La prochaine crise monétaire fera redécouvrir un principe millénaire : la dette doit avoir une limite. A défaut, on crée une société d’esclaves.
Hier, Mory Doré expliquait pourquoi la prochaine crise serait monétaire. Les banquiers centraux, par l’usage abusif du crédit infini et quasi-gratuit, ont nationalisé les marchés financiers. A la prochaine crise, ces mêmes banquiers centraux – qui contrôlent la monnaie – seront mis sur la sellette ; la confiance, qui est l’unique assise de nos monnaies, sera ruinée.
Les abus des banquiers centraux nous ont conduits à des absurdités tels que les taux négatifs et l’endettement des générations à venir. Or, jamais on n’a vu dans l’Histoire une génération accepter le passif financier de la précédente. Même les histoires de dettes de guerre se sont mal terminées… par un défaut ou une autre guerre.
L’institut Bruegel a récemment sorti une réflexion intitulée « Les libertés économiques et politiques sont-elles étroitement liées ? » (1).
Si votre premier réflexe a été de répondre « bien sûr que oui ! » dans un haussement d’épaule, réfléchissez-y à deux fois.
« Au début du capitalisme (XVIIIème, XIXème et même début du XXème siècle), une économie de marché (avec un rôle très restreint du gouvernement) s’accompagnait de régimes politiques, qui selon les critères d’aujourd’hui, étaient soit non démocratiques, soit partiellement démocratiques. Ceci a progressivement changé au cours du XXème siècle, la plupart des pays à hauts revenus ayant adopté à la fois des régimes démocratiques et une économie de marché.
[…]
Néanmoins, il n’y a pas d’exemple historique de démocratie stable sans économie de marché prédominante fondée sur la propriété privée. Les rêves utopiques de planification centrale démocratique ne se sont jamais matérialisés».
Les libéraux considèrent que la concurrence ne se limite pas à l’économie, elle doit aussi toucher le domaine politique, celui des idées. Dans le premier cas, le marché tranche, dans le second cas, les électeurs tranchent. Dans les deux cas, laisser l’ordre spontané s’imposer est source de prospérité. La prospérité ne peut s’épanouir que dans la paix, pas la guerre et le pillage.
Lorsqu’un banquier central trafique une monnaie (ou le crédit, puisque c’est devenu la même chose), il commence par fausser la concurrence, altérer l’économie mais il va aussi altérer la politique ; la fuite devant la monnaie, l’inflation généralisée des prix et les troubles sociaux qui s’ensuivent ne sont que le résultat de la défiance qui remplace la confiance.
La monnaie est au carrefour des libertés politiques et économiques.
La monnaie et la politique de contrôle des changes reflètent le niveau de totalitarisme des pays. Il y a une différence fondamentale entre le régime d’un Franco et celui d’un Staline, tous deux qualifiés de totalitaires. Sous Franco, celui qui n’était pas content pouvait partir avec ses pesetas voir si l’herbe était plus verte ailleurs. Pas sous Staline puisque le rouble n’était pas convertible.
Voici mon classement personnel en cinq niveaux de dictature :
Niveau 1 : libre circulation du bipède et de son argent
Dans ce régime idéal, chacun va où il le veut avec le fruit de son travail.
Niveau 2 : rançon à la sortie. Si vous n’êtes pas content, on vous laisse partir mais vous payez une rançon. L’exit tax n’est pas autre chose. D’ailleurs une première tentative de législation par la France en 2004 s’était fait retoquer car jugée incompatible avec la liberté d’établissement prévue par le droit européen.
Niveau 3 : limitation de la convertibilité de la monnaie et contrôle des changes. À ce stade, le piège se referme même en démocratie. En pratique, la législation vous interdit d’emporter plus d’une certaine somme dans votre valise en carton ou bien limite la convertibilité de la monnaie à un certain montant. La France a connu ce régime après la Première Guerre mondiale, puis de 1939 à 1984 avec une courte interruption en 1967. Bien entendu, vous entendrez que ces mesures liberticides sont prises dans l’intérêt du bien public : c’est pour lutter contre la spéculation, la fuite des capitaux, etc.
Niveau 4 : non-convertibilité de la monnaie, mais sortie possible. Dans ces régimes autoritaires, si vous n’êtes pas content, vous pouvez partir, mais sans votre argent. La monnaie n’est pas convertible. Utile pour l’image du régime, car suffisamment dissuasif pour tarir le flot sortant de mécontents. La Chine appartient encore à ce niveau, puisqu’une partie de la monnaie continentale n’est pas convertible.
Niveau 5 : non-convertibilité de la monnaie et sortie du territoire impossible.
Avec les dictatures les plus féroces, les frontières sont bouclées et la monnaie n’est pas convertible.
Mais mon classement a un défaut : il part du postulat que la concurrence monétaire est possible.
Or le rêve de la bureaucratie internationale serait de s’en affranchir en instaurant une monnaie mondiale et une gouvernance mondiale…
C’est oublier que la monnaie mondiale peut très bien exister sans une armée de fonctionnaires internationaux.
A partir d’une histoire multimillénaire, l’or et l’argent ont spontanément émergé comme monnaies sans se préoccuper des frontières politiques. Des monnaies sans frontières, les plus aptes à garantir la liberté et la propriété, indépendamment du régime politique.
« L’étalon-or intégral ou la monnaie couverte à 100% par l’or est le seul barrage de protection qui pourra être érigé entre les citoyens et le Léviathan. A partir du moment où les citoyens acceptent l’étalon-papier émis par l’État, il n’y a plus aucune entrave théorique ou pratique à leur exploitation et leur asservissement absolu – même sous la meilleure des constitutions »
Roland Baader (2)
Puis avec la fin des accords de Bretton Woods et la rupture de tout lien entre les monnaies et l’or, nous assistons à une phase de déconstruction systématique de la monnaie et du système monétaire.
La monnaie redevient du crédit pur, comme du temps d’Hammourabi 3 000 ans avant J.-C., comme avant que l’usage des monnaies métalliques ne se diffuse (environ 1 000 ans avant J.-C.).
Mais la régression est pire encore que ce que vous pouvez imaginer. Les Anciens punissaient les mauvais payeurs d’esclavage. Mais, pour éviter le surendettement qui aurait conduit à une société d’esclaves contrôlés par quelques puissants, des remises de dettes étaient périodiquement instaurées. Or dans notre système de monnaie-crédit d’après Bretton Woods, aucune limitation à la dette n’est prévue.
La prochaine crise monétaire nous fera redécouvrir des principes millénaires.
« Raconte-moi le passé et je connaîtrai le futur », disait Confucius.
Dans cette future crise monétaire et ce jubilé, une extraordinaire quantité d’épargne reposant sur la dette et des promesses vides sera détruite. Autant s’y préparer.
(1) article disponible ici qui cite par ailleurs trois autres études
(2) MSC d’économie, élève du prix Nobel Hayek, auteur de Geld, Gold und Gottspieler (Monnaie, Or et se prendre pour Dieu), publié en 2005 et sous-titré : A la veille de la première crise économique mondiale.
4 commentaires
Le problème ce n’est pas combien vous empruntez c’est comme cette dette est financée (épargne vs inflation) et comment vous l’utilisez (investissements productifs vs consommation ou dépenses publiques). Si la dette repose sur de l’épargne et qu’elle est employée de façon productive, il n’y a aucune raison de la limiter, en fait c’est un pilier majeur de la croissance économique.
Par ailleurs ne pas rembourser ce que l’on doit contractuellement cela s’appel le vol.
Un contrat de prêt peut de toute façon très bien prévoir des clauses limitant ce que le créancier sera en droit de demander en cas de défaut de paiement.
Donc vive la liberté contractuelle, vive la protection du droit de propriété des épargnants, vive le capitalisme, non au jubilé (le jubilé ou comment foutre en l’air l’économie pour trois génération, si on fait une erreur pareil vous aurez effectivement eu raison d’acheter de l’or plutôt que des actions technologiques).
Excellente l’analyse des niveaux de dictature.
» Libérer » a par la loi (jubilé) le débiteur (d’une obligation qu’il avait lui même accepté sur une base volontaire) c’est détruire le droit de propriété de l’épargnant et c’est introduire un « aléa moral » extrêmement pernicieux. En l’occurrence c’est réellement donner de l’argent gratuit sans l’avoir mérité en spoliant les propriétaires légitimes. Cela n’a rien de libéral.
@Sébastien Maurice
» Libérer » a par la loi (jubilé) le débiteur (d’une obligation qu’il avait lui même accepté sur une base volontaire) c’est détruire le droit de propriété de l’épargnant (…)
Juridiquement, le droit de propriété n’existe pas sur une dette ou une créance.
Ainsi, lorsque vous achetez une obligation, ( d’Etat, par exemple) vous devenez créancier de l’Etat.
Mais vous n’êtes pas juridiquement « propriétaire » de l’argent que vous avez prêté.
Certes, il existe un droit de propriété garanti par la Constitution, mais ce droit ne s’applique pas en l’espèce, les dettes publiques et privées ne sont pas garanties par le droit de propriété.
Autrement dit, l’Etat peut fort bien annuler sa dette par une loi sans violer la Constitution, ce qu’il a déjà fait sous le Directoire, avec la banqueroute des deux tiers.
« Le 30 septembre 1797, Dominique Ramel, ministre des Finances du Directoire, ferme le marché des titres publics et fait voter une loi annulant les deux tiers de la dette publique. »
voir le lien :
https://www.maydaymag.fr/le-saviez-vous-1797-la-france-fait-defaut/
Sauf cas exceptionnel d’utilité publique ( préemption, expropriation), l’Etat ne peut pas annuler un titre de propriété, mais il peut très bien décider l’annulation d’une montagne de dettes publiques et privées.
Nous avons le même problème avec les dépôts en banque.
Les épargnants ne sont pas propriétaires de leurs dépôts, ils ne font que détenir des créances sur leur banque.
Malheureusement, ces créances peuvent être annulées totalement ou partiellement en cas de faillite de la banque. ( directive BRRD)
Quant à la garantie des dépôts en dessous de 100 000 euros, c’est une plaisanterie, le fonds de garantie FGDR est notoirement dans l’incapacité de couvrir une faillite bancaire, même en dessous de 100 000 euros par déposant.
En ce qui concerne l’or, c’est différent, car il est soumis à la propriété garantie par la Constitution, à condition d’avoir les factures, évidemment.
Du reste, contrairement à ce qu’affirment certains internautes, il n’existe aucun exemple historique d’Etat (même les pires dictatures ) ayant « envoyé la police saisir l’or des particuliers » (sic).
Aujourd’hui, nous sommes face à un monstrueux excès de création monétaire qui s’est considérablement aggravé depuis 2008.
Il faut remonter à la période entre 1914 et 1929 pour trouver la formation d’une bulle financière comparable, toutes proportions gardées.
Les banquiers ont réédité les colossales erreurs du passé.
La montagne de dettes actuelles s’effondrera également, qu’on le veuille ou non, soit par un jubilé mondial, soit par hyperinflation ( assez peu probable dans un premier temps), soit par insolvabilité et déflation ( beaucoup plus probable).
Le système bancaire a émis beaucoup trop de monnaie pour que sa valeur se conserve.
Hannibal Pantalacci : non mais vous êtes propriétaire de l’obligation, et si vous avez de l’épargne en devise c’est votre argent, vous en êtes propriétaire. Evidemment e parle de la propriété au sens libéral/moral/du droit naturel, et non strictement juridique. Au sens strictement juridique vous n’êtes même pas propriétaire de vous même dans ce monde.