Pour les spécialistes des marchés de taux, le krach n’est plus une prédiction, mais un fait avéré.
Pour ceux qui sont trop jeunes pour comprendre la référence à ce « tube » sirupeux de l’été 1986 (chanté – c’est beaucoup dire – par Stéphanie de Monaco), je propose ce titre alternatif : « drôle de 1er juin ».
Alors que Wall Street abordait le nouveau mois avec l’espoir que la Fed pourrait se montrer moins « faucon » lors de sa prochaine réunion des 14/15 juin (principale justification du rebond de 1000 points du Nasdaq, du 25 au 31 mai, comme Bruno Bertez vous l’expliquait hier), Jamie Dimon, le PDG de JPMorgan, la première banque américaine, s’est fendu d’une déclaration d’un pessimisme assez inattendu :
« Hausse des taux, guerre en Ukraine, risque de récession… ce ne sont pas seulement des nuages d’orage conjoncturels qui s’accumulent à l’horizon. Il faut s’attendre à un ouragan économique… il est juste là-bas sur la route. Nous ne savons pas si ce sera une tempête mineure ou une ‘Super tempête’, mais nous ferions mieux de nous y préparer. »
C’est probablement la déclaration récente la plus alarmiste d’un « maître du monde » et elle fait passer notre récente « alerte au krach » pour un avis de mer agitée et de coups de vent pouvant retourner des parapluies trop fragiles.
Pour les spécialistes des marchés de taux, le « krach » n’est plus une prédiction mais un fait avéré : la récente stabilisation des rendements sous leurs sommets annuels du 9 au 31 mai pourrait constituer « l’œil du cyclone » et le second « mur » vient peut-être de frapper le secteur obligataire ce 1er juin.
Toute l’Europe est atteinte
La débâcle des T-Bonds a repris à 15H45 ce mercredi (10 points à 2,9300%) et elle a contaminé les bons du Trésor en Europe.
Ce fut un festival de nouveaux planchers annuels tous azimuts :
– OAT françaises : +5,5 points à 1,670 % : pire niveau depuis le 8 juin 2014 ;
– Bunds allemands : +6 points à 1,1830% : pire niveau depuis juillet 2014 ;
– BTP italiens : +7 points à 3,20% : pire niveau depuis octobre 2018 ou avril 2014 ;
– Bonos espagnols : 6,5 points à 2,295% : pire niveau depuis mi-juin 2015.
Si cette nouvelle poussée de fièvre ne s’interrompt pas sous 24 heures, alors les rendements sont partis pour aller beaucoup plus haut – au minimum 50 points de plus –, et bien au-delà de ce que des indices boursiers qui viennent de reprendre de 5 à 8% peuvent supporter.
Le seul motif de ce rebond, c’était la surabondance de vendeurs en cet instant particulier que constitue un cycle rarissime de 7 semaines de baisse consécutive.
Quand trop d’acteurs sont positionnés à la baisse à l’instant « T » et se retrouvent à la limite de leurs capacités de couverture, un simple contrepied survenant à un moment un peu inattendu peut les faire craquer et les contraindre à liquider toutes ou une partie de leurs positions.
C’est un grand classique du « rebond de chat mort »… et ce qui fonctionne pour les actions ne fonctionne pas pour l’obligataire.
Car obligataire ne rime pas avec « vente à découvert ». Donc, sans contrepied technique, pas de coup de bluff : quand tout pousse à la baisse, ça baisse, et ça peut même devenir cauchemardesque.
Les gérants ont assisté, impuissants, à la quasi disparition de la liquidité dans le segment du « high yield » : que valent les émissions allant de « BB » à « C » (les fameuses obligations pourries) alors qu’il n’y a plus de contrepartie acheteuse pour cette catégorie ?
Contrairement aux actions et à leurs dérivés, il n’y a pas de « teneurs de marché » sur les dettes d’entreprises.
Elles ne valent que ce qu’un hypothétique acheteur est prêt à payer.
Un vent dévastateur
Mais ce qui est peut-être l’ultime signe avant-coureur d’un ouragan qui fera se terrer chacun chez soi – il peut démarrer par une catégorie 1 et finir en catégorie 5, tout dépend du degré d’élévation de la température des masses océaniques – c’est lorsque les bonnes nouvelles deviennent de mauvaises nouvelles.
Et c’est exactement ce qui s’est produit ce 1er juin, avec un ISM manufacturier US ressorti en forte hausse – 56,1 le mois dernier contre 55,4 en avril, alors que les économistes attendaient en moyenne une contraction vers 54,2.
L’accélération de l’activité dans le secteur productif déjoue ainsi un large consensus qui tablait sur l’amorce d’une décrue : qu’est ce qui peut, dans ces conditions, dissuader la Fed de poursuivre sans faiblesse son cycle de resserrement monétaire à coup de 50 points de base ajoutés à chaque réunion ?
Il y aurait bien une raison, mais les banques centrales – et la FED en premier lieu – ne sont pas prêtes à l’entendre : les ménages américains gagnant moins de 100 000 $ par an (nous parlons du foyer fiscal) se retrouvent contraints de puiser dans leur épargne pour faire face à leurs dépenses courantes.
Et s’ils ne disposent d’aucune épargne – ce qui est le cas de plus de 50% de la population américaine – et ne dispose pas de plus de 500 $ pour faire face à un « imprévu », ils doivent désormais recourir au crédit revolving (c’est à dire aux avances de trésorerie que leur proposent les émetteurs de cartes à débit différé).
L’encours des dettes associées aux cartes de crédit américaines a atteint 915 Mds$ en avril, mais, le véritable problème, c’est la forte hausse du coût de ces « facilités » qui permettent de remplir le frigo et de remettre un peu de carburant dans le réservoir en fin de mois.
En effet, la charge des intérêts augmente bien plus vite que l’inflation.
Nous allons voir avec le NFP (rapport sur l’emploi) publié dans l’après-midi ce vendredi si les créations d’emplois commencent à être impactées par la contraction de 1,5% du PIB américain au premier trimestre.
Les économistes évitent soigneusement de parler de récession mais 81% des personne sondées aux Etats Unis déclarent que l’économie américaine y sera confrontée fin 2022 selon la dernière enquête de CNBC et Acorns Invest in You.
Tempête tropicale ou cyclone « force 5 »… les marchés ne « pricent » actuellement qu’un bref épisode orageux.
Le CAC 40, remonté vers 6 500, perd désormais moins de 10% depuis le 1er janvier et à peine 12% depuis ses sommets. Sauf qu’une vraie récession entraine une baisse moyenne de 42% (taux calculé sur 100 ans), et une correction de moyen terme un repli de 36%.
Nous en sommes donc à moins du tiers sur le CAC 40… dans la meilleure des hypothèses.