrichirait automatiquement à mesure que le génie commercial américain envahissait la planète.
Puis, en 1966, les Nifty Fifty ont commencé à perdre du terrain. Ce regroupement, surévalué et surmédiatisé, a sous-performé durant les 20 années qui suivirent ; nombre des entreprises qui le composaient disparurent.
Dans les années 1980, c’est la Japan, Inc. qui faisait rêver. Tout le monde voulait apprendre le jargon des hommes d’affaires japonais et imiter le succès extraordinaire du pays.
Mais en 1989, le Nikkei Dow s’effondra… chutant de 80%. Trente ans plus tard, les investisseurs sont encore à 50% de perte.
Ensuite, à la fin des années 1990 est arrivé le boom des dot.com. Chacun était convaincu que la nouvelle technologie internet allait mettre le feu — avec une croissance accélérée, des salaires plus élevés et plus aucun besoin de financer la dette (l’information remplacerait le besoin de capital !)
Ce rêve s’est brisé durant les deux décennies qui suivirent. Les taux de croissance ont chuté, les salaires stagnent et il y a plus de dettes que jamais.
Enfin est arrivé le mythe selon lequel « les prix de l’immobilier ne chutent jamais »… qui a volé en éclats en 2007.
Des sottises à couper le souffle
Les actifs, les marchés, les entreprises et les empires grimpent puis baissent. Aucun d’eux, seul ou en groupe, ne domine très longtemps.
Mais voilà qu’arrive le mythe le plus absurde de tous : les autorités peuvent « gérer » et « guider » l’économie, non seulement pour l’améliorer mais pour s’assurer qu’il n’arrive rien de mal.
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Dans nos Chroniques, bien entendu, nous avons déconstruit divers éléments de ce rêve de nombreuses fois. Pris ensemble, ils forment un tas de sottises à couper le souffle.
D’où la Fed tire-t-elle l’argent ? Comment connaît-elle les taux courts dont l’économie a besoin ?
Tout citoyen attentif sait que ses politiciens et bureaucrates sont des canailles incompétentes n’ayant que leurs propres intérêts à cœur. Et tout économiste vous rira au nez si vous suggérez que des bureaucrates devraient fixer le prix du pétrole ; ils savent que seuls des acheteurs et vendeurs libres peuvent découvrir le prix correct — sur « le marché ».
Mais lorsqu’il s’agit d’un prix encore plus important — le prix du crédit –, ils passent soudain à credo quia absurdum (« je crois parce que c’est absurde »). Ils font confiance aux huiles de la Fed pour s’en charger à leur place.
Regardez ce que cela a donné ! La politique monétaire américaine de ces 30 dernières années n’est rien d’autre que les trois erreurs classiques, répétées encore et encore.
Erreur n°1 — maintenir les taux d’intérêt trop bas pendant trop longtemps. Erreur n°2 — augmenter les taux pour tenter d’atténuer les dommages de l’Erreur n°1. Erreur n°3 — réduire les taux en planque lorsque l’Erreur n°2 fait s’effondrer l’économie.
Emprunter plus
On ne parle là que de la politique monétaire. Qu’en est-il de la politique budgétaire ? Le concept clé, pour une gestion éclairée, est que la politique budgétaire devrait être contracyclique.
On épargne (excédent) lorsque tout va bien… et on dépense (déficit) quand ce n’est plus le cas. Pharaon l’a fait il y a 3 000 ans — stockant du grain pendant les sept années de vaches grasses… et le distribuant durant les sept années de vaches maigres. Une stratégie si simple que même un crétin pourrait l’appliquer.
Elle était donc tout indiquée pour les autorités. Mais pendant un demi-siècle — qui a vu notamment deux des plus gros booms de notre histoire –, les autorités y ont lamentablement échoué. Elles n’ont fait qu’emprunter toujours plus — comme si nous étions toujours en crise.
On n’a pas vu un centime d’épargne ou d’excédent budgétaire aux Etats-Unis depuis l’administration Carter. A présent, le pays est confronté à la plus grosse crise de dette de l’histoire de la planète.
Et que suggèrent les plus grands économistes au monde ? Comment se sortir d’un trou aussi profond ?
C’est là que l’absurdum passe en vitesse lumière : ils proposent d’emprunter plus !
Olivier Blanchard, autrefois membre du Fonds monétaire international et désormais au MIT, s’est récemment exprimé devant l’American Economic Association.
Selon lui, [des niveaux de dette élevés] « ne sont sans doute pas si épouvantables ». Le gros de son discours était que si une économie croît à 4% et que sa dette est valorisée à 2%, la dette n’est pas un problème ; l’économie se développe plus rapidement que la dette, si bien qu’elle s’en tirera par la croissance.
Un point de vue appuyé par — évidemment — Paul Krugman.
L’éditorialiste du New York Times a clarifié sa position il y a des années de cela :
« [Les Etats-Unis ont besoin d’] investissements publics largement supérieurs dans tous les domaines, de l’énergie au transport en passant par le traitement des eaux usées.
Comment devrions-nous payer cet investissement ? Nous ne le devrions pas… En ce moment, il y a d’innombrables arguments pour une augmentation de l’emprunt gouvernemental… Dépenser maintenant signifierait une économie plus forte à l’avenir, ce qui entraînerait une augmentation des recettes fiscales ».
Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez ces gens ?
Depuis 1980, les autorités américaines ont dépensé 20 000 Mds$ de plus que ce qu’elles encaissaient. Cette année, les dépenses dépasseront les recettes fiscales de 1 000 Mds$ environ. Et nous sommes toujours dans une reprise économique. Où est la croissance promise ? Où sont les revenus manquants ?
Evidemment, l’idée est absurde. Il n’y a pas de théorie plausible… et pas de cas observable… où les gens s’enrichissent en empruntant de plus en plus d’argent, année après année. Au lieu de cela, ils font faillite.
C’est uniquement en épargnant de l’argent et en l’investissement avec sagesse que l’on peut avancer. Et les autorités sont incapables de faire l’un ou l’autre.
Cela ne signifie pas pour autant que nous ne verrons pas des déficits encore plus profonds et de la dette encore plus importante.