La démographie, c’est le destin – y compris celui de nations entières. Qu’est-ce que la pyramide des âges signifie pour notre avenir ?
La démographie, dit-on, c’est le destin.
Les premiers économistes classiques – Smith, Ricardo, Malthus, Mill, Marshall et d’autres – se sont penchés de très près sur le rôle que les jeunes et les plus âgés jouent dans la construction de la richesse.
Le taux de natalité était élevé, à leur époque, et les populations en expansion : ils souhaitaient donc déterminer comment la croissance démographique changerait les salaires, l’épargne et la production, quelles classes allaient en bénéficier et si une population plus importante était une bonne chose à long-terme.
Deux siècles plus tard, Peter Peterson, dans son livre Gray Dawn [« Aube grise », NDLR.], avertissait qu’une question différente pourrait bientôt se poser : qu’advient-il de la richesse des nations quand les populations vieillissent et commencent à diminuer.
Il est important de se pencher sur les effets de la transition démographique… non parce qu’il s’agit de la seule tendance en place, mais parce qu’il est facile de la perdre de vue.
La double pression de la croissance démographique et de la diminution des ressources disponibles
Dans son livre Revolution and Rebellion in the Early Modern World [« Révolution et rébellion lors des débuts du monde moderne », NDLR.], l’historien Jack Andrew Goldstone émet l’hypothèse que les grandes révolutions européennes – les révolutions anglaises et françaises – avaient un point commun avec les grandes rebellions d’Asie qui ont abouti à la destruction de l’empire ottoman et mis fin au règne de dynasties japonaises et chinoises.
Toutes ces crises se sont produites lorsque des institutions politiques, économiques et sociales inflexibles ont été mises face à la double pression d’une croissance de la population et d’une diminution des ressources disponibles.
Au début des années 1700, les populations de l’Europe entière ont commencé à augmenter en raison du déclin du taux de mortalité lié à la famine et aux maladies (comme la peste), et du maintien d’un taux de natalité élevé. La nette supériorité du nombre de naissance par rapport au nombre de décès, pendant une bonne partie du début de l’ère moderne, a abouti à un baby-boom.
Selon le démographe Michael Anderson, la population européenne a doublé en un siècle, entre 1750 et 1850. L’« ère de la révolution démocratique », à la fin des années 1700, marquée notamment par la Révolution française, a coïncidé avec une expansion de la proportion de jeunes dans la population.
Démographie et Révolution française
L’une des causes principales des tensions sociales en France avant et pendant la Révolution fut la population rurale nombreuse, jeune et indisciplinée. La population française a augmenté de 8 à 10 millions de personnes au cours du XVIIIème siècle.
A titre de comparaison, lors du siècle précédent, le nombre de Français n’avait augmenté que d’un million. Vers 1772, l’abbé Terray commença la première étude démographique sérieuse en France. Terray évaluait alors la population à environ 26 millions d’âmes.
En 1789, à la veille de la Révolution française, on estime à 30 millions le nombre des sujets de Louis XVI – ce qui représente plus de 20% de la population totale de l’Europe non-russe.
Ces chiffres, selon une étude publiée par la George Mason University, ont bien dû avoir un effet. Ils ont vraisemblablement changé la France, politiquement et économiquement. Nous pourrions aussi ajouter qu’ils ont sans doute coûté à Louis son royaume… et sa tête.
Le cas de la Russie
De même, la population russe a doublé entre 1850 et le début de la Première guerre mondiale. De 1855 à 1913, la population de l’empire russe était passée de 73 à 168 millions d’habitants.
Les tensions liées à l’alimentation et à l’hébergement de tant de personnes furent trop fortes pour l’ordre établi. Dans les campagnes, le problème principal était le manque de terres. La croissance rapide de la population fut synonyme de baisse de la taille des terrains, passant d’une taille moyenne tout juste supérieure à cinq hectares en 1861 à moins de trois hectares en 1900.
L’industrie occidentale put absorber le surplus de population, mais en Russie, seul un tiers de la nouvelle population parvint à trouver un emploi sur les chaînes d’assemblage. On avait le sentiment croissant qu’à moins que quelque chose ne soit entrepris, les campagnes finiraient par exploser. Pour les paysans, la solution était simple : confisquer toutes les terres privées des propriétaires terriens.
Cela a eu des conséquences extrêmement néfastes, comme nous le verrons demain…