** Les commentaires rassurants au sujet de la non-contagion supposée de la crise immobilière aux Etats-Unis — et de son corollaire, le subprime –– sont désormais un sujet de moqueries. Ils concernent surtout le public le plus naïf qui se ruait ces derniers temps sur les technologiqueset le marché chinois. Certaines banques osent même — à l’image de Lehman Brothers — évoquer l’émergence d’un problème plus sérieux, plus global et d’une défiance générale des investisseurs plus préoccupante que celle occasionnée par la découverte de la faillite virtuelle du fonds LTCM en octobre 1998.
A l’époque déjà, la perte de confiance des marchés s’était caractérisée par une subite remontée du yen (malgré un rendement inférieur à 1%) au détriment du dollar (qui rapportait plus de 5%), traduisant l’inversion des arbitrages de rendement entre devises (dénommés carry trade). La même partition semble avoir été rejouée vendredi dernier puisque le dollar a été victime d’un plongeon 1,5% contre un yen à 110,70.
Il s’enfonce ainsi sous ses planchers du mois d’août (113 yens), ce qui trahit une nouvelle vague de débouclage massif des fameux carry trade (millésime 2006/2007). Il s’agit bel et bien d’une désertion des détenteurs d’actifs libellés en dollars. Ils avaient liquidé massivement les obligations du secteur privé à la mi-août ; c’est maintenant au tour des actions avec -150 points sur le Dow Jones (-3,6% sur la semaine) et -2% sur le Nasdaq, qui chute sous les 2 650 points et perd pratiquement 6,5% d’un vendredi sur l’autre.
Avec de tels référents, le marché parisien a pulvérisé la plupart de ses supports moyen terme et clôture sous les 5 550 points (-1,9% à 5 524 points) à l’issue d’une séance de nouveau très active avec plus de neuf milliards d’euros négociés (tout comme jeudi soir).
A une demi-heure de la clôture (et du week-end… porteur de lourdes menaces en matière d’annonces concernant les pertes liées aux structurés de crédit), un véritable vent de panique a soufflé sur l’indice CAC 40 et sur pratiquement l’ensemble des places de la zone euro, (Francfort exceptée), lequel chutait de 2,5% à 5 493 points.
Le bilan hebdomadaire ressort à -3,4% (l’Eurotop 100 perd au total 3% et enfonce le très important support des 3 200 points). Paris affiche désormais un bilan négatif depuis le 1er janvier ; le contraste est particulièrement saisissant par rapport à l’Allemagne, puisque le DAX s’adjuge encore plus de 18,4%.
La nervosité des marchés (et le plongeon collectif des valeurs financières) en fin de matinée (traduit par un premier gros coup de semonce vendredi dernier) s’était soudain exacerbée avec la circulation d’une rumeur — vigoureusement démentie quelques heures plus tard : Barclays aurait subi de lourdes pertes (10 milliards de dollars) dans le subprime… Peu de temps après, c’est Wachovia qui annonçait augmenter ses provisions pour cause de dépréciation de son portefeuille de prêts immobiliers. Puis ce fut au tour de Fannie Mae d’annoncer une chute de 57% de son bénéfice et une perte de 1,3 milliard de dollars sur les prêts à risque.
** Wall Street s’est alarmé dès jeudi des déclarations de Ben Bernanke devant le Congrès. Selon le patron de la Fed la croissance américaine « ralentira significativement » au quatrième trimestre, tandis que les pressions inflationnistes se renforcent… c’est une manière de pronostiquer de la stagflation.
L’annonce d’une hausse de 1,8% des prix à l’importation en octobre aux Etats-Unis (du fait de la hausse des coûts du pétrole) ne peut par ailleurs que renforcer les craintes concernant les risques inflationnistes. Le moral des ménages américains chute par ailleurs de 80,6 vers 75 début novembre, reflétant une prise de conscience de la baisse des prix de l’immobilier et de la perte de pouvoir d’achat consécutif à la flambée des carburants. Dans ce contexte, la légère réduction du déficit commercial des Etats-Unis à 56,5 millions d’euros laisse les marchés de marbre.
A Paris, les valeurs financières figuraient parmi les plus fortes baisses du CAC 40, plombées par les craintes d’une contagion de la crise du subprime. De nombreux supports long terme ont été enfoncés avec une facilité déconcertante. La crainte d’un ralentissement économique général (pas plus de 1,9% de croissance anticipée en France en 2007 et 2% au mieux en 2008) pèse également sur le secteur de l’hôtellerie et des compagnies aériennes (la business class risque de perdre pas mal de clients du secteur bancaire…).
** Nous vous avions fait part de notre émerveillement mi-octobre lors de la publication des trimestriels de J.P Morgan. Le montant des provisions — extraordinairement faible, compte tenu de son statut de leader des produits dérivés aux Etats-Unis et de 40 milliards de dollars d’engagements rien que sur les prêts finançant des LBO — passées au titre des pertes potentielles sur les produits structurés avait permis à cette banque emblématique d’afficher un profit en hausse symbolique de 100 millions de dollars (mais en hausse malgré tout) au cours du troisième trimestre.
Comme nous le soupçonnions dès le départ, de nouvelles dépréciations d’actifs vont être annoncées de façon imminente (probablement sur les 6,8 milliards de CDO)… mais le but — qui était de faire grimper le titre avant que les marchés américains ne perdent leur sang-froid — a été atteint (et ce qui est pris n’est plus à prendre !).
** Et si Wall Street se sent fébrile, peut-être faut-il jeter un coup d’œil du côté du climat géopolitique. Nicolas Sarkozy vient d’effectuer trois déplacements en trois mois aux Etats-Unis (un record sous la cinquième République). A chaque fois, il fut beaucoup question de l’Iran — l’allusion de Bernard Kouchner au « pire des scénarios », à peine rentré de Washington mi-septembre, n’était certainement pas une maladresse ou un coup d’éclat personnel.
Alors que l’option militaire à l’encontre de Téhéran rassemble un consensus de plus en plus large au fil des semaines (de la Maison-Blanche à l’Elysée en passant par le 10 Downing Street), voilà que la Chine fait connaître son intention de se délester d’une partie de ses actifs en dollar, au profit de monnaies moins délétères. Nous parions sur le choix du yen, dont le rebond est beaucoup plus pénalisant que celui de l’euro pour Wall Street.
Ce n’est sans doute qu’une coïncidence de calendrier… toute aussi fortuite que l’accession de l’Iran au rang de premier fournisseur de gaz de la Chine au cours des derniers mois !
Philippe Béchade
Paris