Bill explore la Sicile à la recherche de maisons offertes gratuitement. Malgré les crises du logement ailleurs, peu se bousculent pour saisir l’occasion…
(Elizabeth inspecte les villes fantômes de Sicile. Photo : Bill)
Après le mariage dont nous vous parlions hier, nous avons décidé d’explorer les environs de la Sicile. Deux villes nous ont particulièrement intrigués : Castiglione di Sicilia… et Troina.
La première a éveillé notre curiosité lorsque nous avons traversé les champs de lave autour de l’Etna. Elle était là, au sommet d’une colline… bien au-dessus des vignes et des vignobles en contrebas. Et lorsque nous avons fait des recherches sur Internet, nous avons découvert qu’on y proposait des maisons gratuites.
Nous avons donc décidé d’aller voir cela par nous-mêmes.
L’autre ville, Troina, a suscité notre intérêt parce qu’elle était la capitale du premier royaume normand de Sicile, et aussi parce que le général George Patton y a mené une grande bataille, pendant la Seconde Guerre mondiale, pour le contrôle de la ville.
Les deux villes sont situées à la périphérie de l’Etna, sur ce qui était connu, pendant la Seconde Guerre mondiale, comme la « ligne de l’Etna », que les Allemands et les Italiens avaient fortifiée pour stopper l’avancée des Alliés vers l’Italie. Nous avons décidé d’en faire le tour.
Il ne nous a pas fallu longtemps pour découvrir que les villes siciliennes, en juillet, peuvent être très chaudes, très sèches et très vides. Mais cette découverte ne s’est faite que lorsque nous avons réalisé que le pays entier peut aussi être très sale. Cela nous a rappelé l’Amérique latine. Des ordures le long des routes. Des tôles rouillées. Des bâtiments inachevés. La chose la plus frappante cependant, au moins le long de la côte, est la prolifération de petits immeubles d’habitation… chaque appartement disposant de son balcon… qui semblent avoir été construits dans les années 1960 ou 1970… et sont plutôt laids.
Une urgence nationale
Qui vit dans ces endroits, nous nous sommes demandés ? La population italienne est en baisse. Le couple italien moyen n’a que 1,1 enfant, soit à peine la moitié de ce qui est nécessaire pour maintenir la population stable. Le gouvernement a déclaré qu’il s’agissait d’une urgence nationale.
De nombreuses petites villes semblent abandonnées. Dans les campagnes aussi, de nombreuses vieilles maisons, dont certaines sont des vestiges grandioses du XIXe siècle, sont en ruine. La situation est si désespérée que les villes tentent d’attirer des habitants en offrant des maisons gratuitement. Aurions-nous envie de vivre dans l’une ? Nous avons décidé de le découvrir.
Nous nous sommes dirigés vers le sud jusqu’à Catane, puis vers l’ouest à travers le pays vallonné de l’autre côté de l’Etna. En s’éloignant de la côte, il n’y avait pratiquement plus de circulation. Un conducteur doit cependant rester vigilant. La route serpente d’un côté à l’autre, en se frayant un chemin vers les hauteurs.
En contrebas, on trouve des oliviers et des citronniers… qui ne sont pas particulièrement bien entretenus. Puis, à mesure que l’on se rapproche de Troina, les champs s’ouvrent à des cultures plus sérieuses, avec une agriculture à grande échelle industrielle. Ensuite, sur les flancs des collines, se trouvent d’agréables fermes de blé, de foin et autres cultures.
Souvent, les collines sont si escarpées qu’il est difficile de s’imaginer comment les tracteurs parviennent à les arpenter ; on peut voir des traces de pneus aux endroits les plus improbables, voire dangereux.
(Photo : Bill)
Le récit de Tony…
La campagne est beaucoup plus jolie et moins encombrée que les villes de la côte. Beaucoup de vieilles granges sont abandonnées. Des maisons aussi. Des moutons et du bétail paissent. Les fermes ont l’air bien entretenues.
Après environ une heure de route, Troina est apparue au sommet d’une montagne. A ce stade, nous commencions à nous poser des questions. Qu’est-ce que la ville fait là ? Le sol qui l’entoure ne semble pas particulièrement fertile ou productif. Pourquoi les envahisseurs normands s’y sont-ils installés ? Et pourquoi le général Patton s’est-il donné la peine de l’attaquer ? Pour autant que nous puissions en juger, cette ville n’a aucune importance stratégique.
Un ami nous a donné un aperçu de ce que les soldats de Patton avaient dû vivre, il y a de nombreuses décennies. Il s’appelait Tony Caramela. Il faisait partie des troupes américaines qui ont envahi la Sicile… puis la botte de l’Italie.
« Je conduisais une jeep. Nous avons vu un panneau indiquant ‘Caramela’. Donc je devais y aller. Je ne savais même pas qu’une telle ville existait, mais ce devait être celle d’où nous venions.
J’y suis arrivé… Je ne parlais pas très bien l’italien, mais suffisamment pour me faire comprendre. J’ai garé la jeep et montré mes plaques d’identité à un habitant.
Il m’a demandé quel était le nom de mon père… et je le lui ai dit. C’est alors qu’il s’est exclamé…
‘Luigi !’ En fait, c’était le cousin de mon père. Des dizaines de personnes sont alors venues à notre rencontre. C’étaient tous des cousins… des tantes… des oncles… et ils nous ont invités à dîner… et ils ont fait des pâtes. C’était excellent. Comme celles que faisait ma grand-mère. Je ne plaisante pas.
Après quelques heures passées à expliquer ce qui nous était arrivé en Amérique, j’ai dû retourner à mon unité. Mais quand je suis revenu à la jeep… toutes les roues avaient disparu.
A ce moment-là, mon cousin a commencé à crier : ‘Comment pouvez-vous faire ça à notre cousin Luigi’… ou quelque chose du genre. Très vite, des types sont revenus avec les roues et les ont remises en place. »
(Photo : Bill)
Quand la guerre était terminée
L’endroit semblait si marginal… si excentré, qu’il était difficile de comprendre pourquoi les Normands en avaient fait leur quartier général. Il était encore plus improbable que l’armée américaine en fasse un champ de bataille.
Mais il y a des photos qui le prouvent. Le long de la rue principale, au sommet de la crête, on trouve des photos de soldats américains en train de se détendre sur les remparts de la ville après la bataille. Il y a aussi une photo de soldats italiens qui se rendent. Curieusement, les Italiens sur la photo ont l’air plutôt satisfaits d’eux-mêmes. Ils ont fait leur devoir ; maintenant, leur guerre est terminée.
Il y a également une statue en bronze de l’homme qui a pris les photos, Robert Capa. Capa était un civil, le seul photographe civil ayant pris part au débarquement d’Omaha Beach, par exemple. Il prenait des photos, dont beaucoup sont devenues célèbres, pour des magazines américains. Il est mort en 1954, au Viêtnam, après avoir marché sur une mine.
Un musée à Troina affirme disposer d’un ensemble de photos de Capa. Mais, sur ce plan, le touriste doit être vigilant. Presque tous les musées, églises et autres lieux que vous pourriez vouloir visiter sont fermés – du moins, quand vous voulez les visiter. C’est probablement une conséquence du fait qu’il s’agit d’attractions touristiques… mais qu’il n’y a pas de touristes à attirer.
Il n’a pas été facile de monter jusqu’au centre-ville. Il faut monter, contourner, monter… et monter encore, à travers les rues étroites et tortueuses. Et puis, on se rend compte qu’on est bloqué. On ne peut pas avancer ; la route est trop étroite. Et revenir en arrière est périlleux. Vous risquez de glisser sur les pavés abrupts et polis, et de vous retrouver en contrebas, la voiture retournée.
C’est dans une telle situation que nous nous sommes retrouvés à Troina, lorsqu’une femme de la région est venue à notre secours. C’était remarquable en soi, car nous n’avions vu aucun être humain durant la précédente demi-heure… et aucun dans la ville de Troina. Il faisait chaud. Et comme il était deux heures de l’après-midi, nous avons supposé qu’ils étaient tous à l’intérieur, pour éviter la chaleur.
Nous lui avons demandé de l’aide en espagnol… puis en anglais. Elle n’a compris ni l’un ni l’autre, mais a saisi l’essentiel de notre question et nous a suggéré de reculer très lentement… de garer la voiture sur le côté de la route et de marcher jusqu’à la vieille ville.
Elizabeth est sortie de la voiture pour nous guider et, après quelques minutes, nous étions bien garés. La femme avait entre-temps disparu dans le dédale des allées médiévales… nous avons donc suivi la rue principale.
Silence.
Pas de voitures. Pas de voix. Pas de climatiseurs. Pas de télévision.
(Photo : Bill)
Le barman le plus solitaire
Et pourtant, il devait bien y avoir des humains. Si de nombreuses maisons semblaient inutilisées ou abandonnées, beaucoup ne l’étaient pas. Il y avait des automobiles garées çà et là… nous n’avions aucune idée de la façon dont elles étaient arrivées là. Et beaucoup de maisons étaient belles… avec de lourdes pierres, souvent ornées d’écussons ou d’emblèmes.
Certaines maisons étaient marquées « vende »… et beaucoup d’autres seraient probablement à vendre aussi, si l’effort ne semblait pas si futile. De même qu’il n’y avait pas de touristes, il n’y avait pas non plus d’acheteurs immobiliers impatients. Personne n’achète une maison pour la rénover et la revendre à Troina.
Après avoir marché tout le long de la rue principale, nous sommes finalement tombés sur une mère et sa fille. Elles se trouvaient devant un grand bâtiment institutionnel qui semblait avoir été construit dans les années d’après-guerre. La ville semble avoir bénéficié d’un boom de la construction dans les années 1960… principalement pour réparer les dégâts causés par la première infanterie américaine.
Nous avons finalement atteint le centre-ville, où se trouvait un musée fermé. Il y avait aussi une église de l’époque normande… également fermée. Sur la place du village, des tables, des parasols et des chaises étaient disposés sur l’esplanade, de sorte que l’on pouvait imaginer des gens heureux en train de profiter d’un café. Mais il fallait faire preuve d’imagination, car la place était aussi vide de monde que le reste de la ville.
Mais il y avait un « pub »… dont la porte était ouverte. Nous sommes entrés. L’endroit était propre et spacieux, avec un bar lambrissé et des sièges confortables, dont les baies vitrées donnaient sur l’Etna et des kilomètres de campagne vide. Encore une fois, nous pouvions imaginer à quel point l’endroit serait agréable… s’il y avait du monde. Mais il n’y avait pas de clients, juste un jeune homme qui tenait le bar, pour personne.
Nous avons commandé deux expressos.
« Je ne vois pas pourquoi quelqu’un voudrait vivre ici », conclut Elizabeth. « On se sentirait comme un rat dans une ville abandonnée. »